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cet état, il n'y a pas lieu de s'y opposer; les parens ne font point les diables, toute chose vient en son temps; et s'il arrive qu'on se lasse les uns des autres, il ne faut aller ni au juge ni à l'évêque. Voilà l'histoire de la Barigny.

Ces aventures nous divertirent de telle sorte, que nous entrâmes dans Orléans sans nous en être presque aperçus : il semblait même que le soleil se fût amusé à les entendre aussi bien que nous; car, quoique nous eussions fait vingt lieues, il n'était pas encore au bout de sa traite. Bien davantage, soit que la Barigny fût cette soirée à la promenade, soit qu'il dût se coucher au sein de quelque rivière charmante comme la Loire, il s'était tellement paré, que M. de Châteauneuf et moi noul'allâmes regarder de dessus le pont. Par même moyen, je vis la Pucelle; mais, ma foi, ce fut sans plaisir : je ne lui trouvai ni l'air, ni la taille, ni le visage d'une amazone : l'infante Gradafillée en vaut dix comme elle; et, si ce n'était que M. Chapelain est son chroniqueur, je ne sais si j'en ferais mention. Je la regardai, pour l'amour de lui, plus longtemps que je n'aurais fait. Elle est à genoux devant une croix, et le roi Charles en même posture vis-à-vis d'elle, le tout fort chétif et de petite apparence. C'est un monument qui se sent de la pauvreté de son siècle.

Le pont d'Orléans ne me parut pas non plus d'une largeur ni d'une majesté proportionnée à la noblesse de son emploi, et à la place qu'il occupe dans l'univers.

Ce n'est pas petite gloire

Que d'être pont sur la Loire.
On voit à ses pieds rouler
La plus belle des rivières
Que de ses vastes carrières
Phébus regarde couler.

Elle est près de trois fois aussi large à Orléans que la Seine l'est à Paris, l'horizon très beau de tous les côtés, et borné comme il le doit être. Si bien que cette rivière étant basse à proportion, ses eaux fort claires, son cours sans replis, on dirait que c'est un canal. De chaque côté du pont on voit continuellement des barques qui vont à voiles; les unes montent, les autres descendent; et comme le bord n'est pas si grand qu'à Paris, rien n'empêche qu'on ne les distingue toutes on les compte, on remarque en quelle distance elles sont les unes des autres;

c'est ce qui fait une de ses beautés : en effet, ce serait dommage qu'une eau si pure fût entièrement couverte par des bateaux. Les voiles de ceux-ci sont fort amples: cela leur donne une majesté de navires, et je m'imaginai voir le port de Constantinople en petit. D'ailleurs Orléans, à le regarder de la Sologne, est d'un bel aspect. Comme la ville va en montant, on la découvre quasi tout entière. Le mail et les autres arbres qu'on a plantés en beaucoup d'endroits le long du rempart font qu'elle paraît à demi fermée de murailles vertes; et, à mon avis, cela lui sied bien. De la particulariser en dedans, je vous ennuierais: c'en est déjà trop pour vous de cette matière. Vous saurez pourtant que le quartier par où nous descendîmes au pont est fort laid, le reste assez beau; des rues spacieuses, nettes, agréables, et qui sentent leur bonne ville. Je n'eus pas assez de temps pour voir le rempart, mais je m'en suis laissé dire beaucoup de bien, ainsi que de l'église Sainte-Croix.

Enfin, notre compagnie, qui s'était dispersée de tous les côtés, revint satisfaite. L'un parla d'une chose, l'autre d'une autre. L'heure du souper venue, chevaliers et dames se furent seoir à leurs tables assez mal servies; puis se mirent au lit incontinent, comme on peut penser. Et, sur ce, le chroniqueur fait fin au présent chapitre.

III. SUITE DU MÊME VOYAGE

Richelieu, ce 3 septembre 1663.

Autant que la Beauce m'avait semblé ennuyeuse, autant le pays qui est depuis Orléans jusqu'à Amboise me parut agréable et divertissant. Nous eûmes au commencement la Sologne, province beaucoup moins fertile que le Vendômois, lequel est de l'autre côté de la rivière. Aussi, a-t-on un niais du pays pour très peu de chose; car ceux-là ne sont pas fous comme ceux de Champagne ou de Picardie. Je crois que les niaises coûtent davantage.

Le premier lieu où nous arrêtâmes, ce fut Cléry. J'allai aussitôt visiter l'église. C'est une collégiale assez bien rentée pour un bourg; non que les chanoines en demeurent d'accord, ou que je le leur aie ouï dire. Louis XI y est enterré: on le voit

Elle a peu de replis dans son cours mesuré :

Ce n'est pas un ruisseau qui serpente en un pré,
C'est la fille d'Amphitrite;

C'est elle dont le mérite,

Le nom, la gloire, et les bords,

Sont dignes de ces provinces
Qu'entre tous leurs plus grands trésors

Ont toujours placé nos princes.

Elle répand son cristal

Avec magnificence;

Et le jardin de la France

Méritait un tel canal.

Je lui veux du mal en une chose; c'est que l'ayant vue, je m'imaginai qu'il n'y avait plus rien à voir; il ne me resta ni curiosité ni désir. Richelieu m'a bien fait changer de sentiment. C'est un admirable objet que ce Richelieu : j'en ai daté ma troisième lettre, parce que je l'y ai achevée. Voyez l'obligation que vous m'avez ; il ne s'en faut pas un quart d'heure qu'il ne soit minuit, et nous devons nous lever demain avant le soleil, bien qu'il ait promis en se couchant qu'il se lèverait de fort grand matin. J'emploie cependant les heures qui me sont les plus précieuses à vous faire des relations, moi qui suis enfant du sommeil et de la paresse. Qu'on me parle après cela des maris qui se sont sacrifiés pour leurs femmes ! je prétends les surpasser tous et que vous ne sauriez vous acquitter envers moi, si vous ne me souhaitez d'aussi bonnes nuits que j'en aurai de mauvaises avant que notre voyage soit achevé.

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IV. SUITE DU MÊME VOYAGE

A Châtellerault, ce 5 septembre 1663.

Nous arrivâmes à Amboise d'assez bonne heure, mais par un fort mauvais temps je ne laissai pas d'employer le reste du jour à voir le château. De vous en faire le plan, c'est à quoi je ne m'amuserai point. et pour cause. Vous saurez, sans plus, que devers la ville il est situé sur un roc, et paraît extrêmement haut. Vers la campagne, le terrain d'alentour est plus élevé.

comtesse se plaignit fort, le lendemain, des puces. Je ne sais si ce fut cela qui éveilla le cocher; je veux dire les puces du cocher, et non celles de la comtesse: tant y a qu'il nous fit partir de si grand matin, qu'il n'était quasi que huit heures quand nous nous trouvâmes vis-à-vis de Blois, rien que la Loire entre deux.

Blois est en pente comme Orléans, mais plus petit et plus ramassé; les toits des maisons y sont disposés, en beaucoup d'endroits, de telle manière qu'ils ressemblent aux degrés d'un amphithéâtre. Cela me parut très beau, et je crois que difficilement on pourrait trouver un aspect plus riant et plus agréable (1). Le château est à un bout de la ville, à l'autre bout SainteSolenne (2). Cette église paraît fort grande, et n'est cachée d'aucunes maisons; enfin, elle répond tout à fait bien au logis du prince. Chacun de ces bâtimens est situé sur une éminence dont la pente se vient joindre vers le milieu de la ville, de sorte qu'il s'en faut peu que Blois ne fasse un croissant dont SainteSolenne et le château font les cornes. Je ne me suis pas informé des mœurs anciennes. Quant à présent, la façon de vivre y est fort polie, soit que cela ait été ainsi de tout temps, et que le climat et la beauté du pays y contribuent; soit que le séjour de Monsieur ait amené cette politesse, ou le nombre de jolies femmes. Je m'en fis nommer quelques-unes à mon ordinaire. On me voulut outre cela montrer des bossus, chose assez commune dans Blois, à ce qu'on me dit ; encore plus commune dans Orléans. Je crus que le ciel, ami de ces peuples, leur envoyait de l'esprit par cette voie-là: car on dit que bossu n'en manqua jamais...

Le plus bel objet » que La Fontaine vit d'Orléans à Blois,
C'est la Loire sans doute.

...

On la voit rarement s'écarter de sa route;

(1) Cette vue si belle, si claire de Blois, fit, de tout temps, l'admiration des délicats et des poètes. Un bénédictin de la congrégat on de Saint-Maur, le frère Noel Mars, écrivait déjà, vers 1646, peu d'années avant que La Fontaine passat par là : «Du costé de Tours vous voyez, tant que votre veue peut s'étendre, un très agréable costeau de vignoble, avec la rivière claire et cristalline qui le serpente doucement et avec majesté, sans parler de quantité de petits chasteaux et maisons de plaisance. Du costé d'Orléans, vous voyez toute la ville de Blois, et la rivière battre à ses pieds. Au dix-neuvième siècle, V. Hugo, non moins lyrique, s'écriait (Pendant l'exil, 1864), devant les dessins et estampes de A. Queyroy : « C'est bien là Blois, mon Blois à moi, ma ville lumineuse. » (2) Saint-Solenne, et non Sainte-Solenne. Saint Solenne était évêque de Chartres.

Elle a peu de replis dans son cours mesuré :
Ce n'est pas un ruisseau qui serpente en un pré,
C'est la fille d'Amphitrite;

C'est elle dont le mérite,

Le nom, la gloire, et les bords,

Sont dignes de ces provinces

Qu'entre tous leurs plus grands trésors

Ont toujours placé nos princes.

Elle répand son cristal

Avec magnificence;

Et le jardin de la France

Méritait un tel canal.

Je lui veux du mal en une chose; c'est que l'ayant vue, je m'imaginai qu'il n'y avait plus rien à voir; il ne me resta ni curiosité ni désir, Richelieu m'a bien fait changer de sentiment. C'est un admirable objet que ce Richelieu : j'en ai daté ma troisième lettre, parce que je l'y ai achevée. Voyez l'obligation que vous m'avez; il ne s'en faut pas un quart d'heure qu'il ne soit minuit, et nous devons nous lever demain avant le soleil, bien qu'il ait promis en se couchant qu'il se lèverait de fort grand matin. J'emploie cependant les heures qui me sont les plus précieuses à vous faire des relations, moi qui suis enfant du sommeil et de la paresse. Qu'on me parle après cela des maris qui se sont sacrifiés pour leurs femmes ! je prétends les surpasser tous et que vous ne sauriez vous acquitter envers moi, si vous ne me souhaitez d'aussi bonnes nuits que j'en aurai de mauvaises avant que notre voyage soit achevé.

IV. SUITE DU MÊME VOYAGE

A Châtellerault, ces septembre 1663.

Nous arrivâmes à Amboise d'assez bonne heure, mais par un fort mauvais temps je ne laissai pas d'employer le reste du jour à voir le château. De vous en faire le plan, c'est à quoi je ne m'amuserai point. et pour cause. Vous saurez, sans plus, que devers la ville il est situé sur un roc, et paraît extrêmement haut. Vers la campagne, le terrain d'alentour est plus élevé.

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