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à la fleur de l'âge, après avoir laissé aux lettres une monographie intéressante, et à notre Société un legs de bon souvenir.

L'abbé Caron, ecclésiastique vénérable, fondateur aimé, collaborateur assidu, nous a laissé un bienfait qui nous vaut le plaisir vif de tendre aujourd'hui une main cordiale et reconnaissante à un honnête, laborieux et fidèle artisan.

Parmi nos correspondants nous avons compté deux grands écrivains dont le souvenir est une de nos gloires nationales, et qu'il suffit de nommer: Alexis de Tocqueville et Gustave de Beaumont, frères déjà par le cœur et les travaux lors de leur trop court passage à notre tribunal.

Enfin cette année même s'est éteint, à Paris, M. Théodore Barrière, qui fut notre correspondant; il avait montré tout ce que peuvent les lettres pour alléger les travaux professionnels ou remplir les loisirs de la retraite, exemple que nous avaient donné à Versailles même M. Chappe, professeur aimé de notre Lycée, et le colonel Asselineau, qui se sont suivis de bien près dans la tombe.

Le goût des lettres dans les fonctions publiques, cette parole résume tout l'éloge que nous pouvons faire à cette place de nos membres d'honneur, M. Vauchelle, M. Barthe, le comte de Saint-Marsault, lui aussi cruellement éprouvé à Versailles.

Que ne pouvons-nous nommer les vivants, esquisser des caractères d'après les présents, exprimer notre pensée à l'adresse des absents?

Dans un temps où le culte désintéressé des lettres est une exception, où la vie se dépense et se dévore sans qu'il soit facile de leur en réserver une part, c'est encore une fête de signaler ceux qui, parmi nous, ont donné le précepte et l'exemple.

Ces années dernières, comme pour témoigner que nous sommes éveillés sur les questions du jour et que nous voulons rester fidèles à notre titre de Société des Sciences morales, nous avons agité dans nos libres débats des questions qui confinent à la polémique courante sans aborder jamais les applications directes, immédiates et personnelles, de peur de tomber dans la politique proprement dite que notre règlement, comme nos goûts et nos vrais intérêts, repousse de l'enceinte de notre société. En discutant en théorie quelques-uns des problèmes qui s'agitent autour de nous, les interlocuteurs dans nos séances prouvent combien est vraie la parole e luce lur; plus le choc est vif, plus l'étincelle jaillit, mais les armes sont courtoises; l'urbanité qui sied si bien aux convictions sincères et profondes, préside à nos débats et consolide les rapports d'une cordiale amitié : j'en appelle aux collègues qui m'assistent.

Mes dernières paroles seront celles-ci: Venez à nos séances hebdomadaires comme membres actifs, comme auditeurs, vous qui croyez avec nous que c'est en semant la lumière qu'on dissipe les fantômes, qu'on éclaire les routes périlleuses du progrès, qu'on apprend à connaître les devoirs en même temps que les droits, et qu'on travaille dans la mesure de ses forces au bien-être et à la grandeur de la patrie.

Merci, Mesdames et Messieurs, qui, par votre présence, avez prouvé que les sérieuses études, les fêtes littéraires, sont toujours possibles, et réussissent au-delà des espérances et du mérite de ceux qui les provoquent, grâce à vous qui les aimez, qui les embellissez, qui les honorez dans notre chère ville de Versailles.

RAPPORT de M. ANQUETIL, Secrétaire perpétuel, sur les travaux de la dernière année académique.

Au premier rang des sciences inscrites dans le préambule de notre règlement, comme faisant l'objet de nos études, figure la philosophie, et ce rang qu'elle occupait de droit, longtemps elle l'a occupé de fait. Notre président vous le rappelait tout à l'heure en vous citant des noms qui ne sont pas sortis de votre souvenir; d'ailleurs, il suffit d'ouvrir la collection de nos Mémoires ou de lire les rapports annuels de votre secrétaire pour en avoir une preuve convaincante. Comment donc se fait-il que depuis une quinzaine d'années la philosophie n'ait plus guère brillé parmi nous que par son absence? Absence que je me croyais obligé de signaler au commencement de l'éclipse, mais dont j'avais renoncé à vous parler à mesure que l'éclipse se prolongeait. Suffirait-il, pour expliquer cette défaillance, de rappeler ou la mort ou l'éloignement successif de ceux d'entre nos collègues qui s'étaient voués particulièrement aux recherches et aux spéculations de la philosophie? Ne serait-il pas plus juste de l'imputer à des circonstances multiples qui pour un temps ont distrait les intelligences, alors que d'un côté le plus illustre des philosophes contemporains ne faisait plus que découper (comme on l'a dit) de la dentelle métaphysique aux genoux de Mme de Longueville; alors que d'un autre côté la philosophie, en butte à des ouragans déchaînés de tous les points de l'horizon, semblait sur le point de sombrer dans la tourmente, et voyait son nom même rayé des cadres de notre enseignement classique universitaire? Une telle recher

che m'entraînerait trop loin, et m'obligerait à sortir de mon rôle. J'ai toujours pensé que cette éclipse regrettable ne serait que temporaire; et en effet, il n'est pas donné à l'homme de changer sa nature Dieu l'a doué du besoin, du désir illimité de connaître, et cela dans la sphère du monde moral aussi bien que dans la sphère du monde matériel; l'homme veut savoir d'où il vient, où il va, pénétrer la cause et pénétrer la fin, plonger dans les ténèbres du passé, plonger surtout dans les ténèbres de l'avenir. Les sceptiques railleurs auront beau tourner en dérision son ambitieuse témérité, rien ne le détournera de sa voie. Le doute, comme on l'a dit, est-il un oreiller? J'ai peine à le croire, et, dans tous les cas, c'est un oreiller sur lequel on ne dort guère. La simple foi, la foi du charbonnier, dont je n'ai garde de médire, suffit-elle à nos besoins en tout temps, en toute chose? Peu de gens l'ont cru, peu de gens l'ont dit; et si ceux qui l'ont dit sont des sages, à coup sûr l'humanité ne les a pas suivis. Ne soyons donc pas surpris que les études et les discussions philosophiques se soient pour ainsi dire réveillées brusquement parmi nous, et non sans éclat, non sans passion. Il n'y a que l'indifférence et l'égoïsme qui ne s'enflamment point et qui trouvent la passion ridicule et déplacée.

M. Gustave Doublet a donc abordé résolûment la plus grave question philosophique qui s'agite de nos jours: je veux parler du conflit survenu, ou du moins rendu plus éclatant, entre les doctrines spiritualistes de la philosophie classique, et le matérialisme professé par tant d'adeptes des sciences naturelles; de ce conflit qui a inspiré à l'un de nos correspondants, jadis un de nos fondateurs, son beau livre intitulé: La Métaphysique et la Science. Vous n'attendez pas de moi que j'analyse ici les

communications, je pourrais dire les leçons de M. Doublet, ni les controverses que chacune d'elles a provoquées; il me suffira d'en faire ressortir l'esprit et le caractère.

La crise actuelle et les progrès du matérialisme scientifique, que M. Ravaisson me semble avoir eu le tort de contester, ont vivement préoccupé notre collègue: alarmé de ces progrès, il s'est demandé quel serait le moyen le plus efficace de les combattre, et il a conclu que le moyen le plus sûr, le moyen unique, ce serait de s'engager dans la même route, et de suivre la même méthode que la science, la méthode de l'observation, de la suivre sans trêve ni repos, et de ne s'en laisser écarter ni par les hypothèses, ni par les formules d'un dogmatisme préconçu. Il veut en un mot que le spiritualisme emploie exclusivement contre la science matérialiste les armes qui font la force de celle-ci. M. Doublet ne prétend certes pas que la méthode qu'il recommande avec une chaleur communicative, soit une chose nouvelle; mais il lui semble que, depuis Bacon et Descartes, la philosophie l'a quelque peu dédaignée; et il craint qu'en s'habituant trop aisément à considérer comme indiscutables des principes qui ne sont vivants et féconds qu'à la condition d'être éternellement discutés et démontrés, la philosophie n'ait donné beau jeu à des adversaires qui observent toujours, et se croient toujours obligés de soumettre les découvertes accomplies à la sanction de nouvelles expériences. L'expérience, voilà le drapeau arboré par le matérialisme contemporain; l'expérience doit être aussi le drapeau des spiritualistes qui le combattent.

Cette conclusion de M. Doublet a rencontré dans M. d'Urclé un ardent contradicteur, et je n'oserais pas

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