Page images
PDF
EPUB

premier des rois qui les ait servis. C'est là ce que la morale païenne n'avait pas seulement imaginé. Toutes les vertus humaines étaient chez les anciens; les vertus divines ne sont que chez les chrétiens. Voir d'un même oeil la couronne et les fers, la santé et la maladie, la vie et la mort; faire des choses admirables et craindre d'être admiré; n'avoir dans le cœur que Dieu et son devoir; n'être touché que des maux de ses frères; être toujours en présence de son Dieu; n'entreprendre, ne réussir, ne souffrir, ne mourir que pour lui : voilà saint Louis, voilà le héros chrétien; toujours grand et toujours simple; toujours s'oubliant lui-même.

Autre développement.-Quel cœur chrétien pourrait ne pas tressaillir d'admiration en songeant à tout ce qu'il y a eu dans cette âme de saint Louis; à ce sentiment si violent et si pur du devoir, à ce culte exalté et scrupuleux de la justice, à cette exquise délicatesse de conscience qui l'engageait à renoncer aux acquisitions illégitimes de ses prédécesseurs, aux dépens même de la sûreté publique et de l'affection de ses sujets; à cet amour immense du prochain qui débordait de son cœur et qui après avoir inondé son épouse chérie, sa mère et ses frères dont il pleurait si amèrement la mort, allait chercher le dernier de ses sujets, lui inspirait une si tendre sollicitude pour les âmes d'autrui et le dirigeait pendant ses heures de délassement vers la chaumière des pauvres qu'il soulageait lui-même.

Et cependant, à toutes les vertus du saint, il savait unir la plus téméraire bravoure; c'était à la fois le meilleur chevalier et le meilleur chrétien de France on le vit à Taillebourg et à la Massoure. C'est qu'il pouvait combattre et mourir sans crainte, celui qui avait fait avec la justice de Dieu et des hommes un pacte inviolable, qui savait pour lui rester fidèle, être si sévère contre son propre frère; qui n'avait pas rougi, avant de s'embarquer pour la croisade, d'envoyer par tout son royaume des moines mendiants chargés de s'informer auprès des plus pauvres gens s'il leur avait été fait quelque tort au nom du roi et de le réparer aussitôt à ses dépens.

.

Il nous a laissé deux monuments immortels, son oratoire et son tombeau, la Sainte-Chapelle et Saint-Denis, tous deux purs, simples, élancés vers le ciel comme lui-même. Il en a laissé un plus beau et plus immortel encore dans la mémoire des peuples, le chêne de Vincennes.

C'est un grand art de savoir bien louer, et nul genre ne domande des pensées plus fines et des tours plus délicats. Cette observation générale doit être rappelée à notre pays et à notre temps; car le bon goût est en droit de reprocher au dix-neuvième siècle l'abus en prose et en vers du panégyrique et de l'apothéose.

8. Du parallèle. La comparaison est un procédé d'étude et d'amplification qui éclaire deux idées ou deux objets par leur contraste ou par leur ressemblance; ce procédé appliqué aux personnes ou aux caractères constitue ce qu'on nomme proprement le parallèle..

Destiné à mieux faire connaître les deux objets ou les deux personnages que l'esprit rapproche, le parallèle doit contenir tous les détails qui peuvent offrir quelque intérêt. L'écueil le plus dangereux, parce qu'il est le plus séduisant, c'est la tendance à multiplier les analogies ou les contrastes,, à chercher une symétrie factice. L'écrivain doit se tenir toujours en garde contre cette disposition trop commune qui enlève toute valeur historique et morale au parallèle.

9. Modèle de parallèles. — Voici un morceau très-remarquable de Chateaubriand qui rapproche deux hommes illustres à des titres bien différents.

Sujet.

WASHINGTON ET BONAPARTE..

Washington n'a aucune des qualités extraordinaires et brillantes qui appellent la gloire, il songe modestement aux destinées de son pays et non à son illustration.

Bonaparte a surtout l'ambition de sa propre renommée et se précipite vers la gloire dans tous les sens.

La fin de ces deux hommes a été le juste salaire de leurs œuvres,

Développement. Washington n'appartient pas comme Bonaparte à cette race qui dépasse la stature humaine. Rien d'étonnant ne s'attache à sa personne; il n'est pas placé sur un vaste théâtre; il ne livre point de ces combats qui renouvellent les triomphes d'Arbelles et de Pharsale. Quelque chose de silencieux enveloppe ses actions; il agit avec lenteur on dirait qu'il se sent chargé de la liberté de l'avenir et qu'il craint de la compromettre. Ce ne sont pas ses destinées que porte ce héros d'une nouvelle espèce, ce sont celles de son pays. Bonaparte n'a aucun trait de ce grave Américain: il combat avec fracas sur une vieille terre; il ne veut créer que sa renommée; il ne se charge que de son propre sort. Il semble savoir que sa mission sera courte, que le torrent qui descend de si haut s'écoulera vite; il se hâte de jouir et d'abuser de sa gloire, comme d'une jeunesse fugitive. A l'instar des dieux d'Homère, il veut arriver en quatre pas au bout du monde. Penché sur le monde, d'une main il terrasse les rois, de l'autre il abat le géant révolutionnaire; mais en écrasant l'anarchie, il étouffe: la liberté, et finit par perdre la sienne sur son dernier champ de bataille.

Chacun est récompensé selon ses œuvres Washington élève une nation à l'indépendance; magistrat en repos, il s'endort sous son toit au milieu des regrets de ses compatriotes et de la vénération des peuples. Bonaparte ravit à une nation son indépendance : empereur déchu, il est précipité dans l'exil où la frayeur de la terre ne le croit pas encore assez emprisonné sous la garde de l'Océan. Il expire cette nouvelle publiée à la porte du palais devant laquelle le conquérant fit proclamer tant de funérailles n'arrête ni n'étonne le passant: qu'avaient à pleurer les citoyens?'

10. Résumé et règles. Les observations critiques justifiées par ces exemples se résument dans les cinq règles

suivantes:

I. Les compositions morales réclament une méthode rigoureuse dans les idées et dans le raisonnement, beaucoup de . clarté et de précision dans le style.

II. Le caractère doit dessiner les traits essentiels sans sécheresse et sans prolixitė.

III. Le portrait doit être fidèle et intéressant; le caractère principal du modèle doit servir de point central au tableau. IV. L'éloge ne doit dire que la vérité dans un style sobre d'épithètes..

V. Le parallèle doit être exact et se garder de rapprochechements forcés qui ne seraient pas dans la nature.

LECON XXX.

ANALYSE CRITIQUE ET DÉVELOPPEMENT MORAL.

1. DE L'ANALYSE CRITIQUE.-2. MODÈLE D'ANALYSE CRITIQUE.

[blocks in formation]

3. DU DÉ 4. MODELES DE DÉVELOPPEMENT MORAL.

-

[ocr errors]

1. De l'analyse critique. L'une des études les plus intéressantes pour les jeunes esprits, c'est de chercher à se rendre compte des mérites qui provoquent l'admiration

pour les œuvres des grands écrivains. En effet, l'analyse raisonnée des procédés employés par les bons écrivains est la meilleure école du goût.

L'étude critique des auteurs est tenue de suivre un ordre méthodique dont le bon sens et l'expérience fixent ainsi les points principaux :

1° Chercher l'idée première qui fait le sujet du morceau et qui est d'ordinaire indiquée par le titre même. 2o Reconnaître et apprécier les moyens par lesquels cette idée a été développée.

3o Examiner et juger le style dans ses caractères généraux, dans ses qualités particulières et dans son rapport avec les idées et les sentiments que l'auteur a voulu exprimer.

L'esprit dominant de la critique doit être une tendance généreuse à découvrir et à comprendre les qualités distinctives d'un écrivain. Le plaisir du dénigrement est une triste satisfaction de la vanité et de la sottise; le plaisir de l'admiration est seul fécond et vivifiant. Aussi le caractère essentiel d'une saine critique est-il d'être impartiale avec un désir sincère et constant de découvrir, de proclamer, d'admirer le bien et le beau.

2. Modèle d'analyse critique. Une des applications les plus régulières et les plus heureuses de ces principes élémentaires de la bonne critique se rencontre dans l'étude suivante de Batteux :

ANALYSE CRITIQUE DE LA FABLE

LE CHÊNE ET LE ROSEAU.

La Fontaine mettait au rang de ses meilleures fables celle du Chêne et du Roseau. Avant que de la lire, essayons nous-mêmes quelles seraient les idées que la nature nous présenterait sur ce sujet Prenons les devants pour voir si l'auteur suivra la même route que

nous.

Dès qu'on nous annonce le Chêne et le Roseau, nous sommes frappés par le contraste du grand avec le petit, du fort avec le faible. Voilà une première idée qui nous est donnée par le seul titre du sujet; nous serions choqués si, dans le récit du poëte, elle se trouvait renversée de

manière qu'on accordât la force et la grandeur au Roseau, et la petitesse avec la faiblesse au Chêne; nous ne manquerions pas de réclamer les droits de la nature et de dire qu'elle n'est pas rendue, qu'elle n'est pas imitée : l'auteur est donc lié par ce seul titre.

Si on suppose que les deux plantes se parlent, on sent que le Chêne doit parler avec hauteur et confiance, le Roseau avec modestie et simplicité; c'est encore la nature qui le demande. Cependant, comme il arrive presque toujours que ceux qui prennent le ton haut sont des sots, et que les gens modestes ont raison, on ne serait point surpris ni fâché de voir l'orgueil du Chêne abattu et la modestie du Roseau préservée. Mais cette idée est enveloppée dans les circonstances d'un évé. nement qu'on ne conçoit pas encore. Hâtons-nous de voir comment l'auteur le développe :

Le Chêne un jour dit au Roseau :

« Vous avez bien sujet d'accuser la nature.

Le discours est direct; cette manière est plus vive; on croit entendre les acteurs mêmes, le début est dramatique. Le second vers contient la proposition du sujet et marque quel sera le ton de tout le discours; le Chêne montre déjà du sentiment et de la compassion, mais de cette compassion orgueilleuse par laquelle on fait sentir au malheureux les avantages qu'on a sur lui :

Un roitelet pour vous est un pesant fardeau.

Cette idée de la faiblesse est bien vive et bien humiliante pour le Roseau; elle tient de l'insulte.

« Le moindre vent qui d'aventure
<< Fait rider la face de l'eau,

« Vous oblige à baisser la tête.

C'est la même pensée sous une autre image. Le poëte ne raisonne que par des exemples; c'est la manière la plus sensible, parce qu'elle frappe l'imagination en même temps que l'esprit. Ces trois vers sont doux; il semble que le Chêne s'abaisse à ce ton de bonté par pitié pour le Roseau. Il parle de lui-même en de bien autres termes :

[ocr errors]

Cependant que mon front, au Caucase pareil,

«Non content d'arrêter les rayons du soleil,

« Brave l'effort de la tempête.

Quelle noblesse dans les images! quelle fierté dans les expressions et les tours! Cependant que, terme noble et pompeux; au Caucase pareil, comparaison hyperbolique; arrêter marque une sorte d'empire et de supériorité; sur qui? sur le soleil lui-même; braver ne signifie pas seulement résister, mais résister avec insolence. Ces trois vers, dont l'harmonie est forte, pleine, les idées grandes, nobles, contrastent avec les trois précédents, dont l'harmonie est douce de même que les idées.

<< Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
PRINC DE STYLE. 2° ANNÉE.

« PreviousContinue »