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dans la Castille. Thillet n'a jamais rien reçu, et il n'a pas même eu la gratification accordée aux donataires dépossédés.

5. Lettres diverses.—Lettres de demande. Le ton d'une demande doit être simple et en rapport avec le rang de la personne à laquelle on s'adresse et de la qualité de celle qui prie, Quelquefois il ne sera pas inutile de louer avec finesse et mesure, de marquer l'importance de la grâce que l'on demande et de peindre la reconnaissance que l'on en

conservera :

M. de Villars à Madame de Maintenon.

Madame, j'ai pris la liberté, en partant, de vous supplier d'être favorable à une sœur que j'ai, religieuse à Vienne, depuis plus de trente ans.... Je regarderai comme un très-sensible bonheur pour moi, de voir cette sœur que j'aime fort, abbesse de Chelles. Le roi récompense le gain des batailles ne pourrait-il pas récompenser aussi le succès des prières? Personne n'a plus d'envie de vaincre que moi; et personne ne prie avec plus de zèle que ma sœur pour la prospérité des armes de Sa Majesté.

Lettres de remerciments. Ces lettres s'imposent comme un devoir à celui qui a reçu un bienfait. Elles doivent être dictées par le cœur. La nature de la grâce reçue, les circonstances obligeantes qui ont pu l'accompagner, règleront le ton qui doit être respectueux sans bassesse.

M. Tallard à Madame de Maintenon.

Madame, recevez, s'il vous plaît, ici, mes très humbles remercîments du mot que vous me fites l'honneur de me dire hier. Rien n'égale vos bontés; rien n'égale ma reconnaissance. Vous m'avez accordé votre protection pour me faire chevalier de l'ordre ; j'en ai ressenti les effets quand j'ai été duc. Vous achèverez, Madame, quand il vous plaira, de me mettre au rang de mes camarades. Pour moi, je ne songerai toute ma vie qu'à marquer au roi et à vous, la reconnaissance de ce que je dois à l'un et à l'autre ; trop heureux, Madame, si vous êtes aussi persuadée de mes sentiments que je le mérite.

Lettres de félicitation.- La lettre de félicitation adressée à un ami est facile à écrire, parce qu'on se réjouit réellement avec lui. Celles qu'on adresse à un supérieur demandent beaucoup d'habileté pour rajeunir ces lieux communs: le mérite de la personne, la justice qui lui a été rendue, les espérances qu'elle peut concevoir pour l'avenir, et l'intérêt

qu'on prend à tout ce qui la regarde. Ces sortes de lettres doivent êtres courtes :

Le P. Brumoi au cardinal de Gèvres.

Il n'est ici question, Monseigneur, que de votre nouvelle dignité; tout parle de vous nuit et jour: jusqu'aux fifres, aux tambours aux cloches même qui, je vous jure, ont réveillé bien d'honnêtes gens en votre honneur: connu ou non connu, chacun vous félicite à sa manière. Souffrez donc, Monseigneur, qu'un inconnu se mêle au concert de la joie publique.

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Lettres de condoléance. Ces lettres exigent un style grave et sérieux. Comme la tristesse aime à se nourrir de sa douleur, on peut louer l'objet qui fait couler les larmes, sans craindre de réveiller ou d'aigrir le mal. Quelques réflexions de piété seront très-bien placées dans ces lettres, pourvu qu'elles ne soient pas longues. Combien de peines et de revers dans lesquels la religion seule peut ranimer nos forces et relever notre courage.

Madame de Sévigné écrit à M. de Grignan sur la mort de son oncle l'archevêque d'Arles :

Mon cher comte, recevez ici mon compliment. Vous avez été tendrement aimé de ce cher oncle: il aimait son nom, sa maison. Il avait raison, elle en vaut la peine. Je vous plains de n'avoir plus à honorer tant de mérites, tant de qualités respectables. Voilà cette première race passée; nous irons après, mon cher comte. En attendant, je vous embrasse en pleurant comme si j'avais l'honneur d'être de votre

nom.

Lettres de recommandation.-Dans ces lettres, on réclame en faveur d'un autre la protection dont un homme en place nous honore, ou l'affection qu'un ami nous a vouée. On ne saurait trop montrer l'intérêt que l'on prend à la personne pour laquelle on demande quelque chose, et dont il faut bien indiquer tous les talents et tous les mérites :

Cicéron à l'édile Cœlius en faveur de Fabius.

Je suis intimement lié avec Fabius. C'est un homme à la fois très-vertueux et très-instruit; et sa rare modestie, aussi bien que l'étendue de son esprit et de ses connaissances, me le rend extrêmement cher. Je vous prie de donner à son affaire le même soin que si c'était la mienne. Je vous connais, vous autres avocats à grandes causes: pour avoir droit à votre protection, il faut avoir au moins tué un homme.

Mais pour ce qui regarde Fabius, je ne reçois point d'excuses. Si vous m'aimez, vous quitterez tout lorsqu'il aura besoin de vos services.

6. Règles.--Les sujets qui peuvent être traités par lettres sont si multipliés et si divers qu'il faut renoncer à donner des règles ainsi que des modèles de tous les genres. Les observations et les exemples qui précèdent peuvent donner lieu à quatre règles pratiques :

I. La lettre doit être simple, claire et naturelle.

II. Elle exclut dans les sentiments toute exagération. III. Elle doit faire honneur au caractère de celui qui écrit et aux dispositions de la personne à laquelle elle est adressée. IV. Le style doit être également éloigné et de l'emphase et de la trivialité.

LEÇON XXVIII.

DE LA FABLE ET DU DIALOGUE.

1. DE LA FABLE.

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2. MODELE DE FABLE. — 3. RÈGLES RELATIVES A LA FABLE.. 4. DU DIALOGUE. 5. MODÈLE DE DIALOGUE. 6. REGLES RELATIVES AU DIALOGUE.

1. De la fable.

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La fable est le récit d'une action imaginée comme preuve à l'appui d'une vérité morale.

La vérité,

Pour s'attirer un accueil favorable,

Prend souvent les habits et le nom de la fable,

Et son langage est écouté.

La Fontaine a défini la fable une comédie à cent actes divers. En effet, pour donner une leçon et la rendre plus expressive et plus facile à comprendre, la fable fait parler des animaux, des plantes, des hommes, ou même des êtres imaginaires, comme la Fortune ou la Vérité.

Le naturel et la simplicité sont les qualités indispensables

de cette petite composition; les animaux ont reçu de la nature un caractère que l'écrivain doit respecter dans ses fictions, s'il veut exciter l'intérêt.

Le dialogue est le moyen le plus sûr de donner de l'intérêt à ce récit par la forme dramatique qui met l'action sous les yeux d'une façon plus vive et plus frappante.

Enfin la morale doit ressortir bien clairement des paroles et des actions prêtées aux personnages; c'est le dénoûment de la comédie qui vient d'être jouée. Tous les détails doivent concourir à l'effet moral, mais sans pédantisme; il faut unir la finesse et la naïveté :

Une morale nue apporte de l'ennui;

Le conte fait passer le précepte avec lui :

En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire.

Toutes les observations relatives au style simple se rapportent d'une façon plus particulière à la fable; mais la lecture et la méditation d'une fable de La Fontaine seront toujours la meilleure préparation à ce travail littéraire.

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2. Modèle de fable. La morale de la fable de la Fontaine, la Cigale et la Fourmi, est assez peu conforme aux sentiments d'humanité et de charité chrétienne; on peut donc lui supposer une suite assez instructive.

SUITE DE LA CIGALE ET LA FOURMI.

Sujet. Rebutée par la fourmi, la cigale s'éloignait tristement, quand elle rencontra son cousin le taupe-grillon, qui émigrait pour l'Amérique et lui laissait une taupinière bien approvisionnée.

Quelques jours après, un grand orage ayant ravagé la campagne, les magasins de la fourmi furent inondés, tandis que l'asile souterrain de la cigale ne fut pas atteint. Errante et sans ressources, la fourmi vint implorer un secours que la cigale ne lui refusa pas, luirappelant, pour toute vengeance, cette vérité :

Il ne se faut jamais moquer des misérables,
Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux?

Développement.

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Vous connaissez tous l'appel fait par la cigale à la compassion de la fourmi; vous savez avec quelle sécheresse railleuse la rude ménagère éconduit son imprévoyante voisine; l'histoire a, dit-on, une suite non moins instructive et plus consolante; cette suite, la voici :

PRING, DE STYLE. 2o ANNÉE.

8

Triste, honteuse, humiliée, la pauvre cigale allait mourir de froid et de faim, quand, fort à propos, elle se souvint que son cousin le taupe-grillon, épris d'un soudain désir de voir du pays, venait d'émigrer pour l'Amérique, laissant une taupinière bien garnie de toutes ses provi sions d'hiver. Pensez si la cigale s'empressa de s'y installer; elle y courut d'autant plus vite que l'orage menaçait, et quel orage! un déluge qui ravagea tous les champs d'alentour. Soigneusement calfeutrée dans son asile souterrain, la cigale laissa passer la bourrasque qui fut aussi longue que terrible.

Malgré tous ses efforts, la fourmi, sa voisine, vit sa demeure envahie par l'eau, ses magasins noyés, ses grains emportés par le courant, toutes ses provisions détruites, ses espérances anéanties; à grand'peine elle échappa.

Ah!

Le calme revenu, il fallait souper; plus rien, ni au grenier, ni dans l'armoire. Mendier, quelle honte! quelle humiliation!. Mais la faim fait sortir le loup du bois; la fourmi se traîna jusqu'à la porte de son voisin le taupe-grillon.. Elle appelle; aussitôt paraît la cigale: c'est vous, madame la fourmi; que cherchez-vous à pareille heure? » La fourmi aurait bien voulu se retirer sans répondre; mais la nuit approchait. « Je n'en puis plus, dit-elle, je suis épuisée de fatigue et de faim; j'ai tout perdu dans le dernier orage; mes magasins ont été dévastés et détruits. Mais que faisiez-vous cependant? — J'ai eu tant, de peine à me sauver moi-même ! courant au hasard, grimpant sur des cailloux, sautant de brin d'herbe en brin d'herbe! Je me meurs! - Et si je vous répliquais à mon tour: Hé bien, chantez maintenant. » La fourmi n'eut rien à répondre; elle allait s'éloigner: « Non, non, je puis être légère, je ne suis pas mauvaise; entrez donc, séchez-vous, mangez tout votre soûl. Rappelez-vous seulement, en faveur des cigales qui pourront encore vous implorer un jour, rappelez-vous ce conseil tout amical:

If ne se faut jamais moquer des misérables,

Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux?

3 Règles relatives à la fable. S'il est permis de fixer avec quelque rigueur les traits d'un tableau où le naturel doit surtout briller, on peut établir les trois règles sui

vantes:

I. L'action doit être simple et naturelle.

II. Le dialogue lui donnera le mouvement et l'intérêt dramatiques.

III. La morale est un dénoúment qui doit être amené sans effort.

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