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M. Huéber, qui vous avait lu les années précédentes tant de pages intéressantes inspirées par un long séjour en Australie, vous a fait connaître, d'après M. Cognet, la curieuse organisation des villages de Madagascar, cette île qui, toute voisine de l'île de France et de l'île de la Réunion, ne semble guère mieux connue que la majeure partie des contrées de l'Afrique centrale.

M. Thibierge, au nom de M. Muller de Solna, professeur à l'Ecole navale de Stockholm et l'un de nos correspondants, vous a lu une étude sur la Laponie, étude riche de faits et d'observations, commentaire parlant de certaines parties curieuses de la grande Exposition universelle, et qui, pour les lecteurs de Regnard, sont la confirmation et le commentaire de son voyage en Laponie, alors que l'aventureux voyageur, arrivé au cap Nord, gravait sur le rocher le quatrain si connu que termine ce

vers :

Constitimus tandem, nobis ubi defuit orbis.

Le cap Nord n'est plus désormais la limite de nos navigateurs, et leur ambition, vous le savez, aspire aujourd'hui à pénétrer jusqu'au pôle même.

De nos jours, les voyages sont devenus plus faciles, par cela même plus fréquents. Le voyageur d'ordinaire aime à conter et à décrire ce qu'il a vu; des médisants même prétendent que le voyageur imagine quelquefois, et qu'il a rêvé ce qu'il croit avoir retenu. Ceux de nos collègues qui ont la bonne fortune de voyager pendant nos vacances, vous entretiennent volontiers, au retour, de leurs excursions plus ou moins lointaines, et ils aiment à mêler à leur récit leurs impressions de voyage. M. d'Urclé vous a raconté ses promenades aux bords de

la Loire Orléans, sa cathédrale, la place du Martroy et la statue équestre de Jeanne d'Arc qui la décore, les bas-reliefs qui ornent le piédestal, l'église de Recouvrance nouvellement restaurée, vrai bijou d'architecture, et décorée de fresques remarquables, la maison d'Agnès Sorel, le cabinet de Jeanne d'Arc, l'Hôtel-deVille et le Musée; le château de Blois relevé de ses ruines, et dont la restauration fait honneur à notre âge; enfin le château d'Anet qui évoque tant de doux et de charmants souvenirs, ont tour à tour apparu sous vos yeux avec le charme que donne toujours au récit l'accent du voyageur qui peut dire avec le poète :

J'étais là, telle chose m'avint.

M. Digard vous a décrit, après d'autres sans doute, mais avec ses impressions personnelles, nos plages normandes si variées, si accidentées, qui pour le peintre sont une source inépuisable de paysages où la grâce succède ou s'allie harmonieusement à la fermeté ou à la grandeur, soit que la côte soit bordée de blanches falaises calcaires coupées à pic et dont la mer a rongé la base, soit que des grèves sablonneuses s'étendent à perte de vue envahies ou délaissées tour à tour par le flux et le reflux, soit que de sombres promontoires granitiques se dressent en face des îles anglaises et nous donnent un avant-goût de l'austère et sauvage Armorique.

Sous le titre de Grammaire des arts du dessin, M. Ch. Blanc a publié l'an dernier un traité considérable où il a passé en revue l'histoire et la théorie de tous les arts. En vous rendant compte de cet excellent livre qui comble une lacune regrettable dans notre système d'en

seignement, M. Délerot vous a montré que, s'il est bon de nous apprendre à aimer la littérature des anciens et d'expliquer pourquoi leurs écrits resteront toujours d'admirables modèles, il est fâcheux qu'on néglige de nous inspirer le même respect raisonné et réfléchi pour les merveilles de l'art, qui sont une partie si essentielle de toute civilisation et surtout de la civilisation antique. Tout homme qui a reçu une éducation libérale ne doit-il pas sentir les beautés d'un contour tracé par Phidias, avec la même vivacité que les beautés d'une pensée écrite par Platon? N'y a-t-il pas là deux manifestations d'une égale valeur; et négliger l'une d'elles, la laisser en dehors de notre sympathie et de notre étude, u'est-ce pas nous abstraire volontairement et nous détacher d'une part de notre existence? Aussi M. Délerot nous a-t-il fait applaudir à l'éloquence de l'auteur, réclamant avec un pathétique élan cet élargissement de notre cercle d'études, et il vous a montré combien ces études pourraient offrir de séductions, en vous analysant quelques-uns des chapitres dans lesquels M. Charles Blanc a donné ensemble le précepte et l'exemple. Malheureusement la vie est courte, l'art est long, et il semble de nos jours à une foule de gens que le temps des études en tout genre ne saurait être trop raccourci.

M. Anquetil, chargé l'an dernier de faire aux instituteurs réunis à la Sorbonne une conférence sur la lecture à haute voix, vous a lu plus tard cette conférence recueillie à son insu par la sténographie, et destinée à figurer dans le Recueil publié par les soins du Ministère de l'Instruction publique.

M. Cougny, qui cette année encore a si dignement représenté notre Société dans les séances solennelles de la Sorbonne, par la lecture de son Essai sur les repré

sentations dramatiques de l'ancienne Université dans leurs rapports avec la politique militante, vous a présenté l'analyse critique de la Grammaire et du Glossaire de notre langue, par M. Hippeau.

La postérité ne sanctionne pas toujours les jugements des contemporains, jugements dictés quelquefois par l'engouement et suspects de partialité. Les écrivains surfaits de leur vivant ne tardent pas à être, comme dit Boileau, trébuchés de si haut, sans que leur chute rende leurs successeurs plus réservés. C'est là ce qui ressort de l'étude consacrée par M. Noël aux œuvres de Ronsard, à qui certes le génie poétique n'a point fait défaut, mais qui, au lieu de réagir contre le faux goût de son siècle, eut le tort d'exagérer les travers de ses contemporains.

Dans une autre étude, que je me contenterai d'indiquer, puisqu'elle vous a été lue dans notre dernière séance solennelle, M. Noël a esquissé les caractères de l'art au XIXe siècle, et les principaux traits de cette révolution littéraire désignée sous le nom de romantisme, dont les excès, les extravagances même n'ont pu amoindrir l'importance, ni rabaisser la solide grandeur.

Le roman tient une si large place dans la littérature contemporaine, qu'on ne saurait le traiter avec indifférence, ni considérer ses productions comme des œuvres non avenues. Le dernier ouvrage de M. Octave Feuillet, M. de Camors, ne pouvait donc passer inaperçu, et M. Rudelle, après vous en avoir présenté l'analyse la plus complète et la plus fidèle, a soumis à vos réflexions une critique parfois sèvère, plus souvent peut-être indulgente, non-seulement de la pensée première, mais encore des détails d'exécution. J'ai peur, pour mon compte, que nos romanciers ne confondent souvent, les

uns avec la vivante réalité, les autres avec le véritable idéal, les fantaisies de leur imagination mal réglée, et qu'à force de fuir les voies ordinaires et les sentiers battus, ils n'arrivent à s'égarer, dans leur crainte du vulgaire et du commun, jusqu'aux dernières limites du vide et de l'impossible.

Parmi les romans que le public semble avoir consacrés par son suffrage, il n'en est pas de plus populaires que ceux de MM. Erckmann-Chatrian. En dehors de l'art pur, il ne serait pas difficile de chercher autour de soi les causes d'un succès qui n'est pas uniquement littéraire, entièrement désintéressé. Quoi qu'il en soit, de semblables succès, dont la morale à coup sûr n'a point à se plaindre, sont ce qu'on peut appeler un des signes du temps, et le public, qui a pris ces romans sous son patronage, qui les a même inspirés peut-être à son insu, subit à son tour, n'en doutons point, l'influence des idées dont chacune de ces œuvres uniformes, trop uniformes peut-être, est la continuelle manifestation.

M. Délerot a consacré plusieurs séances à l'étude de la dernière œuvre de l'un des écrivains les plus considérés et les plus populaires de l'Allemagne, M. Berthold Auerbach. Dans un long et poétique récit intitulé Sur les Hauteurs, le romancier a mis habilement en scène une foule de personnages choisis dans toutes les classes de la société allemande contemporaine, et son vaste tableau présente au critique français les sujets d'étude les plus divers et les plus curieux. M. Délerot a surtout fait ressortir la pensée philosophique qui domine dans l'œuvre, apologie systématique et profondément méditée de la morale religieuse de Spinoza. Admirateur fervent du penseur hollandais et imbu de ses principes, M. Auerbach a voulu montrer leur puissance et leur fécondité en les

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