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grand nombre de villes, et dont cette enceinte n'a point perdu le souvenir.

Les voyages deviennent tous les jours plus faciles et plus communs, mais tout le monde ne sait pas également voyager. Les uns ne voient rien, n'observent rien; ils se déplacent par mode ou par inconstance: pour eux les plaines de la Beauce ou de la Champagne sont aussi pittoresques que les Alpes ou les Pyrénées, et revenus dans leurs foyers ils ne savent que comparer les wagons aux wagons, les tables d'hôte aux tables d'hôte. D'autres voyagent avec goût, avec profit, avec discernement, mais leur jouissance est égoïste et concentrée soit par choix, soit par impuissance de se communiquer. D'autres enfin doublent leur plaisir en le partageant avec d'autres et ravivent ainsi par leurs récits toute la fraîcheur de leurs premières impressions. Le voyageur devient alors cet Ulysse qui ne visitait les pays que pour en étudier l'esprit ou les mœurs, ou ce pigeon du bonhomme qui dit:

Je reviendrai dans peu conter de point en point

Mes aventures à mon frère;

Je le désennuierai : quiconque ne voit guère
N'a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint
Vous sera d'un plaisir extrême.

Je dirai j'étais là; telle chose m'avint,

Vous y croirez être vous-même.

Ce plaisir, plusieurs de nos collègues ne vous l'ont point envié.

Ainsi M. Digard vous a promenés tantôt dans ce lointain labyrinthe du vieux Paris auquel bientôt la postérité ne croira guère plus qu'à celui de Minos, tantôt sur les plages et dans les riches cités de la Neustrie ou sur les

falaises granitiques de l'Armorique, tantôt dans cette île délicieuse de Jersey, ce jardin d'Alcinoüs qui s'étonne de n'être pas français, tantôt enfin dans les monastères de la Péninsule ibérique, depuis le sommet des Alpes grecques ou pennines jusqu'au pied du Vésuve et de

l'Etna.

Sans être insensible aux beautés de la nature et de l'art, M. Digard vous a paru surtout préoccupé de questions morales et de souvenirs historiques. M. Ed. Chardon, en vous racontant son séjour à Florence et à Rome, s'est absorbé presque tout entier dans la contemplation et dans la description des merveilles enfantées par les artistes de la Renaissance.

M. Hueber, en vous esquissant les merveilleux progrès de la colonisation australienne et les transformations opérées tous les jours sur cette terre vierge par d'infatigables pionniers, en vous faisant assister aux rudes labeurs de ces aventureuses explorations où le désir de voir, où l'humeur inquiète, où l'attrait même du péril et de la souffrance précipite sans cesse l'homme épris de l'inconnu, était en droit de vous parler, comme le héros du poète, non-seulement des épreuves qu'il a vues, mais encore de celles dont lui-même a eu sa part, et quorum pars aliqua fui. Si le récit des voyages, de découvertes surtout, a des charmes irrésistibles même dans un livre muet, combien ce charme n'est-il pas plus grand quand le narrateur est là qui nous dit : j'y étais, souvent dénué de tout, souvent endurant la faim et la soif, souvent exposé à toutes les intempéries d'un ciel inclément, et me demandant non sans anxiété si jamais il me serait donné de revoir ma chère Argos.

En vous entretenant d'un curieux mais incomplet recueil des productions de la littérature populaire au moyen

âge, par M. Ch. Nisard, M. d'Urclé a examiné l'influence exercée par ce genre de composition sur les classes pauvres et ignorantes qu'elles peuvent éclairer et pofir, pourvu qu'elles soient saines et morales, abêtir si elles sont niaises et frivoles, dépraver si elles sont imprégnées d'idées fausses et inspirées par des passions basses et subversives. Quelle leçon pour un peuple que de lui enseigner chaque matin dans un feuilleton que la vertu ne recrute plus ses héros que dans la fange du bagne! Vous devez à M. Délerot un examen approfondi d'un livre tout récent de Daniel Stern, intitulé: Dante et Goethe; mais je ne sais si malgré tous les arguments d'une habile plaidoirie vous avez réellement démêlé entre les deux poètes cette affinité intime que l'auteur croit avoir aperçue. Je ne sais si vous avez été amenés à reconnaître, sous la majesté solennelle du Jupiter de Gotha, un de ces génies surhumains qui s'imposent à l'admiration de tous les peuples et de tous les âges. La faute en est peut-être aux défaillances de l'esprit français; on aura peine à nous convaincre néanmoins que les défauts de l'esprit allemand n'entrent point pour une forte part dans cette espèce d'antipathie résultant d'une incompatibilité d'humeur.

L'Académie française proposait, il y a quelque vingt ans, pour sujet de prix un Discours sur Voltaire. Ce terme, inusité dans les concours de ce genre, où le mot d'éloge semblait consacré par la tradition, surprit d'abord, puis on ne tarda pas à reconnaître comment il avait dû s'imposer de soi-même. La renommée de ce grand génie n'est point assez pure, et il a légitimement amassé sur sa tète trop de haines et de colères, il a suscité trop de panégyriques et trop d'admirations sincères et désintéressées pour qu'une certaine part de blâme ne

se mêle point à l'éloge. L'Académie ne pouvait demander qu'un jugement. On en peut dire autant de Chateaubrfand; le romancier et l'historien, le publiciste et l'homme d'État, le chef d'école et le drapeau du romantisme littéraire et religieux seront longtemps l'objet de discussions passionnées. Je n'en veux pas d'autre preuve que les séances qui ont suivi la lecture d'un essai de M. G. Renaud sur Byron, dans lequel celui-ci avait sévèrement jugé l'auteur des Martyrs. Dans la discussion provoquée par ce jugement qui n'a pas manqué d'approbateurs, M. de Lécuyer a répondu aux censures par une apologie presque sans réserve; M. G. Renaud a défendu son opinion par une sorte d'acte d'accusation générale, et M. Anquetil, en essayant de tenir la balance égale entre l'éloge et le blâme, n'aura probablement satisfait personne par cette espèce de transaction prématurée.

Vous devez à M. Cougny une étude de linguistique dont l'auteur, prenant pour texte la fable de Boileau, l'Huître et les Plaideurs, a exposé par quelles transitions faciles à reconnaître s'est opérée, dans les mots et dans les tours, la lente conversion du latin en français. Si notre langue est presque exclusivement latine, que penser de l'imprudence qui pousse à en amoindrir, sinon même à en supprimer l'enseignement?

Vous lui devez encore un examen très approfondi de deux poèmes de Béroald de Berville, intitulés : l'un le Moyen de parvenir, l'autre l'Idée de la République, poèmes encore rudes et informes, où manque le goût, la mesure, la proportion, mais qui n'en offrent pas moins à l'historien, au moraliste, au littérateur, au philologue surtout, plus d'un rapprochement aussi piquant qu'inattendu.

Enfin vous lui devez un essai sur quelques moralistes

un peu oubliés du xvi° siècle, et notamment sur Pibrac dont les Quatrains longtemps célèbres ne méritent certes, ni pour le fond ni pour la forme, l'espèce de discrédit où ils sont tombés.

Vous devez à M. Lacombe une étude sur la correspondance de Charlet, cet artiste plein de verve patriotique et primesautier, qui sut peindre avec la plume comme il parlait avec le crayon et le pinceau;

A M. Chappe, une étude sur M. de Serres, ce courageux citoyen qui fut sous la Restauration l'un des orateurs les plus respectés et qui firent le plus d'honneur à la tribune française;

A M. Alf. Dufaure, un essai sur la vie et les œuvres de Reboul, le boulanger poète dont Nîmes s'honore à bon droit, et que le suffrage populaire précipita malgré lui, en 1848, dans des honneurs pour lesquels son tempérament n'était guère trempé ;

A M. Montalant-Bougleux: 1° un discours moitié historique, moitié philosophique, intitulé l'Arbre de Wellington; 2° un rapprochement littéraire entre Millevoye et Victor Hugo à propos de deux pièces de vers assez semblables de fond, assez différentes de forme les Plaisirs du poète, par l'un; le Poète est un riche, par l'autre.

M. H. Durand vous a lu de nouveaux fragments de son grand travail sur Erasme. Il vous a exposé quelles étaient les idées de ce puissant esprit sur l'instruction telle qu'elle était donnée de son temps, et de quelles heureuses réformes son irrésistible ascendant hâta l'accomplissement. Il vous a montré l'autorité et l'activité du hardi mais prudent novateur s'étendant non-seulement sur la France, sur l'Angleterre et sur l'Allemagne, mais encore sur l'Italie, où pourtant il semblait que l'amour

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