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Bellac se peut vanter d'avoir eu un prévôt aussi hardi et aussi pendable qu'il y en ait.

Autant que l'abord de cette ville est fâcheux, autant elle est désagréable; ses rues vilaines, ses maisons mal accommodées et mal prises. Dispensez-moi, vous qui êtes propre, de vous en rien dire. On place en ce pays-là la cuisine au second étage. Qui a une fois vu ces cuisines, n'a pas grande curiosité pour les sauces qu'on y apprête. Ce sont gens capables de faire un trèsméchant mets d'un très-bon morceau. Quoique nous eussions choisi la meilleure hôtellerie, nous y bûmes du vin à teindre les nappes, et qu'on appelle communément la tromperie de Bellac. Ce proverbe a cela de bon que Louis XIII en est l'auteur.

Rien ne m'aurait plu sans la fille du logis, jeune personne et assez jolie. Je la cajolai sur sa coiffure : c'était une espèce de cale à oreilles, des plus mignonnes, et bordée d'un galon d'or large de trois doigts. La pauvre fille, croyant bien faire, alla quérir aussitôt sa cale de cérémonie pour me la montrer. Passé Chavigny, l'on ne parle quasi plus français; cependant cette personne m'entendit sans beaucoup de peine. Les fleurettes s'entendent par tous pays, et ont cela de commode qu'elles portent avec elles leur trucheman. Tout méchant qu'était notre gîte, je ne laissai pas d'y avoir une nuit fort douce. Mon sommeil ne fut nullement bigarré de songes comme il a coutume de l'être si pourtant Morphée m'eût amené la fille de l'hôte, je pense bien que je ne l'aurais pas renvoyée : il ne le fit point, et je m'en passai.

M. Jannart se leva devant qu'il fût jour; mais sa diligence ne servit de rien, car, tous nos chevaux étant déferrés, il fallut attendre ; et, pour mes péchés, je revis les rues de Bellac encore une fois. Tandis que je faisais presser le maréchal, M. de Châteauneuf, qui avait entrepris de nous guider ce jour-là, s'informa tant des chemins, que cela ne servit pas peu à lui faire prendre les plus longs et les plus mauvais. De bonne fortune notre traite n'était pas grande : comme Limoges n'est éloigné de Bellac que d'une petite journée, nous eûmes tout loisir de nous égarer; de quoi nous nous acquittâmes très-bien, et en gens qui ne connaissent ni la langue ni le pays.

Dès que nous fûmes arrivés, mon fidèle Achate (qui pourrait-ce être que M. de Châteauneuf ?) disposa les choses pour son retour, et choisit la voie du messager à cheval qui doit partir le lendemain. Je fus fâché de ce qu'il nous quittait sitôt, car, en vérité, il est honnête homme, et sait débiter ce qui se passe à la cour

de fort bonne grâce: puis il me semble qu'il ne fait pas mal son personnage dans cette relation. Désormais nous tâcherons de nous en passer, avec d'autant moins de peine qu'il ne reste à vous apprendre que ce qui concerne le lieu de notre retraite : cela mérite une lettre entière (1).

En attendant, si vous désirez savoir comme je m'y trouve, je vous dirai : assez bien; et votre oncle s'y doit trouver encore mieux, vu les témoignages d'estime et de bienveillance que chacun lui rend, l'évêque principalement : c'est un prélat qui a toutes les belles qualités que vous sauriez vous imaginer; splendide surtout, et qui tient la meilleure table du Limousin. Il vit en grand seigneur, et l'est en effet. N'allez pas vous figurer que le reste du diocèse soit malheureux, et disgracié du ciel, comme on se le figure dans nos provinces. Je vous donne les · gens de Limoges pour aussi fins et aussi polis que peuple de France : les hommes ont de l'esprit en ce pays-là, et les femmes de la blancheur mais leurs coutumes, façons de vivre, occupations, complimens surtout, ne me plaisent point. C'est dommage que n'y ait été mariée : quant à mon égard,

*****

Ce n'est pas un plaisant séjour.

J'y trouve aux mystères d'Amour
Peu de savans, force profanes;

Peu de Phillis, beaucoup de Jeannes ;
Peu de muscat de Saint-Mesmin,

Force boisson peu salutaire ;

Beaucoup d'ail et peu de jasmin :

Jugez si c'est là mon affaire.

(1) Lettre qui n'a pas été retrouvée.

Il semble que La Fontaine ait dit M. H. Regnier peu séjourné à Limoges, quelques mois tout au plus, puisque dès le 14 janvier 1664, il obtenait du roi son privilège pour l'impression de Joconde. L'exil de Jannart fut plus sérieux et plus long.

CHAPITRE V

LE CONTEUR ET LE FABULISTE

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1. Mme de Bouillon. II. Premiers contes. III. Premières IV. La Fontaine, dans

« fables choisies mises en vers ». les FABLES, peint les mœurs.

I

L'arrestation et le procès de Fouquet ne furent pas les seuls tourments dont La Fontaine eut à souffrir depuis la fête de Vaux. Une ordonnance royale contre l'usurpation des titres de noblesse vint, sans qu'il pût s'y attendre, ajouter à tout le dérangement de ses affaires. Accusé d'avoir pris indûment, dans divers actes publics, le titre et la qualité d'écuyer, le maître des eaux et forêts se trouva, en 1662, condamné par défaut à l'amende élevée de 2000 livres. L'irrévérence avec laquelle il railla un peu plus tard, dans la fable du Mulet se vantant de sa généalogie, les travers d'une telle vanité, n'empêche pas que le Bonhomme n'éprouvât au moment quelque ennui de l'aventure.

J'étais lors en Champagne

Dormant, rêvant, allant par la campagne...

a-t-il écrit lui-même à ce propos; les « jolies garennes dont les hôtes étourdis font la cour à l'aurore (1) », les prés embellis de fleurs, les venelles odorantes et pépiantes d'oiseaux commençaient déjà de l'attirer en dehors de Chaury, (1) Sainte-Beuve.

quand tout à coup ce procès lui advint. Une épître adressée, en 1662, à M. le duc de Bouillon témoigne assez que ce ne fut là qu'un ennui ajouté aux autres :

Prince, je ris, mais ce n'est qu'en ces vers.
L'ennui me vient de mille endroits divers,
Du parlement, des aides, de la chambre (1).
Du lieu fameux par le sept de septembre (2),
De la Bastille (3), et puis du Limousin ;

Il me viendra des Indes à la fin.

La Fontaine, en même temps que le duc, supplie son épouse, la jeune duchesse de Bouillon, d'avoir à intervenir auprès de Colbert;

Comme elle sait persuader et plaire,

Inspire un charme à tout ce qu'elle dit...

elle obtiendrait facilement la remise de l'amende. Cette épître nous amène à préciser ce qu'était Marie-Anne Mancini, cette compatissante protectrice du poète, au moment où elle épousa le duc de Bouillon, neveu de Turenne et nouveau seigneur de Chaury. Nulle n'avait, plus qu'elle, de la pétulance des Mazarin; mais tandis que, chez Hortense et Marie Mancini, ses sœurs, le désordre des sentiments aggravait les écarts de la nature, un charme tendre et langoureux, comme voilé de douceur, atténuait chez MarieAnne, les emportements d'un sang impulsif. « C'était une beauté originale et un esprit scintillant », a écrit d'elle Paul de Saint-Victor. « Les grâces habitaient sous la figure de Mme de Bouillon » a dit joliment l'abbé de Chaulieu; << elle n'était ni grande ni menue », nous assure le duc de Saint-Simon; mais le meilleur portrait qu'on ait d'elle, c'est encore le Bonhomme qui l'a fait :

La mère des Amours et la reine des Grâces,
C'est Bouillon, et Vénus lui cède ses emplois...

(1) La chambre de l'Arsenal chargée d'instruire le procès de Fouquet. (2) Fouquet fut arrêté le 7 septembre 1661.

(3) La Bastille où était détenu Pellisson.

Bouillon << à pied blanc et mignon », à « brune et longue tresse », la belle, dont le « nez troussé » est coquet et mutin (1). Quoi de plus séduisant que Mme de Bouillon? Qui peut montrer plus de vivacité, de gaîté, de jeunesse? Pour elle, comme plus tard pour Mme de Conti, La Fontaine trouve les mots les plus doux, les plus tendres, il écrit les vers les mieux tournés, les plus agréables:

Vous excellez en mille choses :

Vous portez en tous lieux la joie et les plaisirs.
Allez dans des climats inconnus aux Zéphyrs,
Les champs se vêtiront de roses (2).

Marie-Anne Mancini, ne l'oublions pas, était Italienne; elle était fantasque; il fallait, durant que le duc son mari guerroyait contre les Turcs, qu'elle se fît de Chaury le séjour le plus supportable. « Le désir de lui plaire et d'amuser son imagination libre et badine, inspira, dit-on, à La Fontaine ses plus jolis contes, mais malheureusement aussi les plus licencieux (3). » Pour elle, La Fontaine fit ce qu'avait fait Boccace pour les dames de Florence il rima plaisamment de petits récits libertins; mais tandis que Boccace, dans le décor des villas, des arcades et des beaux oliviers de son pays narrait ses histoires, le Bonhomme plus fin et plus gaulois, d'un sel plus français, imaginait les siennes au milieu des ceps de sa Champagne, à l'ombre du vieux château des Bouillon.

II

Ce que sont ces contes, La Fontaine lui-même a essayé de le définir dans la seconde préface de son premier recueil; l'on peut voir, dans ces pages non exemptes de

(1) LA FONTAINE, Lettre à Mme de Bouillon (1671).

(2) LA FONTAINE, A Mme la duchesse de Bouillon (1687).

(3) WALCKENAER, Histoire de la vie et des ouvrages de Jean de La Fontaine.

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