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discours, c'est le développement contradictoire d'une thèse discutable. Le choc des opinions et la lutte des sentiments doit avoir pour effet et pour résultat dernier une émotion plus vive et plus profonde, une idée plus claire, plus lumineuse et plus complète.

Le mérite principal d'un dialogue, c'est la progression de l'intérêt qui doit se renouveler à chaque face nouvelle de sa question. Ce mode de composition ne convient qu'à des questions qui prêtent réellement au doute et à la controverse. Ce serait un exercice dangereux plutôt que profitable pour un enfant de se mettre l'esprit à la torture afin de trouver de bonnes raisons à l'appui d'une mauvaise cause; il faut donc que les deux opinions en lutte aient toutes deux quelque chose de plausible et de spécieux.

5. Modèle de dialogue. Fénelon a traité ce genre de composition avec une charmante délicatesse de goût; on peut prendre à peu près au hasard dans tous ses écrits de ce genre le début des Dialogues sur l'éloquence fournira la matière d'une étude instructive :

DU VÉRITABLE ORATEUR.

Sujet. Un jeune abbé, charmé du sermon qu'il vient d'entendre, veut le faire goûter à Fénelon, qui lui démontre: 1° que les beautés de ce discours sont bien fragiles, s'il est difficile d'en rendre compte; 2o que le texte : Je mangeais la cendre comme mon pain, loin d'être ingénieux, est faux; 3° que le ton général du discours est celui du bel esprit, et non de l'éloquence religieuse.

Développement. Fénelon. Hé bien, monsieur, vous venez donc d'entendre le sermon où vous vouliez me mener tantôt? Pour moi, je me suis contenté du prédicateur de ma paroisse.

L'abbé. Je suis charmé du mien; vous avez bien perdu, monsieur, de n'y être pas.. J'ai arrêté une place pour ne manquer aucun sermon du carême. C'est un homme admirable: si vous l'aviez une fois entendu, il vous dégoûterait de tous les autres.

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Fénelon. Je me garderai donc bien de l'aller entendre, car je ne veux point qu'un prédicateur me dégoûte des autres; au contraire, je cherche un homme qui me donne un tel goût et une telle estime pour la parole de Dieu, que j'en sois plus disposé à l'écouter partout ailleurs.. puisque j'ai tant perdu et que vous êtes plein de ce beau sermon,

vous pouvez, monsieur, me dédommager: de grâce, dites-nous quelque 'chose de ce que vous avez retenu.

L'abbé. Je défigurerais ce sermon par mon récit; ce sont cent beautés qui échappent; il faudrait être le prédicateur même pour vous dire.... Fénelon. Mais encore? son dessein, ses preuves, sa morale, les principales vérités qui ont fait le corps de son discours.... ne vous reste-t-il rien dans l'esprit? Est-ce que vous n'étiez pas attentif? L'abbé. Pardonnez-moi; jamais je ne l'ai été davantage.

Fénelon.

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Quoi donc! vous voulez vous faire prier?

L'abbé. - Non; mais c'est que ce sont des pensées si délicates et qui dépendent tellement des tours et de la finesse de l'expression, qu'après avoir charmé dans le moment, elles ne se retrouvent pas aisément dans la suite. Quand même vous les retrouveriez, dites-les dans d'autres termes, ce n'est plus la même chose; elles perdent leur grâce et leur force.

Fénelon. Ce sont donc, monsieur, des beautés bien fragiles; en les voulant toucher on les fait disparaître. J'aimerais bien mieux un discours qui eût plus de corps et moins d'esprit : il ferait une forte impression, on retiendrait mieux les choses. Pourquoi parle-t-on, sinon pour persuader, pour instruire et pour faire en sorte que l'auditeur retienne?

L'abbé. Hé bien, disons donc ce que j'ai retenu. Voici le texte : Je mangeais la cendre comme mon pain; peut-on trouver un texte plus ingénieux pour le jour des Cendres?

Il a montré que, selon ce passage, la cendre doit être aujourd'hui la nourriture de nos âmes; puis il a enchâssé dans son avant-propos, le plus agréablement du monde, l'histoire d'Artémise sur les cendres de son époux. Sa chute à son Ave Maria a été pleine d'art.

Sa division était heureuse, vous en jugerez. Cette cendre, dit-il, quoiqu'elle soit un signe de pénitence, est un principe de félicité; quoiqu'elle semble nous humilier, elle est une source de gloire; quoiqu'elle représente la mort, elle est un remède qui donne l'immortalité. Il a repris cette division de plusieurs manières, et chaque fois il donnait un nouveau lustre à ses antithèses.

Le reste du discours n'était ni moins poli, ni moins brillant : la diction était pure, les pensées nouvelles, les périodes nombreuses; chacune finissait par quelque tour surprenant. Il nous a fait des peintures morales où chacun se retrouvait; il a fait une anatomie des passions du cœur humain qui égale les Maximes de M. de la Rochefoucauld. Enfin, selon moi, c'était un ouvrage achevé.

Mais vous, monsieur, qu'en pensez-vous?
Fénelon.

Je crains de vous parler sur ce sermon et de vous ôter l'estime que vous en avez on doit respecter la parole de Dieu, profiter de toutes les vérités qu'un prédicateur a expliquées, et éviter l'esprit de critique, de peur d'affaiblir l'autorité du ministère.

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Non, monsieur, ne craignez rien, ce n'est point par cu

riosité que je vous questionne; j'ai besoin d'avoir là-dessus de bonnes idées; je veux m'instruire solidement, non-seulement pour mes besoins, mais encore pour ceux d'autrui, car ma profession m'engage à prêcher. Parlez-moi donc sans réserve, et ne craignez ni de me contredire, ni de me scandaliser.

Fénelon. Vous le voulez, il faut vous obéir. Sur votre rapport même, je conclus que c'était un méchant sermon.

L'abbé. Comment cela?

Fénelon. Vous l'allez voir. Un sermon où les applications sont fausses, où une histoire profane est rapportée d'une manière frivole et puérile, où l'on voit régner partout une vaine affectation de bel esprit, est-il bon?

L'abbé.

Non, sans doute; mais le sermon que je vous rapporte ne me semble point de ce caractère.

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Fénelon. Attendez, vous conviendrez de ce que je dis. Quand le prédicateur a choisi pour texte ces paroles: Je mangeais la cendre comme mon pain, devait-il se contenter de trouver un rapport de mots entre le texte et la cérémonie d'aujourd'hui ? Ne dévait-il pas commencer par entendre le vrai sens de son texte avant que de l'appliquer au sujet?

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Fénelon. Ne fallait-il pas reprendre les choses de plus haut et tâcher d'entrer dans toute la suite du psaume? N'était-il pas juste d'examiner si l'interprétation dont il s'agissait était contraire au sens véritable, avant que de la donner au peuple comme la parole de Dieu? Cela est vrai; mais en quoi y peut-elle être contraire?

L'abbé. Fénelon. David, ou quel que soit l'auteur du psaume ci, parle de ses malheurs en cet endroit; il dit que ses ennemis lui insultaient cruellement le voyant dans la poussière, abattu à leurs pieds, réduit (c'est ici une expression poétique) se nourrir d'un pain de cendres et d'une eau mêlée de larmes. Quel rapport des plaintes de David, renversé de son trône et persécuté par son fils Absalon, avec l'humiliation d'un chrétien qui se met des cendres sur le front pour penser à la mort et pour se détacher des plaisirs du monde?

N'y avait-il point d'autre texte à prendre dans l'Écriture? Jésus-Christ, les apôtres, les prophètes n'ont-ils jamais parlé de la mort et de la cendre du tombeau à laquelle Dieu réduit notre vanité? Les Écritures ne sontelles pas pleines de mille figures touchantes sur cette vérité? Les paroles mêmes de la Genèse, si propres, si naturelles à cette cérémonie, et choisies par l'Eglise même, ne seraient-elles donc pas dignes du choix d'un prédicateur? Pourquoi laisser cet endroit et tant d'autres de l'Écriture qui conviennent, pour en chercher un qui ne convient pas? C'est un goût dépravé, une passion aveugle de dire quelque chose de nouveau.

L'abbé. Vous vous échauffez trop, monsieur; il est vrai que ce texte n'est point conforme au sens littéral.

Fénelon.

Pour moi, je veux savoir si les choses sont vraies avant de les trouver belles.

L'abbe. Mais le reste?

Fénelon.

Le reste du sermon est du même genre que le texte; ne le voyez-vous pas, monsieur? A quel propos faire l'agréable dans un sujet si effrayant, et amuser l'auditeur par le récit profane de la douleur d'Artémise, lorsqu'il faudrait tonner et ne donner que des images terribles de la mort?

L'abbé. Je vous entends, vous n'aimez pas les traits d'esprit. Mais sans cet agrément, que deviendrait l'éloquence? Voulez-vous réduire tous les prédicateurs à la simplicité des missionnaires? Il en faut pour le peuple; mais les honnêtes gens ont les oreilles plus délicates, et il est nécessaire de s'accommoder à leur goût.

Fénelon.-Vous me menez ailleurs. Je voulais achever de vous montrer combien ce sermon est mal conçu; il ne me restait qu'à parler de la division; mais je crois que vous comprenez assez vous-même ce qui me la fait désapprouver. Quand on divise, il faut diviser simplement, naturellement; il faut que ce soit une division qui se trouve toute faite dans le sujet même, une division qui éclaircisse, qui range les matières, qui se retienne aisément, et qui aide à retenir tout le reste; enfin une division qui fasse voir la grandeur du sujet et de ses parties. Tout au contraire, vous voyez ici un homme qui entreprend d'abord de vous éblouir, qui vous débite trois épigrammes, trois énigmes, qui les tourne et retourne avec subtilité; vous croyez voir des tours de passe-passe. Est-ce là un air sérieux et grave, propre à vous faire espérer quelque chose d'utile et d'important?

6. Règles relatives au dialogue. · Cette forme vive et intéressante d'exposition est soumise aux règles mêmes du discours; on peut les résumer dans les trois observations qui suivent:

I. Le sujet de la discussion sera bien clairement conçu et indiqué.

II. Chaque personnage doit avoir un caractère et une opinion auxquels il restera fidèle tout le temps.

III. La progression croissante des idées, des sentiments et des mouvements de style amènera une sorte de dénoûment.

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2. DU CARACTÈRE. 3. MODÈLES DE - 5. MODÈLES DE PORTRAITS.

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1. DES COMPOSITIONS MORALES.

4. DU PORTRAIT.

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CARACTÈRES. 6. DE L'ÉLOGE. 7. MODÈLES D'ÉLOGES. 8. DU PARALLÈLE.-9. MODÈLES DE PARALLÈLES. 10. RÉSUMÉ ET RÈGLES.

1. Des compositions morales. -Sous ce titre peuvent être réunies toutes les compositions qui ne consistent pas simplement dans l'amplification littéraire d'idées fournies par un argument, mais qui réclament de la part des élèves plus de réflexion, plus de maturité d'esprit, plus de connaissances acquises.

Ces compositions ont pour objet le développement de vérités qui intéressent la conscience ou le goût; telle est l'analyse des principes de la vertu, des caractères du beau en littérature ou dans les arts, telle est l'étude des manifestations de la volonté libre dans l'homme ou l'analyse de ses rapports avec Dieu.

D'une manière générale, ces compositions réclament une méthode très-rigoureuse, un style dont la clarté et la préci⚫sion soient les mérites essentiels, les qualités permanentes.

Ce genre important de compositions peut être ramené à cinq espèces principales, dont chacune est digne d'une analyse et d'une étude à part. Ce sont le caractère, le portrait, l'éloge, l'analyse critique et le développement moral.

2. Du caractère. On désigne sous ce nom l'indication des traits moraux qui distinguent un genre d'êtres ou d'individus. C'est une description morale et par conséquent bien plus difficile que la description physique ou le tableau. Par exemple, c'est faire un caractère que de peindre

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