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devient de plus en plus solennel. Mais quoi! Barbazan jette sa hache; serait-ce qu'il s'avoue vaincu? Barbazan demandant merci; voilà de quoi faire pleurer toute la France, qui verse déjà des larmes amères. Scales, terrible Scales, si tu l'as cru, te voici détrompé. L'élève de Duguesclin n'a jeté sa hache que pour recourir à son épée; et quand Barbazan frappe d'estoc, malheur! En effet, Scales mord la poussière. Imitant leur chef, Yves de Kérouïs et Guillaume Bataille se défont de leurs adversaires. Un long cri s'élève dans l'espace, c'est le cri de la France victorieuse.

Mais peut-être, se rappelant le héros de Rome, les Anglais qui restent vont-ils réparer par la ruse l'avantage qu'ils viennent de perdre. Ah! par Montjoie et Saint-Denis, on va bien rire au Louvre, et frapper du poing dans la Tour de Londres. Ces fameux porteurs de défi demandent grâce; ils se rendent. C'était bien la peine de tant parler de vos dames et de les mettre au-dessus des nôtres, messeigneurs; nous doutons fort. qu'elles vous sachent gré de vous conserver pour elles avec tant de soin. Et toi, France attristée par la folie de ton roi et les désordres de ta reine, relève la tête. Tu n'es point morte encore : Barbazan remplace le digne connétable, Yvon et ses compagnons trouveront des imitateurs. Quoi qu'il advienne, ô mon pays! ne te décourage pas. Tu pourras d'abord avoir le dessous; mais tu saisiras ton épée, et attaquant corps à corps tes ennemis, ou tu les chasseras du territoire, ou tu leur feras mordre la poussière.

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7. Règles de la narration. Tous les conseils relatifs à la narration peuvent être résumés en quatre règles pratiques.

I. Distinguer dans un sujet de narration un nœud, des péripéties, un dénoúment.

II. Au nœud conviennent la clarté et la brièveté; aux péripéties,l'intérêt; au dénoûment, la vraisemblance.

III. Suivre l'ordre des temps; mettre les faits d'accord entre eux et avec le caractère des personnes; ne prendre que les faits essentiels.

IV. L'intérêt que ressentira le lecteur sera la conséquence de l'intérêt que le narrateur prendra lui-même aux faits qu'il expose.

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TIELLES DU STYLE ÉPISTOLAIRE.-4. DU RAPPORTOU LETTRE D'AFFAIRES.

5. MODÈLES DE LETTRES DIVERSES.

6. RÈGLES.

1. De la lettre. La lettre est une conversation écrite. L'objet qui a fait inventer les lettres en fixe le caractère gé néral : la lettre est le moyen d'informer les absents de ce qu'il leur importe d'apprendre ou de ce que nous avons intérêt à leur faire savoir. Elle doit donc être l'expression la plus claire possible du sentiment et de la pensée; il faut écrire comme on parle, étant admis qu'on parle d'une façon correcte et avouée par l'a grammaire et par le bon goût.

2. Conseils généraux. Saint Grégoire a marqué les caractères généraux du style épistolaire dans une lettre qui réunit l'exemple au précepte; il résume sous une forme charmante toutes les règles du genre:

Vous me demandez comment on doit écrire une lettre voici, mon cher Nicobule, quelques observations dont vous pourrez faire votre profit.

Il est des gens qui, dans leurs lettres, vont toujours devant eux sans savoir où s'arrêter; d'autres, au contraire, affectent un laconisme déplacé c'est ce qui s'appelle tirer au delà ou en deçà du but, et s'écarter du juste milieu qui consiste à se régler sur le besoin.. Avezvous beaucoup de choses à dire? Vous feriez mal de vous resserrer dans un espace trop étroit. Un mot suffit-il pour rendre votre pensée? Épargnez-moi des détails superflus, et partant peu agréables. On doit mesurer la longueur ou la brièveté d'une lettre sur ce qui en fait le sujet.

Ce n'est pas assez d'être précis, il faut sur toutes choses être clair: une lettre n'est pas une énigme; mieux vaudrait être un peu causeur que d'être obscur en visant à la brièveté. En un mot, une lettre écrite avec la clarté convenable, une lettre bien écrite est celle qui, entendue de l'ignorant comme de l'homme instruit, plaît à tous deux également.

Une troisième qualité, c'est la grâce. Sans elle, une lettre est sèche, triste, monotone; par elle, au contraire, le style s'égaye et coule avec douceur. Maximes piquantes, proverbes cités à propos, petites anecdotes, suspensions badines, saillies ingénieuses, la lettre admet tout ce qui peut réveiller l'esprit; mais toutefois sans affectation. La pourpre ne s'emploie qu'en' bordure, et la lettre ne souffre qu'une élégance sans apprêt. Le style figuré n'y est de mise qu'à cette condition qu'il se montrera rarement et avec modestie. Nous laisserons aux rhéteurs les apostrophes, les antithèses, les membres de phrases distribués avec symétrie; ou si parfois il nous prend envie de leur emprunter cet appareil, que ce soit en nous jouant. Je ne puis mieux finir que par ce trait d'un apologue: «Autrefois les oiseaux se disputant la royauté, et chacun s'empressant d'orner son plumage, l'aigle seul jugea que sa plus belle parure était de n'en point avoir. » La plus belle lettre, à mon avis, est celle qui tire toute sa parure de la manière simple, aisée, naturelle, dont elle est écrite.

Telles sont, je crois, les qualités du style épistolaire. Ce que je puis avoir omis vous sera suggéré par vos propres réflexions, ou fourni par les maîtres habiles que vous entendez tous les jours.

3. Des qualités essentielles au style épistolaire. Comme le domaine du genre épistolaire est à peu près illimité, ce genre comporte toutes les formes de style; ce n'est donc pas un exemple, ce sont dix modèles qu'il en faudrait donner sans avoir la prétention d'épuiser un sujet inépuisable.

Les observations indiquées dans la lettre qui précède peuvent être rendues plus précises en quelques mots :

La simplicité de la lettre exclut cette emphase contre laquelle Mme de Maintenon réclamait avec esprit:

Je suis fort touchée de ces sentiments et ce sont des vertus; mais il fallait le dire sans chercher des termes plus propres à une déclamation qu'à une lettre.

Mme de Sévigné a dit de même avec l'autorité du goût. le plus délicat:

Il faut un peu, entre bons amis, laisser trotter les plumes comme elles veulent; la mienne a toujours la bride sur le cou.

Elle exclut également cette négligence qui va jusqu'au jargon et à la trivialité.

L'aisance est le vrai caractère du style épistolaire; elle comprend l'enjouement et l'urbanité, et résulte du choix des mots et des tournures les plus faciles, auxquels s'unit

une bonne grâce qui dissimule tout travail: le premier soin de l'art est de se cacher; en lisant une lettre chacun doit s'imaginer qu'il l'eût écrite ainsi.

La bienséance consiste dans l'art délicat de mettre le langage en harmonie avec le sujet et avec le personnage auquel la lettre est adressée.

La plaisanterie doit être ménagée, limitée par cette réflexion qu'elle porte souvent avec elle un soupçon de malignité : Diseur de bons mots, mauvais cœur.

Le naturel passe par-dessus tout; Mme de Sévigné écrivait :

Soyez vous et non autrui; votre lettre doit m'ouvrir votre âme et non votre bibliothèque.... Vous feriez de vos lettres des pièces d'éloquence; cette pure nature est précisément ce qui est beau et ce qui plaît uniquement.

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4. Du rapport ou lettre d'affaire. Le rapport n'est qu'une lettre d'affaire d'une nature déterminée.

Son mérite est de dire clairement ce qu'il faut et rien de plus la sobriété est donc son premier devoir. Entrer en matière sans préambule; passer d'un point à l'autre sans transition en suivant l'ordre le plus propre à produire la clarté; conclure très-brièvement, tel est le programme que doit se proposer le rédacteur d'un rapport ou d'un compte rendu.

Modèle de rapport.

DÉVOUEMENT D'ANDRÉ Thillet.

Sujet. L'an 1811, en Portugal, le maréchal Masséna reçut de l'Empereur l'ordre de faire sauter la place d'Almeyda; mais il fallait communiquer cet ordre au général Brennier, étroitement bloqué par une armée de cent mille Anglais, Portugais et Espagnols.

Sur la demande du maréchal, quatre hommes se présentèrent pour porter cet ordre; parmi eux André Thillet.

André Thillet mit quatre jours à faire trois lieues, se cachant le jour et se traînant la nuit. Enfin il culbuta le dernier factionnaire anglais, et, sous une grêle de balles, il parvint jusqu'au général Brennier.

A minuit, la place sauta et la garnison française rejoignit l'armée en ramenant Thillet.

L'impression de ce fait fut si profonde que le colonel anglais Bevan se brûla la cervelle.

On accorda à André Thillet une dotation de six mille francs, qu'il n'a jamais reçue.

Développement. Dans l'année 1811, l'armée française, commandée par le maréchal Masséna, occupait le Portugal; le chef du gouvernement avait prescrit de mettre la place d'Almeyda en état de sauter au premier ordre qui en serait donné; mais la retraite fut plus prompte qu'on ne s'y était attendu, et quand l'ordre arriva, Almeyda était bloqué par les Anglais.

Afin d'exécuter l'ordre de Napoléon, le maréchal Masséna livra bataille nous ne fûmes pas assez heureux pour débloquer Almeyda.

Cependant l'ordre de faire sauter cette place était impératif. L'armée française n'était qu'à trois lieues d'Almeyda; le pays entre-deux est couvert de rochers; sur cet espace et dans ces rochers était établie une armée de cent mille Anglais, Portugais et Espagnols, et de plus, une population nombreuse qui y avait cherché un refuge. La place d'Almeyda, qui a peu de développement, était étroitement bloquée; le général Brennier, qui y commandait, avait tout préparé pour faire sauter les fortifications: les mines étaient chargées, mais il attendait l'ordre d'y mettre le feu..

Le maréchal Masséna fit demander des hommes de bonne volonté pour aller à Almeyda quatre soldats se présentèrent. Sur les quatre, trois ont péri; un seul reste, c'est André Thillet.

André Thillet mit trois jours et trois nuits à faire le trajet; il ne voulut point se travestir, de peur d'être pendu comme un vil espion. Il se cachait pendant le jour; il se traînait plutôt qu'il ne cheminait pendant la nuit ; tantôt il tombait au milieu d'un bivouac des ennemis, et, pour éviter d'être reconnu, il se mettait à ronfler avec eux; tantôt il rencontrait des familles espagnoles réfugiées dans les cavernes, c'était alors qu'il fallait de la présence d'esprit pour échapper au plus grand des dangers.

et

Le troisième jour, Thillet arriva au dernier cordon devant Almeyda; il s'élança sur le dernier factionnaire anglais, le culbuta et courut à la barrière de la place sous une grêle de balles tirées par les troupes da cordon et par la garnison; heureusement aucune de ces balles n'atteignit ce brave : il remit l'ordre au général Brennier.

A minuit, la place d'Almeyda sauta en l'air. Le général Brennier, avec son excellente garnison, enfonça la ligne anglaise du blocus, rejoignit l'armée française et nous ramena André Thillet.

Cet événement, dont il n'y a pas d'exemple dans l'histoire des temps modernes, fit une profonde impression sur les Anglais. Le colonel Bevan, qui commandait la portion de ligne qui fut enfoncée, ne put résister à la douleur qu'il éprouva d'un événement si inattendu et se brûla la cervelle.

On accorda à André Thillet une dotation de six mille francs de rente sur les domaines que le gouvernement français s'était réservés

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