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L'étude des moyens de prouver comprend les arguments et les lieux communs.

Les arguments sont les formes diverses du raisonnement. Raisonner, c'est faire sortir de propositions connues une proposition nouvelle.

2. De l'enthymème. Ce mot signifie en grec conception, pensée intime, c'est la forme la plus simple du raisonnement. En effet, l'enthymème ne comprend que deux propositions. La première proposition se nomme antécédent et la seconde conséquent.

Dieu accorde les vrais biens à la prière: donc il lui accorde les vertus..

L'enthymème est l'argument propre de l'orateur et du poëte. Celui qui précède est de Bossuet; Homère a dit : Mortel, ne garde point une haine immortelle.

Toutes les discussions patriotiques de Démosthène combattant l'apathie des Athéniens sont des suites d'enthy

mèmes.

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3. De l'épichérème. Ce mot qui en grec signifie simplement un raisonnement désigne en français un raisonnement développé pour corriger la sécheresse et l'aridité de l'argument.

En effet, chacune des propositions de l'épichérème est accompagnée d'une preuve qui la développe et l'appuie. Par exemple, Batteux a fait un épichérème quand il a dit:

Qui peut ne pas aimer les lettres? Ce sont elles qui enrichissent l'esprit, qui adoucissent les mœurs; ce sont elles qui polissent et perfectionnent l'humanité. L'amour-propre et le bon sens suffisent donc pour nous les rendre précieuses et nous engager à les cultiver.

Le raisonnement rigoureux serait :

Il faut aimer ce qui nous rend plus parfait; or les lettres nous rendent plus parfaits : donc il faut aimer les lettres.

4. De l'exemple. C'est un raisonnement dont l'une des prémisses est un fait historique ou un fait intéressant. Ainsi, pour encourager Josabeth à la confiance ou à la ré

signation, quand il s'agit de risquer la vie de Joas, Joad lui rappelle l'exemple d'Abraham :

N'êtes-vous pas ici sur la montagne sainte,
Où le père des Juifs sur son fils innocent
Leva sans murmurer un bras obéissant?

RACINE.

De même Bossuet, pour faire honte aux chrétiens de leur cruauté dans la guerre, invoque l'exemple d'un peuple païen, des Romains:

Quand la justice de la guerre était reconnue, le Sénat prenait ses mesures pour l'entreprendre, mais n'en venait aux extrémités qu'àprès avoir épuisé toutes les voies de la douceur. Sainte institution s'il en fut jamais et qui fait honte aux Chrétiens, à qui un Dieu venu au monde pour pacifier toutes choses, n'a pu inspirer la charité et la paix.

Cette forme de raisonnement est très-éloquente et trèspopulaire. Elle était fort employée par les prophètes juifs, et faisait partie de la méthode de Socrate par exemple, veut-il prouver qu'il ne faut pas prendre au hasard les magistrats, il dit :

Autant vaudrait tirer au sort les athlètes pour le combat, le pilote pour le gouvernail.

Enfin la fable ou l'apologue n'est que le développement d'un exemple imaginé pour appuyer un principe moral. 5. Règles. Toutes les observations qui précèdent peuvent être résumées dans les trois règles suivantes :

I. Les preuves sont le fond même de toute composition.

II. Il faut leur donner toute la précision de l'enthymème quand elles sont frappantes; il faut les développer en épichérèmes quand elles prêtent à discussion.

III. Se défier des arguments qui peuvent être rétorqués.

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1. Des lieux communs. Les lieux communs sont les points de vue généraux sous lesquels tous les sujets peuvent être envisagés; ce sont des sources d'où l'esprit peut tirer des arguments pour toutes les causes. Telle est l'acception rigoureuse dans laquelle il faut prendre cette expression et non comme synonyme du mot banalité, ainsi qu'on le fait quand on dit par exemple que la description du lever du soleil ou l'éloge de la paix est un lieu commun.

On distingue deux sortes de lieux : 1o Les lieux intrinsèques qui sont fournis par le sujet même comme la définition, les circonstances, etc.; 2° Les lieux extrinsèques qui sont tirés de témoignages extérieurs comme l'autorité de la loi, les titres ou les serments, etc.

Les lieux communs se ramènent à trois principaux : 1o La définition, 2o la comparaison, 3o les circonstances.

2. De la définition. La définition consiste à tirer un argument de la nature même de la chose.

Ainsi, le vieil Horace voulant justifier son fils du meurtre de Camille et présenter ce meurtre comme la juste punition d'un crime, définit le crime en ces termes :

Aimer nos ennemis avec idolâtrie,

De rage en leur trépas maudire la patrie,
Souhaiter à l'état un malheur infini,

C'est ce qu'on nomme crime et ce qu'il a puni.

CORNEILLE.

De même Daguesseau voulant blâmer l'abus de l'esprit, débute par cette définition :

Qu'est-ce que cet esprit, dont tant de jeunes magistrats se flattent vainement? Penser peu, parler de tout, ne douter de rien;

n'habiter que les dehors de son âme, et ne cultiver que la superficie de son esprit; s'exprimer heureusement, avoir un tour d'imagination agréable, une conversation légère et délicate, et savoir plaire sans savoir se faire estimer; être né avec le talent équivoque d'une conception prompte, et se croire par là au-dessus de la réflexion: voler d'objets en objets sans en approfondir aucun; cueillir rapidement toutes les fleurs, et ne donner jamais aux fruits le temps de parvenir à leur maturité : c'est une faible peinture de ce qu'il plaît à notre siècle d'honorer du nom d'esprit.

3. De la comparaison. -La comparaison tire une conclusion du rapport entre deux idées ou deux objets.

Ce lieu commun ne doit pas être confondu avec la figure qui porte le même nom et qui ne tire du rapprochement entre les idées que plus d'effet ou plus d'éclat dans le langage.

La comparaison conduit l'esprit à conclure du plus au moins, du moins au plus, ou d'égal à égal.

Bourdaloue, voulant faire sentir combien est déraisonnable celui qui ose nier la Providence, argumente ainsi par la comparaison du moins au plus :

Il croit qu'un Etat ne peut être bien gouverné que par la sagesse et le conseil d'un prince; il croit qu'une maison ne peut subsister sans la vigilance et l'économie d'un père de famille; il croit qu'un vaisseau ne peut être bien conduit sans l'attention et l'habileté d'un pilote ; et quand il voit ce vaisseau voguer en pleine mer, cette famille réglée, ce royaume dans l'ordre et dans la paix, il conclut sans hésiter qu'il y a un esprit, une intelligence qui y préside; mais il prétend raisonner tout autrement à l'égard du monde entier, et il veut que, sans Providence, sans prudence, sans intelligence, par un effet du hasard, ce grand et vaste univers se maintienne dans l'ordre merveilleux où nous le voyons. N'est-ce pas aller contre ses propres lumières et contre sa raison?

4. Les circonstances.

Les circonstances sont le lieu, le temps, les moyens, etc., qui se rapportent à un fait donné. Elles offrent une source très-abondante de preuves.

Cicéron s'en est servi pour justifier Milon du meurtre de Clodius; il accumule les circonstances qui doivent faire présumer que son client ne méditait point un crime :

Milon était dans une voiture, enveloppé d'habits embarrassants, accompagné de sa femme et des nombreuses esclaves qui la servaient.

Racine a fait concourir toutes les circonstances de personne, de temps, de cause et d'effet dans cette admirable défense qu'Hippolyte présente de lui-même :

Examinez ma vie, et songez qui je suis.

Quelques crimes toujours précèdent les grands crimes.
Quiconque a pu franchir les bornes légitimes
Peut violer enfin les droits les plus sacrés.
Ainsi que la vertu, le crime a ses degrés....
Elevé dans le sein d'une chaste héroïne,
Je n'ai point de son sang démenti l'origine.
Pitthée, estimé sage entre tous les humains,

'Daigna m'instruire encore au sortir de ses mains....

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Les rhéteurs ont reconnu sept circonstances principales : la cause, le fait, le temps, le lieu, les motifs, les moyens, la manière. Elles se trouvent réunies dans la phrase qui suit : Jean V, duc de Bretagne (cause) a tué Olivier Clisson (fait) — au moment où il venait de jurer la paix (temps) dans son propre château (lieu) — pour satisfaire une passion insensée (motif) en abusant de la confiance du connétable (moyen) – et en le prenant dans un guet-apens

(manière).

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Les circonstances sont les faits accessoires qui se rattachent au fait principal, qui le précèdent, l'accompagnent ou le suivent.

Ainsi l'historien qui raconte les premiers signes de folie du malheureux Charles VI n'oublie aucune des circonstances qui accompagnent et expliquent cet accident:

On était alors au commencement du mois d'août, dans les jours les plus chauds de l'année; le soleil étant aident, surtout dans ce pays Sablonneux. DE BARANTE.

Annibal veut établir pour ses soldats la nécessité de triompher:

A droite et à gauche, deux mers nous enferment. Pas même un esquif pour nous sauver. Autour de nous le Pô, fleuve plus large et plus rapide que le Rhône; par derrière les Alpes nous pressent, ces Alpes que, même au début et avec nos forces tout entières, nous avons eu tant de peine à franchir. Ici, nous devons vaincre ou mourir. TITE-LIVE.

5. Utilité des lieux communs. Si les anciens rhé

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