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feu; l'Océan bat ses rivages avec moins de fracas, quand un tourbillon, descendu par l'ordre de l'Éternel, a déchaîné les cataractes de l'abime.

Les Gaulois lancent les premiers leurs javelots contre les Francs, mettent l'épée à la main et courent à l'ennemi; l'ennemi les reçoit avec intrépidité. Trois fois ils retournent à la charge; trois fois ils viennent se briser contre le vaste corps qui les repousse: tel un grand vaisseau, voguant par un vent contraire, rejette de ses deux bords les vagues qui fuient et murmurent le long de ses flancs. Non moins braves et plus habiles que les Gaulois, les Grecs font pleuvoir sur les Sicambres une grêle de flèches; et reculant peu à peu, sans rompre nos rangs, nous fatiguons les deux lignes du triangle de l'ennemi. Comme un taureau vainqueur dans cent pâturages, fier de sa corne mutilée et des cicatrices de sa large poitrine, supporte avec impatience la piqûre du taon sous les ardeurs du midi: ainsi les Francs, percés de nos dards, deviennent furieux à ces blessures sans vengeance et sans gloire. Transportés d'une aveugle rage, ils brisent le trait dans leur sein, se roulent par terre et se débattent dans les angoisses de la douleur.

5. De l'antithèse. L'antithèse ou le contraste est une figure qui tire de la comparaison de deux objets l'occasion de les opposer.

Saint-Lambert dit à propos de l'orage:

Un seul jour a détruit l'ouvrage d'une année 1.

Boileau se plaint avec esprit du fracas des cloches:

Qui se mêlant au bruit de la grêle et des vents
Pour honorer les morts font mourir les vivants.

Voltaire a tracé, dans une antithèse célèbre, le portrait de Henri III:

Tel brille au second rang qui s'éclipse au premier.
Il devint lâche roi, d'intrépide guerrier.

6 Usage et abus de l'antithèse. Le rapprochement par contraste frappe l'imagination d'un coup vif et profond; c'est ce que prouvent les exemples qui précèdent. Mais quelque fondée que soit l'antithèse, si elle est trop répétée elle déplaît par l'air de recherche et par l'uniformité qu'elle met dans le style.

4. Voir Morceaux choisis, 2° année, page 42.

Montesquieu dit à ce propos :

L'esprit aime les contrastes; mais un contraste perpétuel devient symétrie, et cette opposition toujours recherchée devient uniformité. Le comble du ridicule c'est l'antithèse qui n'oppose que des mots aux mots.

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8. Règles relatives à ces figures. Toutes les remarques sur la description, la comparaison, et l'antithèse sont résumées dans quatre règles.

I. La description doit être vive et détaillée.

II. La comparaison doit être claire, juste, sobre et trèsvariée.

III. L'antithèse ne produit d'effet qu'à la condition de sortir du sujet et de n'être pas trop répétée.

IV. L'antithèse qui n'est que dans les mots, n'a aucune valeur littéraire.

LEÇON XVIII.

SUITE DES FIGURES DE PENSÉE.

1. DE L'HYPERBOLE. 2. DE L'INTERROGATION.-3. DE LA PRÉTÉRITION.

4. DE L'APOSTROPHE.

LATIVES A CES FIGURES.

5. DE LA PROSOPOPÉE.

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1. De l'hyperbole. — L'hyperbole est une figure qui consiste à dire plus que la réalité, à dépasser le but, afin d'être sûr de l'atteindre.

Ce mot grec signifie lancer au delà; en effet l'hyperbole emploie des expressions qui, prises à la lettre, iraient au delà du but, mais qui frappent l'esprit du lecteur en lui laissant le soin de ramener les choses à leur juste valeur.

Elle est l'effet d'une imagination vivement frappée qui, se grossissant à elle-même les objets, trouve trop faibles toutes les expressions ordinaires. La Bruyère a dit : « L'hy

perbole exprime au delà de la vérité pour ramener l'esprit à la mieux connaître. »

Cette figure est si naturelle à l'imagination humaine que nous l'employons le plus souvent à notre insu; ce sont des hyperboles que ces locutions familières: blanc comme neige, plus léger que la plume, un torrent de larmes.

L'hyperbole frappe l'imagination et y laisse un trait pénétrant, elle fait image; témoin cette phrase de La Bruyère à propos de l'amateur de fleurs :

Vous le voyez planté et qui a pris racine au milieu de ses tulipes.
Virgile dépeint la course légère d'une amazone:

Elle eût, des jeunes blés rasant les verts tapis,
Sans plier leur sommet couru sur les épis;
Ou d'un pas suspendu sur les vagues profondes
De la mer en glissant eût effleuré les ondes.
Et d'un pied plus léger que l'aile des oiseaux,
Sans mouiller sa chaussure eût volé sur les eaux.

Mais, dit Quintilien, on doit user sobrement de l'hyperbole et craindre de tomber dans l'enflure. Souvent, pour vouloir porter trop haut l'hyperbole, on la détruit; la corde de l'arc qu'on a trop tendue. se relâche.

Brébeuf est devenu populaire par le ridicule de ses hyperboles :

De morts et de mourants cent montagnes plaintives,
D'un sang impétueux cent vagues fugitives.

2. De l'interrogation.-L'interrogation présente l'idée sous une forme dubitative, afin de provoquer l'attention. Cette figure est naturelle à l'indignation et à la douleur; elle atteste encore la crainte ou l'étonnement.

Il ne faut pas confondre le tour interrogatif avec la figure de l'interrogation. Fléchier aurait pu dire, à propos de Turenne :

Quand il remportait quelque avantage, à l'entendre, ce n'était pas qu'il fût habile; mais l'ennemi s'était trompé. S'il rendait compte d'une bataille, il n'oubliait rien, sinon que c'était lui qui l'avait gagnée.

Ila mieux aimé dire, prenant le tour interrogatif : Remportait-il quelque avantage? à l'en croire, ce n'était pas.... Rendait-il compte d'une bataille? il n'oubliait rien sinon que c'était lui qui l'avait gagnée.

Ce tour donne une allure plus vive à la proposition; mais il ne constitue pas une figure.

Au contraire, quand Massillon, pressé par la crainte du jugement dernier, s'écrie, dans la péroraison du sermon sur le petit nombre des élus 1:

Croyez-vous que le plus grand nombre de tout ce que nous sommes ici fût placé à droite? Croyez-vous qne les choses du moins fussent égales? Croyez-vous qu'il s'y trouvât seulement dix justes, que le Seigneur ne put trouver autrefois en cinq villes tout entières ?... O Dieu! où sont vos élus et que reste-il pour votre partage?

Ces interrogations qui se pressent et s'accumulent sont bien l'expression d'une émotion qui de l'âme de l'orateur se communique au cœur de ceux qui l'écoutent.

3. De la prétérition. — La prétérition ou prétermission consiste à dire qu'on passe sous silence certains détails, tout en les donnant en effet.

Pour ne pas allonger la liste des méfaits de Verrès, pour échapper au reproche de sortir de la cause, et pour donner plus de force encore à ses accusations par le vague même des termes qu'il emploie, Cicéron use de la prétérition quand il dit :

Je veux passer sous silence les turpitudes et les infamies de sa jeunesse.

Il laisse libre carrière à l'imagination des juges.
De même Mathan dans Athalie :

Qu'est-il besoin Nabal, qu'à tes yeux je rappelle,

De Joad et de moi la fameuse querelle,

Quand j'osai contre lui disputer l'encensoir,

Mes brigues, mes combats, mes pleurs, mon désespoir. Fléchier a fait le plus heureux emploi de la prétérition dans l'oraison funèbre de Turenne; il a ainsi renouvelé l'intérêt de la description:

N'attendez pas, messieurs, que j'ouvre ici une scène tragique, que je représente ce grand homme étendu sur ses propres trophées, que je découvre ce corps pâle et sanglant, auprès duquel fume encore la foudre qui l'a frappé et que j'expose à vos yeux les tristes images de la religion et de la patrie éplorées.

1. Voir Morceaux choisis. 3o année, page 330.

Cette figure a l'avantage de prévenir le reproche de longueur puisqu'on est censé ne point parler des choses, ce qui n'empêche pas de leur donner le rang et le degré d'importance qu'elles méritent.

4. De l'apostrophe. - L'apostrophe consiste à s'adresser à une personne, en se détournant vivement de celle à laquelle on s'adressait auparavant.

Ainsi, c'est une apostrophe, quand Cicéron se lève devant le sénat assemblé, et qu'au lieu de parler à ses collègues il se tourne brusquement vers Catilina pour lui dire:

Jusqu'à quand abuseras-tu de notre patience?

Par extension l'on nomme apostrophe toute parole vive et pressante. Ainsi Bossuet ému des misères subies par la reine d'Angleterre :

O éternel, veillez sur elle? Anges saints, rangez alentour vos escadrons invisibles et faites la garde autour d'une princesse si grande et si délaissée !

Il en est de même de tout appel direct et passionné. Qui ne connaît cette noble apostrophe d'Henri IV à ses soldats avant la bataille d'Ivry:

Enfants! si vous perdez vos enseignes et vos guidons, ralliez-vous à mon panache blanc; vous le trouverez toujours sur le chemin de l'honneur et de la victoire.

Cette figure très-vive et très-passionnée donne le mouvement dramatique au discours; elle anime les personnes et même les choses. Par ce côté l'apostrophe touche à la prosopopée qui est une des plus audacieuses et des plus frappantes parmi les figures de pensée.

5. De la prosopopée.- La prosopopée, comme l'indique son nom grec, est une personnification des choses. Rien de plus naturel à la passion que de prêter le sentiment, la vie, l'action, la parole même aux choses inanimées.

Un des plus anciens et des plus beaux modèles de prosopopée a été donné par Platon dans le dialogue du Criton. Sollicité par ses disciples de s'enfuir de sa prison, Socrate

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