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4. Construction des propositions principales. — Les propositions se classent de la façon la plus élémentaire en propositions principales, propositions subordonnées, et propositions incidentes.

Le rapport entre les propositions principales qui se complètent est marqué par la simple juxtaposition et par les conjonctions. Buffon a dit :

Aussi intrépide que son maître, le cheval voit le péril et l'affronte; il se fait au bruit des armes; il l'aime; il le cherche, et s'anime de la même ardeur. Il partage aussi ses plaisirs; à la chasse, aux tournois, à la course il brille, il étincelle.

5. Construction des propositions subordonnées. Les propositions subordonnées sont celles qui se rattachent aux propositions principales pour en achever le sens.

La règle logique réclame que les propositions subordonnées se placent après les propositions principales:

Je ne veux point qu'un gendre puisse à ma fille reprocher ses parents et qu'elle ait des enfants qui aient honte de m'appeler leur grand'maman.

MOLIÈRE.

Mais pour produire un effet littéraire, la proposition principale peut être rejetée à la suite. Madame Jourdain continue:

S'il fallait qu'elle me vînt visiter en équipage de grande dame et qu'elle manquât par mégarde à saluer quelqu'un du quartier; on ne manquerait pas aussitôt de dire cent sottises.

La règle la plus importante à cet égard c'est que le passage et le rapport logique de la proposition principale à la proposition subordonnée soit toujours clair et facile à saisir. Pour arriver à ce résultat, il suffit de ne pas multiplier les conjonctions. C'est le soin qu'a pris Madame de Maintenon quand elle a écrit:

On ne sent guère dans les divertissements de Versailles que de la tristesse, de la fatigue et de l'ennui, et le plaisir fuit en proportion qu'on le recherche. Les enfants des souverains n'ont plus rien de nouveau à voir, parce qu'ils voient tout dès leur enfance : dès leur berceau on leur prépare leur ennui.

La phrase serait gâtée et d'une lourdeur intolérable, si l'on y ajoutait des conjonctions et qu'on dit

Le plaisir fuit en proportion qu'on le poursuit, parce que les eu

fants des souverains n'ont plus rien de nouveau à voir, puisqu'ils voient tout dans leur enfance, et que, dès le berceau, on leur prépare. leur ennui.

L'emploi du discours direct est dans un grand nombre de cas le moyen le plus sûr d'échapper à la nécessité des conjonctions; supprimez le discours direct dans la phrase suivante, et vous en sentirez tout le prix :

Plus je rentre en moi, plus je me consulte, et plus je lis ces mots écrits dans mon âme : Sois juste et tu seras heureux. J. J. Rousseau.

6. Construction des propositions incidentes. - Les propositions incidentes sont celles qui entrent dans une autre proposition à titre de compléments. On les appelle aussi conjonctives ou relatives parce qu'elles commencent par une des formes du pronom relatif ou conjonctif, qui, que, dont, où, etc. Fénelon dit à propos du luxe :

Ce vice qui en attire tant d'autres, est loué comme une vertu.

La nature est le premier livre où les hommes ont étudié les perfections infinies de Dieu.

La règle grammaticale qui enjoint de placer le pronom le plus près possible du substantif dont il tient la place est établie en vue d'éviter toute obscurité dans l'expression.

Il n'est pas sans danger de multiplier ces pronoms relatifs à travers lesquels l'esprit court risque de se perdre, comme cela se produit dans cette phrase:

Il faut se conduire par les lumières de la foi qui nous apprennent que l'insensibilité est d'elle-même un très-grand mal qui doit nous faire appréhender cette menace terrible que Dieu fait aux âmes qui ne sont pas assez touchées de sa crainte.

Nicole aurait pu dire avec plus d'élégance et de clarté :

Il faut se conduire par les lumières de la foi; elles nous apprennent que l'insensibilité est d'elle-même un très-grand mal et qu'elle doit nous faire appréhender cette menace terrible faite par Dieu aux âmes trop peu touchées de sa crainte.

7. Règles pour la construction. Les observations relatives à la construction des mots et des propositions, se résument en sept règles:

I. La construction logique consiste à énoncer le sujet, puis le verbe, ensuite l'attribut, enfin les divers compléments.

II. La construction littéraire demande que les mots soient mis à la place où ils peuvent faire la meilleure impression sur l'oreille ou sur l'imagination.

III. Les inversions n'ont d'autres règles à respecter que l'usage, le goût, l'euphonie et la clarté.

IV. Le rapport entre les propositions principales n'est souvent marqué que par la juxtaposition.

V. Les propositions subordonnées doivent être unies aux propositions principales de manière que la distinction en soit facile et claire.

VI. Les propositions incidentes doivent être évitées, parce qu'elles multiplient les pronoms conjonctifs.

VII. Le discours direct offre un excellent moyen d'éviter les propositions conjonctives.

LECON XIV.

DES PHRASES ET DES PÉRIODES.

1. DE LA PHRASE. DE PÉRIODES.

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2. DE LA PÉRIODE. 3. DES DIFFÉRENTES SORTES 4. DU STYLE PÉRIODIQUE. 5. HARMONIE DE LA PÉRIODE. 6. RÈGLES RELATIVES A LA PHRASE ET A LA PÉRIODE.

1. De la phrase. — La phrase est une suite de propositions formant un sens complet et servant à l'expression d'un raisonnement.

Ainsi quand Bossuet dit :

La main de Dieu fut sur lui; son règne fut court et sa mort fut affreuse.

Il fait trois propositions. Si au contraire le rapport entre ces trois jugements était indiqué par des conjonctions,

l'enchaînement logique des trois propositions formerait une phrase:

Comme la main de Dieu était sur Joram, son règne fut court et sa mort fut affreuse.

La phrase étant l'énoncé d'un raisonnement, la première règle à observer, c'est de rendre aussi clairement que possible la relation qui existe entre les jugements.

La Rochefoucauld offre d'excellents exemples de ces phrases complexes:

Ce qui fait que peu de personnes sont agréables dans la conversation, c'est que chacun songe plus à ce qu'il a dessein de dire qu'à ce que les autres disent et que l'on n'écoute guère, quand on a bien envie de parler.

2. De la période. De même qu'une phrase est une suite de propositions, une période se compose de phrases unies entre elles. La proposition est l'énonciation d'un jugement; la phrase exprime un raisonnement; la période représente une suite de raisonnements qui servent au développement complet d'une conception étendue.

La période se compose de membres qui se subdivisent en incises.

Il est impossible d'en offrir un modèle plus remarquable et dont l'analyse soit plus instructive que cette période qu'on admire dans l'exorde de l'oraison funèbre de la reine de la Grande-Bretagne.

Celui qui règne dans les cieux et de qui relèvent tous les empires, à qui seul appartient la gloire, la majesté et l'indépendance, est aussi le seul qui se glorifie de faire la loi aux rois et de leur donner, quand il lui plaît, de grandes et terribles leçons.

La pensée de Bossuet peut se ramener à cette simple proposition Dieu fait la loi aux rois. Le développement périodique de cette idée consiste à substituer au simple mot Dieu trois périphrases, qui forment les trois premiers membres de la période, et à redoubler l'idée du verbe par un dernier membre dont l'ampleur couronne bien la période : et de leur donner quand il lui plaît de grandes et terribles leçons.

3. Des différentes sortes de périodes. Les éléments de la période sont donc des phrases qu'on appelle membres, tantôt il n'y en a que deux :

Que ne doit-on pas craindre de ses vices, | si ses bonnes qualités sont si dangereuses?

Voici une période à trois membres :

De quels yeux regardèrent-ils le jeune prince, dont la victoire avait relevé la haute contenance, à qui la clémence ajoutait de nouvelles grâces.

A quatre membres :

Nous nous sommes plaints que la mort, ennemie des fruits que nous promettait la princesse, les a ravagés dans la fleur, | qu'elle a effacé pour ainsi dire sous le pinceau même un tableau | qui s'avançait à la perfection avec une incroyable diligence, | dont les premiers traits, dont le seul dessin montrait déjà tant de grandeur.

Au delà de quatre à. cinq membres au plus la période courrait risque de paraitre longue et par suite de fatiguer.

4. Du style périodique. -Le style périodique a plus de noblesse, plus d'harmonie que le style coupé ; celui-ci est plus léger, plus vif, plus brillant.

Ni l'un ni l'autre ne doivent être exclus d'aucun sujet : il faut même les employer tour à tour pour répandre de la variété dans un écrit. Cependant, on peut dire d'une façon générale que les sujets nobles et sérieux exigent le style périodique, et les sujets agréables et légers, le style coupé.

5. Harmonie de la période. — L'harmonie de la période résulte surtout de la symétrie entre les membres, qui doivent se répondre et se balancer. Mais cette symétrie ne doit pas être géométrique, sous peine d'être froide et affectée.

Concilier l'unité qui naît de la symétrie avec la variété des tours et des propositions, c'est un heureux tempérament que le goût seul peut apprendre et pour lequel il est impossible de fixer des règles précises. Par exemple dans cette période de Bossuet :

Le plus parfait de tous, qui avait été le plus superbe, se trouva le plus malfaisant comme le plus malheureux.

PRINC. DE Style. 2° année.

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