Page images
PDF
EPUB

C'est une des premières qualités dont un écrivain doit se préoccuper; en effet, dit Fénelon, le premier de tous les devoirs d'un homme qui n'écrit que pour être entendu est de soulager son lecteur en se faisant d'abord entendre.

L'obscurité du style naît le plus souvent du vague et de l'indécision de la pensée; on ne saurait donc prendre trop tôt l'habitude de ne dire que ce que l'on sait:

Il est certains esprits dont les sombres pensées
Sont d'un nuage épais toujours embarrassées :
Le jour de la raison ne saurait les percer;
Avant donc que d'écrire apprenez à penser.
Suivant que notre idée est plus ou moins obscure,
L'expression la suit ou moins nette ou plus pure :
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.

La longueur des phrases et l'enchaînement des propositions sont des sources trop fécondes d'obscurité. C'est le défaut de cette définition de l'épopée :

L'épopée est un discours inventé avec art pour former les mœurs par des instructions déguisées sous les allégories d'une action importante, qui est racontée en vers d'une manière vraisemblable et divertissante. Les termes abstraits sont encore une cause d'obscurité, témoin ces vers:

Faut-il mourir, madame, et si proche du terme,
Votre illustre inconstance est-elle encor si ferme
Que les restes d'un feu que j'avais cru si fort

Puissent dans quatre jours se promettre ma mort.

Les articles et les pronoms sont des sources de constructions amphibologiques, et s'il est vrai que ce qui n'est pas clair n'est pas français, le mérite en est plus à notre esprit qu'à notre langue. Bayle disait à ce sujet:

Je suis scrupuleux jusqu'à la superstition à propos des ambiguïtés auxquelles donnent lieu les pronoms il, elle, le, lui, qui, que, et les adjectifs mon, ion, son, etc.

Les plus grands écrivains offrent des exemples de cette faute. Bossuet a écrit:

César voulut premièrement surpasser Pompée; les immenses richesses de Crassus lui firent croire qu'il pourrait partager la gloire de ces deux grands hommes.

Nous tombons sans y penser dans une infinité de fautes à l'égard de ceux avec qui nous vivons, qui les disposent à prendre en mauvaise part.... NICOLE.

Racine lui-même a dit à propos de Louis XIV:

On croira ajouter quelque chose à la gloire de notre auguste monarque, lorsqu'on dira qu'il a estimé, qu'il a honoré de ses bienfaits le grand Corneille et que, même deux jours avant sa mort, lorsqu'il ne lui restait plus qu'un rayon de connaissance, il lui envoya encore des marques de sa libéralité.

Sa et lui font équivoque; la grammaire les fait rapporter à Louis XIV et le sens à Corneille.

Le meilleur remède à ce mal très-commun dans notre langue, c'est d'user de répétitions fréquentes, de prépositions, de conjonctions, suivant le conseil et l'exemple de l'empereur Auguste qui ne craignait rien tant que de laisser quelque obscurité dans son langage.

Il est encore important d'indiquer le plus vite possible le caractère propre de la phrase par les mots mêmes qui sont placés au début. Enfin, à propos des répétitions de mots qu'on redoute trop, Pascal a fait cette remarque très-instructive :

Quand, dans un discours, on trouve des mots répétés et qu'essayant de les corriger on les trouve si propres qu'on gâterait le discours, il faut les laisser; cette répétition n'est pas faute en cet endroit, car il n'y a pas de règle générale.

L'obscurité naît souvent du désir de paraître fin, délicat, mystérieux, profond.

On s'imagine volontiers que ce sont des gens d'esprit, ceux qu'on n'entend pas sans beaucoup d'esprit.

Vous voulez, Acis, me dire qu'il fait froid? Que ne me disiez-vous : il fait froid? Est-ce un si grand mal d'être entendu quand on parle et de parler comme tout le monde? LA BRUYÈRE.

5. De la précision. La précision est la qualité qui consiste à n'employer que les termes nécessaires à l'expression de la pensée. Voltaire a dit :

La plupart des fautes de langage sont au fond des défauts de justesse. Le style précis a le premier de tous les mérites, celui de rendre la marche du discours semblable à celle de l'esprit.

Le moindre défaut des mots parasites est d'énerver le

style. Par exemple, à la place de cette maxime de La Rochefoucauld: L'esprit est souvent dupe du cœur; mettez : Nous nous trompons souvent dans nos jugements sur une chose ou sur une personne, par suite du goût que nous avons pour elle. La pensée aura perdu son charme, sa grâce, sa physionomie en perdant sa vivacité et sa précision.

Ne confondons pas la concision avec la précision.

Le discours précis ne s'écarte pas du sujet, s'interdit les idées étrangères, et méprise tout ce qui est hors de propos: il n'est point de genre où cette attention ne soit nécessaire. Le discours concis explique et énonce en très-peu de mots, il bannit tout ce qui ressemble à l'amplification ou à l'ornement. Ainsi la première de ces qualités est bonne en toute occasion; la seconde ne convient pas à tous les sujets, ni avec toutes sortes de personnes, parce qu'il y a des matières qui veulent être développées et ornées, et que le demi-mot ne suffit pas à la plupart de ceux qui écoutent ou qui lisent: il faut leur dire le mot entier. L'abbé GIRARD.

La diffusion ou la prolixité est le défaut qui s'oppose à la précision, ce défaut consiste à dire les choses avec plus de mots qu'il n'est nécessaire.

A cet effet, évitez avec soin les parenthèses qui jettent des idées accessoires à travers le développement d'une idée principale, ralentissent la marche du discours et embarrassent l'esprit du lecteur.

6. Du naturel. Cette qualité est plus facile à comprendre qu'à définir; le naturel exclut toute recherche et tout effort prolongé et sensible.

Andrieux a très-bien dit :

Le naturel est une qualité essentielle à tous les genres; c'est la vérité des expressions, des images et des sentiments; mais une vérité parfaite, qui paraît n'avoir coûté à l'écrivain aucune peine, aucun effort; la moindre affectation détruit ce naturel si précieux; dès qu'une expression recherchée, une image forcée, un sentiment exagéré se présente, le charme est détruit.... Le naturel n'est pas la qualité des jeunes gens. Il en est de l'exercice de la pensée comme des exercices du corps : quand on commence à apprendre l'escrime, la danse, l'équitation, on emploie presque toujours trop de force, on fait de trop grands mouvements et l'on réussit moins en se donnant beaucoup plus de peine.

Le défaut le plus ennemi du naturel est celui dans lequel les Français tombent le plus, c'est le désir de montrer de

l'esprit mal à propos; nous cherchons des traits brillants quand il ne faudrait que de la justesse.

7. De la noblesse. La noblesse consiste à éviter toujours les termes bas et les images grossières. Boileau a dit vrai :

Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse,

Le style le moins noble a pourtant sa noblesse.

Quel poëte a mieux que La Fontaine prouvé que ce soin n'est incompatible ni avec le naturel, ni avec la grâce, ni avec le mouvement.

La recherche maladroite de la noblesse conduit à l'em

phase, qui renchérit sur la dignité par la pompe et la singularité des expressions.

8. Règles relatives aux qualités générales du style. En cette matière, comme pour tout ce qui se rapporte aux questions de goût, la lecture, la méditation, la comparaison des grands écrivains sont les plus sûrs moyens de s'instruire; cependant, toutes les observations sur les qualités générales du style peuvent être résumées dans les huit règles qui suivent :

I. Le style est toujours le reflet naturel des qualités et des défauts du caractère et de l'esprit.

II. La correction ne permet d'employer que les mots et les tournures reçus par la grammaire et par l'usage, ou autorisés par l'exemple des grands écrivains.

III. La clarté a pour première condition de bien savoir ce que l'on veut dire.

IV. Supprimer avec soin tous les mots inutiles et les termes abstraits.

V. Se défier des pronoms et ne pas craindre les répétitions de mots.

VI. La précision fait retrancher tous les termes superflus. VII. Le naturel du style naît de la simplicité et de la vérité dans les idées et les sentiments; le désir de montrer de l'esprit est le défaut le plus nuisible au naturel.

VIII. La noblesse est une convenance de langage et de ton qui s'impose au style le plus simple et qui en exclut toute expression vulgaire.

LEÇON XXII.

SUITE DES QUALITÉS GÉNÉRALES DU STYLE.

1. DE L'HARMONIE.

MONIE IMITATIVE.
LA VARIÉTÉ.

[ocr errors]

2. DE L'EUPHONIE.-3. DU NOMBRE. — -4. DE L'HAR

5. DE LA CONVENANCE. 6. DE L'UNITÉ ET DE 7. DES TRANSITIONS.

[ocr errors]

8. DE LA VIVACITÉ.

DISCOURS LIRECT. 10. RÈGLES RELATIVES A CES QUALITÉS.

9. DU

1. De l'harmonie.-L'harmonie est un agrément musical résultant du choix des mots et de leur arrangement dans la phrase.

Elle contribue au charme du style et, par suite, au succès de l'écrivain. Boileau a eu raison de dire :

[ocr errors]

La plus noble pensée

Ne peut plaire à l'esprit, quand l'oreille est blessée.

Le langage, sous toutes ses formes, doit être toujours agréable à l'oreille; aussi la prose elle-même a-t-elle son nombre et sa mesure.

Il faut distinguer l'harmonie des mots, l'harmonie des périodes et l'harmonie imitative.

L'harmonie des mots consiste dans le concours des sons les plus doux, les plus agréables à l'oreille. Elle comprend deux choses, l'euphonie et le nombre.

2. De l'euphonie.

des mots :

L'euphonie résulte du son même

Il est un heureux choix de mots harmonieux.
Fuyez des mauvais sons le concours odieux.

BOILEAU.

La rencontre de syllabes dures ou de sons identiques fait un effet désagréable et ridicule: c'est un défaut dont il faut

« PreviousContinue »