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Ayons le bon sens de ne pas faire attention à ces exagérations. Voyons la réalité des choses; et tout ce que nous sommes d'hommes de bonne volonté, mettons-nous à l'œuvre pour imprimer à l'enseignement populaire une salutaire direction; choisissons avec soin dans notre littérature les ouvrages qui peuvent être mis avec utilité dans les mains de nos élèves; multiplions-en les éditions afin de multiplier le bien qu'ils peuvent faire; mais aussi mettons-nous à l'œuvre pour écrire des livres proportionnés à ces intelligences à peine ouvertes, qui leur fassent faire pas à pas de véritables progrès dans la connaissance, dans l'amour et dans la pratique de la vérité et de la moralité. Instruisons-les pour eux-mêmes, en vue de leur profit et non pas au profit de nos ambitions ou du parti auquel nous appartenons. Développons leur intelligence, habituons-les à étudier, à se décider par euxmêmes en exerçant leur jugement sur des sujets, s'il en est encore, à l'abri de notre critique, hors de toute discussion. Et puis, quand ils seront assez forts pour juger, alors exposons-leur, s'il le faut, nos querelles et nos prétentions; ils choisiront en toute intelligence et en toute liberté.

C'est à l'œuvre ainsi entendue de l'enseignement populaire que les sociétés savantes pourraient s'associer. Habituées à rester dans leurs travaux en dehors des passions politiques et des questions religieuses, consacrées à l'étude de ces vérités pratiques sur lesquelles il ne peut pas y avoir de dissentiment, éclairées par l'histoire, elles sont en position de répandre l'enseignement populaire comme nous le comprenons. Nous savons d'ailleurs tout le prix des travaux qu'elles produisent. On trouverait dans leur sein des hommes dont la parole pourrait être vraiment féconde, dont l'intervention serait vraiment

utile à cette œuvre; mais, modestes travailleurs, ils craignent d'affronter la lumière; désintéressés, ils redoutent de voir leurs efforts mal compris, dénaturés sous le nom de manœuvres ambitieuses. Ils agiraient peut-être sous le patronage de la société à laquelle ils appartiennent. Ne pourraient-elles pas aussi exciter ceux de leurs membres que leurs études et leurs caractères rendent propres à ces travaux, à rédiger des livres d'éducation populaire? Cette tâche est digne qu'on y songe et qu'on l'entreprenne.

Bien entendue, elle inspirerait de nobles ouvrages. Un peuple, surtout quand il est intelligent et délicat, ne se nourrit pas volontiers de moralités enfantines. Ce sont des ouvrages plus substantiels qu'il lui faut, des traités de morale, des livres d'histoire, des pièces de théâtre où la raison éclairée, où la vérité et le patriotisme répandraient tour à tour et leurs lumières et leurs généreuses émotions. Si ce projet pouvait germer dans l'esprit et dans le cœur de nos littérateurs, une grande époque littéraire verrait bientôt le jour. N'est-ce pas à cette circonstance qu'ils parlaient à un peuple intelligent et délicat, que les grands écrivains d'Athènes ont dû le souffle puissant qui inspire leurs œuvres? Si élevées qu'elles fussent, le peuple d'Athènes les comprenait; en voulezvous une preuve décisive? Il applaudissait avec passion les œuvres d'Eschyle, non-seulement celles dans lesquelles il s'inspirait des souvenirs du patriotisme, célébrant les soldats qui avaient sauvé Athènes des Perses, ses ennemis, mais celles où il développait les plus hautes conceptions de la philosophie, peignant les luttes de Prométhée contre les dieux du paganisme, inflexibles et jaloux, qui voulaient entraver le développement de l'humanité, et appelant à son aide contre ces dieux grossiers

et indignes de leur rang la notion d'un Dieu de sagesse et de charité, qui vivait, quoique indécise, dans son âme généreuse.

RAPPORT sur les travaux de l'année académique 1866-1867, par M. ANQUETIL, secrétaire perpétuel.

MESSIEURS,

Un article de votre règlement impose à votre Secrétaire l'obligation de lire dans cette séance le résumé de vos travaux durant la dernière année académique. Votre règlement a-t-il tort? a-t-il raison? Je n'ai point à le discuter, mais à me soumettre. Les convenances me prescrivent d'être court, car un résumé est toujours aride, et je dois ménager la patience d'un auditoire pour lequel il ne sera guère attrayant. Un grand poète, faisant le portrait d'un juste, disait qu'il ne cherchait point à paraître tel, mais à l'être; je tâcherai d'être bref, bien assuré toutefois que je ne réussirai point à le paraître. Mais suppriprimons cet exorde; on serait en droit de me rappeler que voici bientôt vingt-cinq ans que je le fais.

Nos relations et nos échanges avec presque toutes les Sociétés académiques de France n'ont pas été moins actives que par le passé; vous regretterez seulement que les importantes publications de ces Sociétés n'aient pas

été plus souvent l'objet de rapports qui les auraient fait connaître non sans profit à ceux d'entre nous à qui leurs travaux quotidiens ne permettent pas de les lire. Si M. G. Renaud vous a entretenus des publications des Sociétés savantes d'Angoulême et d'Arras; M. Anquetil, des publications des Sociétés savantes de Caen, de Rouen, de Liége et de Bordeaux; M. Cougny, des publications des Sociétés de Nantes, de Poitiers, de Château-Thierry, de Saint-Quentin et de Marseille, combien d'autres attendent encore qu'un de nous les analyse et nous fasse profiter de son étude! En vérité ne mériterions-nous pas un peu que cette sorte d'indifférence ne fût punie par de semblables représailles?

La Révolution française a détruit bien des abus et sapé beaucoup de priviléges inconciliables avec ses principes; mais on ne peut méconnaître que plus d'une institution utile et salutaire ait sombré dans la tempête, et que l'accord de l'ordre et de la liberté soit encore à trouver dans l'ordre économique et social, aussi bien que dans l'ordre politique. M. Digard vous a rappelé que les anciennes corporations, incompatibles avec la liberté individuelle et supprimées comme oppressives, ne laissaient pas d'assurer à leurs membres une sécurité qui avait son prix, à l'industrie une protection qui n'entravait pas toujours le progrès, aux transactions du commerce une honnêteté qui compensait et rachetait bien des gênes; enfin, qu'elles préservaient la société d'oscillations et de soubresauts ruineux, et de coalitions tantôt sourdes et latentes, tantôt tumultueuses et bruyantes, toujours suspendues sur nos têtes comme une autre épée de Damoclès, troublant fatalement le présent et assombrissant l'avenir. Qu'y faire? Le passé ne renaîtra pas, et il faut bien que la liberté, qui vaut encore plus qu'elle ne coûte, apprenne

à se maîtriser et à se discipliner elle-même, si elle ne veut périr dans l'anarchie et dans le désordre.

Il n'est donc pas étrange que d'aussi graves sujets attirent et retiennent aujourd'hui les esprits les plus élevés chaque âge du monde a ses biens et ses maux, ses joies et ses soucis, et nul ne peut se soustraire aux préoccupations qui naissent spontanément autour de lui. Vous l'avez vu par la controverse animée qu'a suscitée dans plusieurs de nos séances l'analyse critique présentée par M. Chardon de l'ouvrage de M. Le Play, la Réforme sociale, ouvrage dans lequel l'éminent économiste, qu'on n'a point droit de classer parmi les rêveurs, énumérant les entraves qu'oppose au développement de la grande industrie moderne le régime auquel le Code Napoléon soumet indistinctement la grande et la petite propriété, n'hésite pas à condamner un régime condamné, dit-il, pour ses fruits, et à proposer de nouveaux modes de propriété, même pour le sol, au risque de seconder outre mesure le développement de cet esprit nomade qui envahit les populations instables, et dont le moraliste s'inquiète à bon droit.

Vous l'avez vu par la controverse non moins vive qu'a suscitée l'exposé fait par M. d'Urclé des résultats statistiques fournis par le dernier recensement, controverse dans laquelle la célèbre théorie de Malthus a trouvé, soit pour la réprouver, soit pour la soutenir, des adversaires ou des champions modérés mais ardents, courtois mais. non désarmés.

Enfin vous l'avez vu dans une autre controverse, née des controverses précédentes et peut-être plus vive encore, dans laquelle les limites apportées par le Code au droit de tester ont été signalées et condamnées par M. D'Urclé comme une restriction funeste aux droits

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