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incarnant pour ainsi dire dans un drame de la vie réelle, au risque de s'engager dans des digressions abstraites que le goût français admet malaisément dans une œuvre d'art. Sans se dissimuler aucun de ces défauts, M. Délerot vous a signalé les plus remarquables beautés de l'ouvrage sagacité d'observation, noblesse de pensées, brillantes qualités de narrateur et de peintre. Il serait à souhaiter, vous a dit M. Délerot en terminant son étude, que nos romanciers, sans partager les doctrines très contestables du disciple de Spinoza, eussent autant de dignité dans leurs conceptions, et le même soin scrupuleux dans l'exécution. Il y a dans cette œuvre plus d'une utile leçon dont il serait très opportun que nos compatriotes voulussent bien profiter, et voilà les véritables et fructueux emprunts qu'il siérait à notre littérature de faire à l'Allemagne.

Encore que souvent les littératures épuisées se fassent l'une à l'autre des emprunts pour se rajeunir, il est difficile cependant qu'on puisse jamais faire le sacrifice complet de son originalité. Français, Anglais, Allemands, auront beau franchir le Rhin ou passer le détroit, imiter Fielding, Goethe ou Lesage, chacun n'en conservera pas moins l'empreinte nationale. C'est une vérité qui ressort avec la dernière évidence de l'étude dans laquelle M. de Binzer s'est attaché à comparer les romans allemands avec les nôtres et avec les romans anglais.

Plusieurs d'entre nous vous ont entretenus de quelquesunes des pièces les plus marquantes du théâtre contemporain M. Digard vous a parlé du Comte Jacques, par M. Gondinet, et des Sceptiques, dont le titre véritable serait peut-être les Roues; M. Anquetil vous a parlé du dernier succès théâtral de M. Émile Augier, Paul Forestier, cette œuvre si hardie, si scabreuse, si contro

versée, dont les données choquent si étrangement la nature et les idées reçues, et qui dans certaines parties semble comme un défi jeté au public afin de connaître la mesure de la licence qu'il peut autoriser, qu'il peut même applaudir.

Les œuvres de M. Aristide Lomon, notre correspondant, lesquelles se composent pour la plus grande partie de drames et de comédies non représentées, ont également fourni à M. Anquetil le sujet d'une communication dans laquelle il vous a montré que le jeune poète a déjà donné mieux que des espérances, et que, lorsqu'il aura acquis l'expérience de la scène, il pourra prétendre à des succès de bon aloi, et qu'avoueront également l'art et la morale.

M. Digard vous a fait connaître une œuvre inédite de M. Nadaud, intitulée Compte du Garde, dans laquelle vous avez retrouvé la verve du chansonnier et les fines observations de l'auteur d'une Idylle.

Vous devez à M. Gueullette, l'un de ces absents qui ne nous ont pas oubliés, une nouvelle intitulée le Roman de la Fauvette.

A ceux qui ne se rappelleraient pas le mouvement national et libéral que fit éclater en Allemagne le désastre essuyé par la France en 1812, et d'un autre côté les déceptions amères éprouvées par les patriotes allemands quand leurs princes mentirent à qui mieux mieux à leurs promesses libérales, il suffirait de rappeler l'histoire du XIXe siècle de Gervinus, si fidèlement traduite par l'un de nos concitoyens. La poésie y mêla sa voix aux protestations du patriotisme germanique, et la Burschenschaft compta parmi eux d'énergiques interprètes. M. de Binzer nous a raconté la part que son père prit à ce réveil précoce peut-être mais significatif de l'opinion, et

vous a fait connaître par une traduction deux de ses poèmes lyriques: la Bannière tricolore et le Chœur des étudiants libres, hymnes vraiment nationaux, peinture vivante des idées et des espérances d'une époque que sépare de nous un demi-siècle, mais que les faits accomplis en Allemagne depuis quelques années rendent pour ainsi dire présente et contemporaine.

Vous devez à M. Jeandel une composition lyrique destinée au théâtre et intitulée: Scènes arabes;

A M. Courteville, un apologue dont le titre est bien ancien le Lion devenu vieux;

:

A M. Noël, un apologue intitulé les Deux Chevaux de course, qui vous a été lu dans la dernière séance solennelle;

A M. Anquetil, des couplets dont quelques-uns avaient été lus par lui dans le banquet fraternel qui réunit chaque année les anciens élèves de notre Lycée;

A M. Letourneur, quelques stances intitulées: Espé

rance;

A M. Montalant-Bougleux: 1° la traduction en vers de la septième idylle de Claudien, sur les Statues des deux frères Anapius et Amphinomus, dans la ville de Catane; 2o une pièce intitulée : Une Table de jeu, dédiée par l'auteur à notre collègue M. Emile Deschamps, et accompagnée d'un gracieux envoi à Mme L. P*** qui l'avait brodé pour son oncle; 3° une pièce intitulée : le Monument de Charlemagne à Liège (on sait que le lieu de la naissance du grand empereur est contesté, mais que les prétentions de Liége sont jusqu'à présent les mieux justifiées); 4° une autre pièce intitulée: A la reine Berthe en résidence dans le monument de Charlemagne, œuvre émanée de la même inspiration que la précédente, et que notre collègue, ancien élève du lycée de Liége, a dédiée comme

l'autre à une ville demeurée la plus française entre toutes les villes de la Belgique; 5° le Centenaire de Hoche; 6o une dernière pièce intitulée : la Puissance des vers, anecdote tirée de la biographie de Millevoye, et dont il vous sera donné tout à l'heure une nouvelle lecture.

RAPPORT sur le Prix Caron (prix de vertu),
par M. CHARDON.

MESSIEURS,

Cette année, comme les précédentes, vous avez ouvert un concours pour un prix de vertu,

Vous avez fait annoncer que, dans votre séance solennelle de 1868, vous décerneriez une médaille de 100 fr. à une personne du département de Seine-et-Oise, appartenant à la classe ouvrière ou domestique, qui se serait fait remarquer par un acte de dévouement et par sa persévérance dans une conduite exemplaire.

Votre appel a été entendu. Quatre demandes vous ont été adressées, et Versailles, qui généralement présentait seul des candidats, a comme en 1867 cédé la place au reste du département.

Tous les candidats sont dignes de la démarche dont ils ont été l'objet; mais tous ne la méritaient pas au même degré.

Une demande surtout a fixé principalement votre attention.

Il ne s'agit point cependant d'un de ces traits d'héroïsme, d'un de ces sacrifices soudains que le cœur toujours généreux approuve, mais que la raison plus froide n'aurait peut-être pas conseillés.

Non! vous êtes en présence de la vertu modeste et peu bruyante d'un ouvrier, et c'est sa persévérance dans une conduite vraiment méritoire, qui l'a recommandé à vos suffrages.

Bontemps (Jean-Baptiste), né à Montesson, canton d'Argenteuil, en 1792, est âgé de 76 ans, et il travaille

encore.

Dans sa jeunesse, il exerçait à Paris la profession d'ouvrier passementier. En 1822, il vint se fixer à SaintGermain avec sa femme et ses trois enfants: ses économies, fruit de son travail, lui permirent d'établir deux métiers.

Sa petite industrie prospérait les métiers fournissaient un aliment de travail à toute la famille, lorsqu'à la révolution de 1830 succéda, dans la passementerie, une autre révolution qui supprimait l'usage des articles que fabriquait Bontemps: il fallut abandonner les métiers!

Bontemps avait alors 40 ans, sept enfants l'entouraient, et le temps d'apprendre un nouvel état lui faisait défaut, car il s'agissait avant tout d'avoir du pain.

Bontemps n'hésite pas bien qu'habitué à des travaux peu pénibles, il se présente comme ouvrier maçon chez un entrepreneur de Saint-Germain, et il y a aujourd'hui plus de 35 ans qu'il travaille chez ce même patron, sans avoir pris un seul jour de repos, sans avoir donné lieu au moindre reproche.

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