Page images
PDF
EPUB

Fléau contagieux, marée envahissante

Qui monte chaque jour, terrible et menaçante;
Qui, lorsque devant elle on ne sait que ployer,
Bat en brèche l'amour et l'honneur du foyer.
Mais faut-il, après tout, misanthrope et morose,
Voir un hideux insecte au cœur de chaque rose!
Dans cette sombre nuit que fait la vanité
La raison fait encor jaillir quelque clarté.
En soit loué le Ciel ! Il est plus d'une mère
Qui garde dans son âme une tendresse austère;
Dont l'amour n'est jamais aveuglé par l'orgueil;
Qui met tout son honneur à sauver de l'écueil
Ces frêles cœurs d'enfant, vivantes sensitives
Qu'un souffle peut priver de leurs vertus natives,
Mais qui, faites d'avance à la simplicité,
Seraient fortes un jour devant l'adversité.
Celle qui pense ainsi, modeste créature,
Est l'ange du foyer dont parle l'Écriture,

La Moitié de l'Epoux, qui, la main dans sa main,
De la vie avec lui gravit le dur chemin ;
Dont l'amour le relève aux jours des défaillances,
Et rend à son esprit ses premières vaillances;
Jusqu'à l'heure suprême où l'un des deux époux
A l'autre, dans le ciel, va donner rendez-vous!

ANECDOTES

TIRÉES

DU JOURNAL DE NARBONNE

Premier Commissaire de Police de Versailles.

PAR M. J.-A. LE ROI.

Ce qui fait le charme et l'attrait des mémoires historiques, c'est d'y voir les personnages comme ils sont le plus souvent dans la vie

ordinaire, avec leurs passions, leurs craintes, leurs espérances, posant, pour ainsi dire, devant nous, au milieu d'une société dont on saisit plus facilement les mœurs et les préjugés. Souvent ces mémoires ne sont qu'une longue apologie du personnage qui les a écrits, ainsi que nous le voyons dans la plupart de ceux de notre époque; mais il en est d'autres où l'écrivain, s'effaçant complétement, se borne à raconter ce qu'il a vu, ce qu'il a entendu, tenant en quelque sorte un journal quotidien de tout ce qui se passe autour de lui, recueillant précieusement les anecdotes, les conversations, tous ces mille petits faits dédaignés par l'histoire, et faisant ainsi assister le lecteur à toutes les joies, les colères, les espérances diverses qui constituent la vie intime de chaque époque.

Deux publications, faites dans ces derniers temps, sont surtout intéressantes en ce qu'elles racontent toutes les nouvelles plus ou moins exactes de leur époque, et qu'écrites par des membres de cette classe moyenne, dont le rôle était alors si secondaire, les amèrès réflexions dont elles sont souvent accompagnées font sentir l'impatience du joug que cette classe subissait, et le rôle important qu'elle s'apprêtait à jouer. C'est le Journal de l'avocat Barbier et le Journal d'un bourgeois de Paris, de 1766 à 1798, publié par Didot. La Bibliothèque de la ville de Versailles possède une collection manuscrite d'un intêrêt peut-être plus grand que les deux publications dont je viens de parler, à cause de la position de son auteur, vivant à Versailles même, dans le séjour de la cour, et tout près, non-seulement des grands seigneurs, qu'il pouvait suivre pas à pas, pour ainsi dire, tous les jours, mais encore au milieu de leur entourage, de cette armée de valets de toute espèce qui encombrait alors notre ville, et où l'on pouvait facilement recueillir les renseignements les plus curieux sur la vie des maîtres; c'est la Collection et le Journal de Narbonne.

Narbonne fut le premier commissaire de la ville de Versailles. Venu fort jeune dans cette ville, du vivant de Louis XIV, il fut d'abord quelque temps huissier; puis il abandonna sa charge, pour entrer dans les bureaux du Domaine de Versailles. Blouin, premier valet de chambre du roi, était alors gouverneur de Versailles. C'était un homme de beaucoup de capacité, actif, et qui fit un bien

infini à notre ville. Le gouverneur était chargé de la police, et, sous Louis XIV, elle avait été confiée à des agents secondaires. Blouin sentit la nécessité de la centraliser, et ayant remarqué le zèle et l'intelligence de Narbonne, il le nomma commissaire de police, sous l'autorité du Bailli de Versailles. Narbonne était un de ces hommes d'ordre, qui recueillent et classent méthodiquement tous les papiers plus ou moins intéressants qui leur tombent sous la main. On conçoit que dans la place qui venait de lui être donnée, ce goût devait trouver toute sa satisfaction. Aussi lois, lettres-patentes, arrêts du Conseil, arrêts du Parlement, jugements, décisions du bailli, pamphlets, caricatures, etc., il recueillit tout, classa tout, et en forma un recueil composé de 25 volumes in-4°. Mais la partie surtout intéressante de ce recueil, c'est ce qu'il a écrit lui-même, ce sont les anecdotes qu'il raconte, les faits qui se sont passés sous ses yeux et les réflexions, souvent originales, dont il les accompagne. Cette partie, un peu disséminée dans tous les volumes, je l'ai recueillie, classée par année et par mois, et j'en ai fait un recueil que j'ai intitulé Journal de Narbonne, et dont j'ai communiqué de nombreux extraits à la Société.

Pour vous donner aujourd'hui une légère idée de ce journal, je vais avoir l'honneur de vous lire deux petites anecdotes que Narbonne raconte sur le duc de Vendôme.

On sait qu'en 1708, Louis XIV mit le duc de Bourgogne à la tête de son armée de Flandre. Le duc de Vendôme commandait sous ce prince. Ils eurent tous deux de vives discussions, dans lesquelles le duc de Vendôme ne put retenir quelques paroles assez vives qui blessèrent le duc de Bourgogue. La campagne fut malheureuse eton l'attribua généralement à ce que les conseils du duc de Vendôme n'avaient pas été suivis. Les deux princes revinrent à la Cour, mais restèrent brouillés. C'est à cette occasion que Narbonne raconte l'anecdote suivante :

« La mésintelligence continuait de régner entre le duc de Bourgogne et le duc de Vendôme, depuis leur arrivée à la Cour. Un jour, pendant un voyage de Marly, le duc de Vendôme vint dans un salon où se trouvait à jouer la duchesse de Bourgogne, En le voyant

entrer, la duchesse dit assez haut: Verrai-je donc toujours l'ennemi de mon père et de mon mari? Ce qu'ayant entendu le duc de Vendôme, il lui répondit vivement : Non, madame, je ne suis l'ennemi personnel ni de l'un ni de l'autre ! mais si le roi, mon maître, m'eût laissé faire, j'aurais réduit votre père à de telles extrémités, qu'il n'eût pu nuire à personne ! et quant à votre mari, j'ai voulu lui faire acquérir de la gloire ; ce n'est pas ma faute s'il n'a pas voulu.

Après cette réponse si fière, le duc de Vendôme se retira, et partit aussitôt pour Anet.

Le soir, au souper, le roi ne voyant pas le duc de Vendôme, et l'ayant demandé, on se contenta de lui répondre qu'il était parti pour Anet, et rien de plus, parce que le duc et la duchesse de Bourgogne étaient à table avec Sa Majesté. Mais plus tard, an petit coucher, un courtisan lui ayant raconté tout ce qui s'était passé, le roi envoya aussitôt plusieurs seigneurs auprès du duc de Vendôme. Ils partirent la nuit même et arrivèrent à Anet quelques heures après le duc.

Parmi ces seigneurs, se trouvait le comte de Chémerault. Jusqu'alors Chémerault avait été considéré comme le toutout du duc de Vendôme, et c'était lui qui ordonnait tout à Anel. Le duc avait toute confiance en lui, et il fut extrêmement surpris, lorsque le roi. quelques jours avant la scène de Marly, lui remit les lettres que le même Chémerault avait écrites à Sa Majesté pendant le siége de Lille, à l'instigation du duc de Bourgogne, contre le duc de Vendome.

Dès que le duc l'aperçut, il le prit à part et l'emmena dans les jardins. Quand ils furent seuls, le prince lui dit : Chémerault, l'on m'a dit que vous aviez écrit au roi contre moi, mais je n'en ai rien voulu croire. Dites-moi la vérité, et si vous l'avez fait par complaisance pour le duc de Bourgogne, avouez-le moi et je vous jure, parole de prince, de l'ensevelir dans un éternel oubli. Ah! monseigneur, répondit Chémerault, Votre Altesse peut-elle me soupconner d'une pareille perfidie, moi qui lui ai tant d'obligations et qui ne serais rien sans elle ! Je ne vous soupçonne point, réplique le duc de Vendôme, mais je veux que vous me disiez la vérité,

-

et, je vous le répète, je l'aurai aussitôt oublié. Chémerault s'opiniatra et nia toujours qu'il eût écrit ces lettres. Le prince le pressait d'en faire l'aveu, car il n'attendait que cet aveu pour lui pardonner. Pendant ce temps on avait servi le dîner, et quelques-uns des seigneurs qui étaient restés au château, étonnés de ne point les voir revenir, étaient entrés dans le jardin pour les chercher. Le duc de Vendôme, qui les aperçut de loin, pressa de nouveau Chémerault. Vous ne voulez donc rien m'avouer, monsieur, j'en suis fâché pour l'amitié que j'ai toujours eue pour vous! Mais Chémerault protestant encore qu'il n'en était rien: Tenez, monsieur, lui dit alors le duc de Vendôme, en tirant de sa poche les lettres que le roi lui avait remises, et les lui montrant, voilà la preuve qne vous êtes un misérable. Tout autre que moi vous ferait jeter dans ce canal ; retirezvous et ne paraissez jamais devant moi. Chémerault se jeta alors à ses genoux et balbutia quelques paroles pour demander pardon, mais le duc de Vendôme lui tourna le dos sans vouloir l'écouter, alla rejoindre sa compagnie et se mit à table.

Pendant le dîner, quelques-uns des seigneurs, inquiets de ne point voir revenir Chémerault, demandèrent au duc de Vendôme ce qu'il était devenu. Le prince leur répondit, avec beaucoup de tranquillité, que Chémerault n'était point venu pour rester, mais seulement pour lui parler d'une affaire particulière qui l'obligeait à retourner promptement à la Cour; qu'il avait fait tout ce qu'il avait pu pour le retenir à dîner, mais qu'il n'avait pu l'y engager, quelque instance qu'il lui en eût faite. Ils prirent cette réponse pour argent comptant, et n'en parlèrent plus. Chémerault ne retourna point à la Cour à Marly, mais s'en alla droit à Paris.

Les personnes qui ont su ces détails ont admiré la grandeur d'âme du duc de Vendôme, qui lui fit ainsi donner le change aux autres seigneurs, sur ce qui venait de se passer entre lui et Chémerault, afin de conserver la réputation que cet officier s'était acquise dans différentes actions.

Le roi réconcilia plus tard le duc de Bourgogne avec le duc de Vendôme, puis il maria ce prince avec mademoiselle de BourbonCondé, en 1710. »

L'autre anecdote est d'un tout autre genre, et le théâtre pourrait

« PreviousContinue »