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LA LOI DES SUSPECTS.

LA DÉCLARATION DES DROITS renfermait à elle seule l'immense rénovation qni venait de s'accomplir. C'était l'Evangile de cette génération ardente, croyante, enthousiaste, qui avait foi dans le règne de la raison, dans le retour à la nature, à la fraternité primitive, et qui saluait avec attendrissement ce qu'elle croyait être l'avénement de la vertu, de la justice, de l'âge d'or légal sur la terre. L'inscription des droits de l'homme sur les Tables de la Loi, tel fut le verbe par excellence de la Révolution dans l'expansion de sa jeunesse, le Credo de sa religion, le legs le plus durable qu'elle nous ait laissé sous le nom de conquêtes de 1789.

Mais à ces jours si radieux succéda bientôt, vous le savez, une ère de violences et de fureurs sanguinaires. D'où vint cette guerre fratricide entre des hommes qui naguère marchaient ensemble vers les mêmes et sublimes utopies? C'est qu'une défiance mutuelle et meurtrière s'empara fatalement de tous les esprits, sans distinction, aucun parti ne croyant à la sincérité du parti contraire; ceux même qui partagent des idées identiques se soupçonnent, se dénoncent, se poussent à l'échafaud.

Cette phase sinistre de la Révolution se résume dans le CODE DES SUSPECTS. La fureur de l'incrimination organisée en lois féroces, c'est la négation de la Révolution qui retourne aux abus qu'elle avait pour mission de détruire. La Convention revient aux traditions de Louis XI, de Richelieu, de Letellier, aux vieux errements de la barbarie parlementaire. On demande le rétablissement de la torture (Pâris, Charlotte de Corday, Admiral), des supplices raffinés (les mêmes); on renouvelle le bannissement, la confiscation, les peines où la superstition se mêle à l'ignominie; on traîne les cadavres à l'échafaud damnata memoria (Valazé); on démolit la maison de Buzot et on élève à sa place un poteau infamant comme pour Jean Châtel (1).

(1) Depuis que ces lignes ont été écrites, M. Berriat-Saint-Prix a publié, dans le Cabinet historique, un article du plus haut intérêt où il prouve que, le 27 brumaire an 11, le tribunal révolutionnaire de Paris a condamné à mort et fait exécuter un chien! Le procès-verbal d'exécution du malheu

L'ordonnance criminelle de 1670, par une sorte de dérision cruelle, confiait à la religion des juges le soin de défendre les accusés, et, sous ce prétexte, leur refusait l'assistance d'un conseil. La loi du 22 prairial, par une ironie non moins barbare, donne pour défenseur aux patriotes calomniés des jurés patriotes. Fouquier-Tinville ressuscite Laubardemont et Pussort, et la terreur enfante la contre-révolution en voulant en prévenir le retour. La profanations des principes de la défense reste un des stigmates les plus tristes de cette sanglante époque, un affligeant contraste avec la Déclaration des droits, le démenti de 1789 par 1793.

L'Empire, qui succède à la Révolution et à la République, peut se mesurer de deux manières : par la Carte qu'il s'était tracée avec le glaive, par les Codes qu'il a inscrits au Bulletin des Lois. Sa Carte gigantesque a disparu, effacée par la tempête; l'édifice colossal de ses Codes est resté debout et domine de toute sa hauteur l'Enrope qui, en échappant à nos armes, est restée soumise à nos lois. C'est que, de ces deux œuvres, l'une émanant de la force était transitoire comme elle, tandis que l'autre, fille du droit, est restée impérissable comme lui. C'est donc dans la codification que se trouve l'expression la plus exacte de la véritable grandeur du premier Empire (4), tant il est vrai que les conquérants et les fondateurs de tous les temps ont rendu cet hommage à la législation, qu'elle est la con

reux animal existe au dossier, carton 296, dossier 253, archives de l'Empire. Ce fait, qui nous était inconnu lorsque ce discours fut prononcé, nous semble être une preuve curieuse à l'appui de l'idée que nous avions émise sur le retour de la Révolution, par ses excès, aux préjugés du moyen-âge en matière pénale.

(1) On pourrait y trouver la peinture des mœurs et de l'état social se reflétant dans un grand nombre de dispositions caractéristiques du temps; nous ne citerons qu'un article qui retrace jusqu'aux modes de l'époque. En principe le Code refuse toute action pour dette de jeu ou paiement d'un pari; mais, ajoute l'art. 1966, « les jeux propres à exercer au fait des armes, les courses à pied ou à cheval, les courses de charriot, le jeu de paume et autres jeux de même nature qui tiennent à l'adresse et à l'exercice du corps, sont exceptés de la disposition précédente. » Les courses à pied dans le champ de mars existaient encore. C'est bien la même géné

sécration suprême de leur gloire : témoins le Code universel entrevu par Jules César, les Capitulaires de Charlemagne, les Établissements de Saint-Louis, les Édits de Charles Quint, les Ordonnances de Louis XIV, celles du grand Frédéric, les cinq Codes de Napoléon !

La trace d'une révolution se cache parfois dans la ligne du moindre texte quelle distance y a-t-il entre la Charte de 1814 et celle de 1830? La première était promulguée par concession, dit le préambule, et octroi de l'autorité Royale; la seconde supprime cette préface injurieuse pour la dignité de la nation, et, dans cette suppression d'une phrase, il n'y a pas seulement un changement de dynastie, il y a toute la différence qui sépare le dogme suranné de la légitimité et le principe de la souveraineté nationale.

Je m'arrête au seuil des temps modernes. Qu'il me soit permis toutefois de rendre cet hommage à notre époque, qu'elle n'a pas manqué à sa mission, et qu'un jour nos lois témoigneront devant la postérité que nous aussi nous avons apporté à l'œuvre du progrès le tribut de nos efforts. Sans doute l'industrie, les affaires, les intérêts pécuniaires, qu'on nous reproche souvent comme une sorte de matérialisme, y trouvent un immense développement, mais ce qu'il faut dire à l'honneur de notre génération, c'est qu'elle a réalisé par le Droit la tâche que tant de siècles que nous venons de parcourir avaient laissée ébauchée : l'abolition définitive de l'esclavage, le renversement de l'échafaud politique, présage de la suppression complète de la peine de mort, ce dernier terme des réformes demandées par l'humanité au Droit pénal. Sans doute le beau décret de 1848 a été momentanément effacé; mais qu'importe ? nous le savons, le progrès ne recule que pour mieux avancer. Nous avons vu disparaître la mutilation, la marque, l'exposition, les bagnes, la peine suprême est condamnée elle-même à une fin prochaine; ce n'est plus qu'une question de temps, question dont la solution progressive s'opérera avec l'adoucissement des mœurs et l'abaissement

ration où un meuble s'appelait une psyché; un collége, un lycée; un théâtre, l'odéon, et où le goût de l'antique régnait dans la langue comme l'école de David, dans l'art. De nos jours, au contraire, le pari s'est presque naturalisé avec le sport et les habitudes anglaises.

de la criminalité qui chaque jour diminue sous nos yeux, grâce à la vigilance de l'Administration et de la Justice.

Messieurs, je vous disais en commençant le Droit est l'expression la plus saisissante des sociétés humaines. Après cette longue revue que nous avons faite ensemble, nous pourrions renverser la proposition et dire : l'histoire du monde n'est en réalité que la plus haute expression du Droit. Propositions identiques, également vraies, également consolantes puisqu'elles nous montrent la réalisation de la notion du Droit comme la fin dernière de l'humanité icibas. Lorsqu'en effet cette humble maxime du légiste: Suum cuique aura reçu son exécution complète, lorsqu'elle se sera incarnée depuis la base jusqu'au sommet des empires, et qu'elle sera de venue une vérité universelle, le progrès humain sera à son terme, le livre de l'histoire sera fermé, les destinées du monde seront accomplies. Ce n'est pas sans doute à nous qu'il est réservé de contempler ces résultats lointains de la marche du Droit sur la terre; mais nous pouvons du moins les proclamer comme un article de notre foi, comme l'espoir de nos convictions, et aussi comme notre excuse pour avoir si longtemps abusé de votre attention bienveillante.

RAPPORT sur les Travaux de la Société, depuis le 17 mai 1861 jusqu'au 8 août 1862, par M. ANQUETIL, Secrétaire perpétuel.

« Les premiers fondateurs de notre Société ne se sont point trompés dans leurs augures ni dans leurs espérances. Vous avez grandi parmi les travaux sérieux et dans le doux commerce de l'étude. Une partie des ouvriers de la première heure ont disparu, mais plusieurs survivants d'une époque déjà si éloignée maintiennent ici les traditions, accroissent l'honneur d'une fondation utile aux lettres, aux sciences, à la morale, à tous les intérêts de notre belle cité. »

Ainsi vous parlait, il y a quelques mois, M. Théry, l'homme qui fut

avec les Bouchitté, les Caron, les Balzac, l'un des plus actifs fondateurs de notre Société, et qui fut appelé le premier aux honneurs de la présidence. Emané d'une bouche aussi autorisée que la sienne, un pareil témoignage est un de ceux dont nous avons droit d'être fiers; j'ai la conviction que le rapport que je vais vous lire sur les travaux de la dernière année ne le démentira pas.

Vos relations avec les Sociétés savantes de l'Empire deviennent chaque année plus nombreuses, et leurs publications donnent souvent lieu à des rapports pleins d'intérêt. MM. Marchand, Gourgaud, Anquetil, Loz de Beaucours, Doublet, Mugnot de Lyden, Cougny. Boniteau, Ploix, vous ont rendu compte des derniers volumes publiés par les Académies de l'Oise, du Gard, de Rouen, de Caen, de Dijon, de Nancy, d'Aix, de Bordeaux et d'Arras. Dans l'impuissance d'indiquer, même sommairement, les sujets si variés traités dans ces rapports, permettez-moi de vous signaler, comme un véritable service rendu aux lettres aussi bien qu'à l'histoire, la publication faite par l'Académie d'Arras de l'ambassade de Jean Sarrazin, abbé de Saint-Wast, en Espagne et en Portugal, en 1582, par Philippe de Caverel. Quelque intérêt qui s'attache à la publication des travaux qui vivifient les séances des Académies, la publication d'une œuvre telle que celle de Philippe de Caverel est d'un ordre supérieur. Du reste notre Société est entrée dans la même voie en publiant dernièrement le Journal de la santé de Louis XIV, annoté et accompagné d'une savante introduction de M. Le Roi. Espérons que cette publication ne sera que le prélude de bien d'autres : le manuscrit de Narbonne n'attend qu'un moment favorable pour voir le jour, et, si nos ressources le permettaient, M. Le Roi serait prêt à publier ses recherches sur les dépenses faites par Louis XIV pour la construction, la décoration et l'ameublement du Palais de Versailles et de ses dépendances. Que notre Société prospère; que le nombre de ses membres continue de s'accroître; que la ville, le département, l'Etat secondent ses efforts; que le public réponde à notre appel comme il l'a déjà fait pour la publication de l'Histoire des rues de Versailles, l'œuvre sera facile, et notre collègue recevra la plus légitime et la plus flatteuse récompense de tant de travaux si désintéressés.

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