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vive. Aussi les moralistes dont la pensée prend volontiers une forme sentencieuse en font un grand usage :

II

y a des reproches qui louent et des éloges qui médisent.
LA ROCHEFOUCAULD.

Le bon esprit nous découvre notre devoir, notre engagement à le faire, et s'il y a du péril, avec péril. LA BRUYÈRE.

A plus forte raison, cette figure est-elle employée par les poëtes à titre de licence.

Ainsi dit le renard, et flatteurs d'applaudir.

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Nos amis ont grand tort, et tort qui se repose
Sur de tels paresseux.

LA FONTAINE.

LA FONTAINE.

3. Du pléonasme. Cette figure, tout au contraire de l'ellipse, ajoute des mots que la grammaire rejetterait.comme superflus.

Cette insistance donne plus de force à l'expression, et convient à une passion vive: Je l'ai vu de mes propres yeux. C'est une figure qui se confond presque avec la répétition et s'associe souvent à elle.

Le pleonasme court parfois le risque d'alourdir la phrase sans nul profit; alors c'est une faute presque ridicule, comme le prouve l'exemple suivant :

Trois sceptres à son trône attachés par mon bras,
Parleront au lieu d'elle et ne se tairont pas.

4. De l'inversion.

Cette figure consiste à renverser

l'ordre grammatical des mots.

Elle constitue l'une des principales licences de notre poésie. Voici quelques exemples qui conviendraient même à la prose:

L'or, même à la laideur donne un trait de beauté.

BOILEAU.

Toutes les dignités que tu m'as demandées,
Je te les ai sur l'heure et sans peine accordées.

CORNEILLE.

Nos grands orateurs en ont fourni quelques exemples d'une audace qu'on peut à peine proposer pour modèle:

Restait cette redoutable infanterie de l'armée d'Espagne.

BOSSUET.

Déjà frémissait dans son camp l'ennemi confus et déconcerté ; déjà prenait l'essor, pour se sauver dans les montagnes, cet aigle dont le vol hardi avait d'abord effrayé nos provinces. FLÉCHIER.

5. Des figures oratoires : de la répétition. — Les figures oratoires ne dérogent en rien aux règles de la grammaire; l'écrivain ne demande aucun sacrifice à la langue. Les deux plus usitées parmi ces figures sont la répétition et l'apposition.

La Répétition est la figure qui, pour appeler l'attention sur une idée, un objet ou un acte présente plusieurs fois le mot qui l'exprime. On peut répéter toutes les espèces de mots; d'abord les substantifs :

L'argent, l'argent, dit-on, sans lui tout est stérile ;
La vertu sans argent n'est qu'un meuble inutile;
L'argent en honnête homme érige un scélérat;
L'argent seul au palais peut faire un magistrat.

La répétition du verbe est la plus commune:
Guillot dormait alors profondément,

Son chien dormait aussi, comme aussi sa musette;
La plupart des brebis dormaient pareillement.

BOILEAU.

LA FONTAINE.

Louis XIV n'a pas fait tout ce qu'il pouvait faire parce qu'il était homme; mais il a fait plus qu'aucun autre, parce qu'il était un grand homme. VOLTAIRE.

Répétition de l'adverbe :

Là on expie ses péchés, là on épure ses intentions, là on transporte ses désirs de la terre au ciel, là on perd tout le goût du monde.

BOSSUET.

Répétition de la conjonction :

Mais tout dort, et l'armée et les vents et Neptune.

RACINE.

La Fontaine a réuni l'ellipse, le pléonasme et la répétition dans les vers suivants:

Moi, des tanches! dit-il, moi héron, que je fasse
Une si pauvre chère!

6. De l'apposition. -Cette figure consiste dans l'emploi de substantifs à titre d'adjectifs et en guise d'épithètes: Bossuet décrit la pompe funèbre du prince de Condé : Des titres, des inscriptions, vaine marque de ce qui n'est plus.

L'apposition est une figure qui par cela seul qu'elle change le rôle du substantif offre quelque chose d'étudié qui ne convient qu'au style élevé. Cependant La Fontaine en use souvent avec bonheur :

Laissez là votre serpe, instrument de dommage.

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Ils virent à l'écart une étroite cabane,
Demeure hospitalière, humble et chaste maison.

7. Règles relatives à ces figures. - De cette étude, on peut tirer les cinq règles suivantes :

I. L'ellipse convient à l'expression vive et sentencieuse de la pensée; elle expose à l'obscurité à force de concision.

II. Le pleonasme appuie sur une idée, mais il est si près du ridicule que le nom même est pris le plus souvent en mauvaise part.

III. L'inversion employée sans trop contrevenir à la grammaire et à l'usage, donne au style de la variété et de l'expression.

IV. La répétition sert à indiquer une action qui se multiplie et elle peut porter sur toutes les espèces de mots.

V. L'apposition ne convient guère qu'au style élevé.

LEÇON XXI.

DU STYLE.

QUALITÉS GÉNÉRALES DU STYLE.

1. DU STYLE.

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2. DISTINCTION DES QUALITÉS GENÉRALES ET DES QUALITÉS PARTICULIÈRES.-3. DE LA CORRECTION ET DE LA PROPRIÉTÉ. 4. DE LA CLARTÉ. 5. DE LA PRÉCISION. 6. DU NATUREL, 7. DE LA NOBLESSE. 8. RÈGLES RELATIVES A CES QUALITÉS.

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1. Du style.-Le style est le caractère propre à l'expression de la pensée, ce caractère propre résulte à la fois et du choix et de la construction des mots; c'est une manière de dire les choses qui en fait la force, l'intérêt ou le charme.

On exige surtout de l'historien la vérité des faits; du philosophe, la justesse du raisonnement; de l'écrivain et de l'orateur on a le droit de réclamer davantage; ils veulent plaire et toucher, ils ne le peuvent que grâce au style; l'orateur doit réveiller sans cesse l'esprit par des impressions qui l'intéressent et le rendent attentif; nous n'écoutons l'orateur, dit Louis Racine, qu'autant qu'il plaît à nos oreilles et à notre imagination par le charme du style. Voltaire a dit également avec goût:

Les choses qu'on dit frappent moins que la manière dont on les dit; car les hommes ont tous à peu près les mêmes idées de ce qui est à la portée de tout le monde : la différence est dans l'expression ou le style.

C'est dans ce sens que Buffon a écrit cette parole tant de fois citée le style c'est l'homme1.

2. Des deux sortes de qualités de style. — Il faut distinguer deux sortes de qualités du style: des qualités géné– rales qui sont essentielles à toute expression de la pensée et qui doivent se retrouver dans toutes les compositions, quel qu'en soit l'objet et le caractère, et des qualités particulières, c'est-à-dire des qualités propres à certains genres seule

1. Voir Morcsaux choisis, 3e année, page 246.

ment et qui varient suivant les différents objets que se proposent les écrivains.

Les six qualités générales sont la correction, la clarté, la précision, le naturel, la noblesse et l'harmonie.

3. De la correction et de la propriété. La correction consiste à respecter les règles de la grammaire et de l'usage; à n'employer que les termes et les locutions autorisées:

Surtout qu'en vos écrits la langue révérée

Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée....
Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin,
Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.

Pour écrire et pour parler correctement, il faut joindre à l'étude de la grammaire, la lecture et l'usage: la lecture des meilleurs écrivains apprend dans quelle mesure il est permis d'innover; l'usage s'acquiert par le commerce de ceux qui parlent bien.

A la correction se rattache la propriété, que La Bruyère a caractérisée ainsi :

Entre toutes les différentes expressions qui peuvent rendre une seule de nos pensées, il n'y en a qu'une qui soit la bonne; on ne la rencontre pas toujours en parlant ou en écrivant. Il est vrai néanmoins qu'elle existe, que tout ce qui ne l'est point est faible et ne satisfait point un homme d'esprit qui veut se faire entendre.

Pour bien s'éclairer sur les exigences de la langue, il faut remarquer partout avec attention les expressions qui semblent sortir de la règle et de l'usage.

Ainsi Fléchier a dit : « Turenne n'abandonne rien au hasard de ce qui peut être conduit par la vertų. Le mot est impropre. Bossuet a dit plus justement de Cromwell : α Il ne laissait rien à la fortune de ce qu'il pouvait lui ôter par conseil et par prévoyance. »

Les grands écrivains ont eu des andaces heureuses d'expression que le génie et le succès justifient; il vaut mieux les admirer que les imiter.

4. De la clarté. La clarté consiste à faire voir au grand jour la pensée. Les mots n'en sont que le signe, le style n'en est que la manifestation.

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