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trois parties 1° l'introduction ou exorde; 2o le développement ou confirmation; 3° la conclusion ou pérorai

son.

Ces différentes parties sont bien dans la nature; elles se succèdent si logiquement que Geruzez a eu raison de nous conserver avec une piété touchante cette charmante observation de son père :

Un enfant a-t-il quelque chose à demander à ses parents, il les abordera d'un air gracieux et soumis; il leur adressera quelque parole agréable et flatteuse; il s'informera de leur santé. Après cet exorde, il demandera un congé, une promenade, une exemption de travail. Pour peu qu'on hésite, il fera valoir sa bonne conduite, son travail, ses succès; il promettra de redoubler de diligence, telle sera sa confirmation. Enfin, si l'on paraît indécis, il rassemblera ses raisons dans une péroraison. Il leur donnera plus de force par ses caresses et par ses larmes. il suivra la même marche que l'orateur, parce que cette marche est dans la nature.

4. Utilité de cette étude. La disposition accomplit une œuvre moins brillante que celle de l'invention. Il ne s'agit plus pour l'esprit de déployer la vivacité des sentiments, la grâce des mœurs, la fécondité de l'imagination dans la recherche des preuves; la disposition des parties ne réclame plus, ni la pénétration du jugement pour l'argumentation, ni l'ardeur des passions en vue de toucher les âmes auxquelles on s'adresse. Mais il s'agit d'une œuvre non moins sérieuse et non moins utile, car toutes les richesses accumulées par l'invention sont un bien stérile sans l'ordre et la réflexion. C'est ce que voulait faire entendre Ménandre et, depuis lui, Racine, quand, après avoir arrêté le plan d'une de ses pièces, il s'écriait : « Ma comédie est achevée, je n'ai plus que les vers à faire. » C'est ce que Buffon exprimait, quand, à la suite du tableau des perplexités auxquelles le manque de disposition condamne ́un auteur, il ajoutait :

Mais lorsqu'il se sera fait un plan, lorsqu'une fois aura rassemblé et mis en ordre toutes les pensées essentielles à son sujet, il sentira aisément le point de maturité de la production de l'esprit; il sera pressé de la faire éclore; les idées se succéderont sans peine et le style sera naturel et facile.

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5. Règles. En résumé, toutes les observations générales relatives à l'ordre des parties, peuvent être condensées dans les quatre règles suivantes:

I. Se rappeler que l'ordre fait la beauté de toutes choses, et que rien de désordonné ne peut être ni beau ni bon.

II. Assurer avant tout l'unité de sa composition, en résumant pour soi-même son opinion en une proposition qu'on gardera toujours présente à l'esprit.

III. Expliquer aussi vite que possible son sujet et son but.

IV. Les trois parties essentielles de toute composition sont l'introduction ou exorde, le développement ou confirmation, la conclusion ou péroraison.

LEÇON VII.

DE L'INTRODUCTION OU EXORDE.

1. DE L'EXORDE.

- 2. SON BUT ET SES MOYENS. ~ 3. DE LA BIENVEILLANCE. 4. DE L'ATTENTION. 5. DE L'INTÉRÊT.- 6. SOURCES DE L'EXORDE. 7. STYLE DE L'EXORDE. 8. RÈGLES DE L'EXORDE.

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1. De l'introduction ou exorde. L'exorde est, l'après l'étymologie latine du mot, le commencement, le lébut.

Dès les premiers mots, celui qui écrit ou qui parle doit s'emparer de l'esprit de son lecteur ou de son auditeur. L'exorde est comme un sommaire, une idée générale, une recommandation du discours; il doit donc charmer dès l'abord et séduire l'auditeur ou le lecteur.

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2. Son but et ses moyens. L'introduction a pour but, disent les rhéteurs, de rendre l'auditeur bienveillant, attentif et docile, c'est-à-dire de le porter à la sympathie,

de le rendre curieux de connaître ce qui va lui être dit, et capable de s'éclairer en le comprenant. Ces dispositions du lecteur ou de l'auditeur peuvent être représentées par les mots bienveillance, attention et intérêt.

3. De la bienveillance. La bienveillance est provoquée par la bienveillance et par la modestie : la bienveillance porte un caractère de candeur qui ouvre le chemin à la persuasion; la modestie n'est pas la timidité. Le meilleur exemple d'une alliance heureuse de ces deux vertus est celui de Démosthène, disant avec une sage hardiesse et une touchante probité à ses concitoyens : « Athéniens, je voudrais bien vous plaire, mais j'aime mieux vous sauver.» La passion du bien et de la justice est la seule qu'il convient de témoigner pour mériter la bienveillance.

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Le sentiment de sympathie qu'il faut marquer au début peut aller jusqu'à l'éloge de l'auditeur; mais cette louange même doit être maniée avec beaucoup d'art et de circonspection. Excepté les sots, personne aujourd'hui n'est plus disposé à souffrir les compliments lourds, maladroits; c'est le pavé de l'ours. L'écrivain ou l'orateur se déshonorerait sans profit, à dire :

Devant le grand Dandin l'innocence est hardie;
Oui, devant ce Caton de basse Normandie.
Ce soleil d'équité qui n'est jamais terni.
Victrix causa diis placuit, sed vicia Catoni.

4. De l'attention. L'attention est éveillée par l'intérêt que peut provoquer le sujet. Plus ce sujet est élevé et général, plus l'esprit de ceux auxquels nous nous adressons sera disposé à bien accueillir nos paroles. La prudence, c'est-à-dire le savoir, les lumières, le talent, servent encore à provoquer et à soutenir l'attention.

5. De l'intérêt. L'intérêt est une disposition sympathique résultant du concours de la bienveillance et de l'attention du lecteur.

Qui ne porterait un intérêt sérieux à l'œuvre d'un homme à la fois modeste et éclairé? Ovide a laissé le tableau du

contraste entre l'attitude d'un orateur habile et celle d'un imprudent quinéglige de provoquer la bienveillance et l'intérêt:

Impatient et fougueux, Ajax regarde d'un œil farouche le rivage de Sigée et la flotte des Grecs; ensuite levant les mains il s'écrie: Grands Dieux! C'est à la vue de la flotte que nous parlons et c'est Ulysse qu'on m'oppose! Cependant il n'a pas rougi de fuir devant les flammes que lançait Hector; et moi je les ai bravées, je les ai repoussées loin des vaisseaux!

Comme cette présomption et cette insolence doivent aliéner les esprits, surtout quand Ajax a pour adversaire un homme qui par ses mœurs gagne toutes les sympathies. Voici le portrait d'Ulysse :

Il se lève et après avoir tenu quelque temps les yeux fixés à terre, il les porte sur les chefs avides de l'entendre; il parle et la grâce vient embellir son éloquence: «O Grecs, si vos vœux et les miens avaient été exaucés, l'héritier de ces armes ne serait pas incertain; tu les posséderais, Achille, et nous te posséderions encore ! »

Ulysse réunit ici toutes les qualités qui intéressent et séduisent: modération, oubli de soi-même, piété, dévouement à la cause commune, regrets pour celui dont on pleure la perte, tout contribue à lui gagner les esprits.

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6. Sources de l'exorde. L'écueil de l'exorde est de retarder trop longtemps l'entrée en matière. Il ne faut se tourner et se retourner dans tous les sens comme un voyageur qui ne connaît pas sa route; car l'exorde ne commence qu'au moment où celui auquel nous nous adressons saisit l'objet et le dessein que nous poursuivons.

C'est donc au sujet même qu'il faut emprunter les idées de l'exorde puisqu'il est fait pour y préparer, autrement il ne serait plus qu'un hors-d'œuvre.

Ce ridicule trop fréquent a été raillé par Racine, lorsque, au IIIe acte de sa comédie des Plaideurs, il introduit deux prétendus avocats qui à propos d'un chapon dérobé par un chien débutent par ces phrases vides :

Messieurs, quand je regarde avec exactitude,
L'inconstance du monde et sa vicissitude;
Lorsque je vois parmi tant d'hommes différents
Pas une étoile fixe et tant d'astres errants:

ou bien :

Avant donc

La naissance du monde et sa création,

Le monde, l'univers, tout, la nature entière
Était ensevelie au fond de la matière....

Prenons garde qu'on ne nous dise comme à l'Intimé :

Avocat! Ah! passons au déluge!

7. Du style de l'exorde.

La qualité propre du style

qui convient à l'exorde c'est la simplicité.

Rien dans la nature, dit Cicéron, rien en naissant ne se déploie tout entier, rien ne prend du premier coup son essor.

Boileau a commenté heureusement cet excellent précepte:
Que le début soit simple et n'ait rien d'affecté.
N'allez pas dès l'abord, sur Pégase monté,
Crier à vos lecteurs d'une voix de tonnerre:

Je chante le vainqueur des vainqueurs de la terre.
Que produira l'auteur après tous ces grands cris ?
La montagne en travail enfante une souris.

Oh ! que j'aime bien mieux cet auteur plein d'adresse
Qui, sans faire d'abord de si haute promesse,
Me dit d'un ton aisé, doux, simple, harmonieux:
Je chante les combats et cet homme pieux
Qui des bords Phrygiens conduit dans l'Ausonie,
Aborda le premier les champs de Lavinie.
Sa muse en arrivant ne met pas tout en feu,

Et pour donner beaucoup ne nous promet que peu.

8. Règles de l'exorde. Toutes ces observations de détail peuvent être résumées dans quatre règles pratiques : I. Apporter le plus grand soin à l'introduction de laquelle dépend le succès de l'œuvre tout entière.

II. Y montrer des mœurs, c'est-à-dire bienveillance, modestie, probité et prudence.

III. Éviter les longs préambules étrangers au sujet.

IV. Tirer son introduction du fond même de la question, en évitant de déflorer son sujet, et d'anticiper sur la suite de manière à enlever aux détails l'intérêt de la nouveauté. V. Le style de toute introduction doit être simple.

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