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lerie. Le Bonhomme avait, là-dessus, les idées de son ami Molière. « Ce n'est pas, dit-il, une bonne qualité pour une femme d'être savante; et c'en est une très mauvaise de paraître telle. » Est-ce donc que Mlle de La Fontaine avait de l'esprit de Philaminte ou de Bélise? Un témoignage important, celui de Jean Racine lui-même, nous permet de penser que Marie Héricart, contrairement à ce qu'insinue son mari, valait mieux que cela.

A peu près vers le temps qui nous occupe, c'est-à-dire en 1662, le jeune Racine se trouvait à Uzès; et, d'Uzès, il avait envoyé à Jean de La Fontaine un petit poème sur les Bains de Vénus. « Mandez-moi, écrivait-il au Bonhomme, ce qu'en pense votre académie de Château-Thierry, surtout Mlle de La Fontaine. Je ne lui demande aucune grâce pour mes vers. Qu'elle les traite rigoureusement; mais qu'elle me fasse au moins la grâce d'agréer mes respects (1). >>

Une telle déférence, témoignée avec tant de sérieux et de fermeté de la part d'un homme comme Racine, n'est pas sans adoucir un peu les traits de la pauvre épouse. Mlle de La Fontaine avait du jugement; mieux même elle avait de l'imagination; M. Émile Deraine, qui parle d'elle avec intérêt, veut qu'elle ait composé des romans. « Je sais, ajoute à ce propos un autre écrivain, M. Salesse, que plusieurs membres de la Société historique et archéologique de Château-Thierry ont eu entre les mains quelques ouvrages de ce genre portant la signature de Mlle de La Fontaine. » Et comment admettre, si Marie Héricart n'eût eu ni jugement ni esprit, que le Bonhomme, à qui les relations ne manquaient pas, eût choisi justement comme correspon

(1) Racine a toujours témoigné d'un réel intérêt pour la femme du fabuliste. Lorsque Mme de La Fontaine, ennuyée de vivre avec son mari, se fut retirée à Château-Thierry, écrit à ce propos Louis Racine, Boileau et mon père dirent à La Fontaine que cette séparation ne lui faisait pas honneur et l'engagèrent à faire un voyage à Château-Thierry pour s'aller réconcilier avec sa femme. Docile, La Fontaine fit bien ce voyage, mais, distrait comme toujours, il badina, flâna et s'arrangea de telle sorte qu'il revint à Paris sans avoir vu son épouse. Et comme on lui demandait les raisons qui avaient empêché cette rencontre : « J'ai été pour la voir, mais je ne l'ai point trouvée; elle était au salut. » Louis RACINE, Mémoire sur la vie de Jean Racine.

dante, au cours du voyage de Limoges, une destinataire aussi peu digne de l'entendre?

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Le Voyage de Paris en Limousin, que le poète accomplit en 1663, est encore l'une des conséquences de l'arrestation du surintendant. Jannart, le bon oncle Jannart, celui à qui La Fontaine devait tant, était, nous l'avons dit, substitut de Fouquet dans la charge de procureur général au Parlement. Au cours du procès de son maître, il fut contraint de s'exiler à Limoges. La Fontaine décida de le suivre. Et voilà ces lettres si vives, si charmantes et spirituelles, souvent si libres dans la confidence, que le poète écrivait, de ville en ville à sa femme; par l'enjouement gracieux, le trait piquant et souvent la mélancolie inhérente à l'idée même d'exil, elles passent de beaucoup le plaisant voyage que le bon Chapelle et le gai Bachaumont entreprirent d'une autre façon de leur côté.

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Vous n'avez jamais voulu lire d'autres voyages que ceux des chevaliers de la Table ronde; mais le nôtre mérite bien que vous le lisiez. Il s'y rencontrera pourtant des matières peu convenables à votre goût : c'est à moi de les assaisonner, si je puis, en telle sorte qu'elles vous plaisent; et c'est à vous de louer en cela mon intention, quand elle ne serait pas suivie du succès. Il pourra même arriver, si vous goûtez ce récit, que vous en goûterez après de plus sérieux. Vous ne jouez, ni ne travaillez, ni ne vous souciez du ménage; et, hors le temps que vos bonnes amies vous donnent par charité, il n'y a que les romans qui vous divertissent. C'est un fonds bien épuisé. Vous avez lu tant de fois les vieux, que vous les savez ; il s'en fait peu de nouveaux, et, parmi ce peu, tous ne sont pas bons: ainsi vous demeurerez souvent à sec (1). Considérez, je vous prie, l'utilité que ce vous

(1) A ce propos des romans, La Fontaine ne cessa jamais de taquiner sa femme. En 1665, dans une ballade sur la lecture des romans et des livres d'amour, il revint encore à ce sujet :

Ah! ah! dis-je, Alizon! vous lisez les romans
Et vous vous arrêtez à l'endroit de l'ermite'

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serait, si, en badinant, je vous avais accoutumée à l'histoire, soit des lieux, soit des personnes vous auriez de quoi vous désennuyer toute votre vie, pourvu que ce soit sans intention de rien retenir, moins encore de rien citer. Ce n'est pas une bonne qualité pour une femme d'être savante; et c'en est une très mauvaise d'affecter de paraître telle.

Nous partîmes donc de Paris le 23 du courant, après que M. Jannart eut reçu les condoléances de quantité de personnes de condition et de ses amis. M. le lieutenant criminel en usa généreusement, libéralement, royalement : il ouvrit sa bourse, et nous dit que nous n'avions qu'à puiser. Le reste du voisinage fit des merveilles. Quand il eût été question de transférer le quai des Orfèvres, la cour du Palais, et le Palais même, à Limoges, la chose ne se serait pas autrement passée. Enfin, ce n'était chez nous que processions de gens abattus et tombés des nues. Avec tout cela, je ne pleurai point; ce qui me fait croire que j'acquerrai une grande réputation de constance dans cette affaire.

La fantaisie de voyager m'était entrée quelque temps auparavant dans l'esprit, comme si j'eusse eu des pressentimens de l'ordre du roi. Il y avait plus de quinze jours que je ne parlais d'autre chose que d'aller, tantôt à Saint-Cloud, tantôt à Charonne, et j'étais honteux d'avoir tant vécu sans rien voir. Cela ne me sera plus reproché, grâce à Dieu. On nous a dit, entre autres merveilles, que beaucoup de Limousines de la première bourgeoisie portent des chaperons de drap rose sèche sur des cales (1) de velours noir. Si je trouve quelqu'un de ces chaperons qui couvre une jolie tête, je pourrai m'y amuser en passant, et par curiosité seulement.

Quoi qu'il en soit, j'ai tout à fait bonne opinion de notre voyage nous avons déjà fait trois lieues sans aucun mauvais accident, sinon que l'épée de M. Jannart s'est rompue; mais, comme nous sommes gens à profiter de tous nos malheurs, nous avons trouvé qu'aussi bien elle était trop longue, et l'embarrassait. Présentement nous sommes à Clamart, au-dessous de cette fameuse montagne où est située Meudon; là nous devons nous rafraîchir deux ou trois jours. En vérité, c'est un

(1) Sorte de béguin. Avant La Fontaine, le mot avait été employé par Brantôme (t. VIII): « En sa teste avoit ung gros bonnet blanc, que l'on appelle une cale. » Il le fut par Scarron : « Un matin ma servante à cale... » (Rondeau); par Tallemant : «< Gombaud, qui se piquoit de n'aimer qu'en bon lieu cajoloit une petite cale crasseuse. >> (D'après M. H. REGNIER.)

plaisir que de voyager, on rencontre toujours quelque chose de remarquable. Vous ne sauriez croire combien est excellent le beurre que nous mangeons; je me suis souhaité vingt fois de pareilles vaches, un pareil herbage, des eaux pareilles, et ce qui s'ensuit, hormis la batteuse, qui est un peu vieille. Le jardin de Mme C... mérite aussi d'avoir place dans cette histoire; il a beaucoup d'endroits fort champêtres, et c'est ce que j'aime sur toutes choses. Ou vous l'avez vu, ou vous ne l'avez pas vu; si vous l'avez vu, souvenez-vous de ces deux terrasses que le parterre a en face et à la main gauche, et des rangs de chênes et de châtaigniers qui les bordent je me trompe bien si cela n'est beau. Souvenez-vous aussi de ce bois qui paraît en l'enfoncement, avec la noirceur d'une forêt âgée de dix siècles : les arbres n'en sont pas si vieux, à la vérité; mais toujours peuvent-ils passer pour les plus anciens du village, et je ne crois pas qu'il y en ait de plus vénérables sur la terre. Les deux allées qui sont à droite et à gauche me plaisent encore : elles ont cela de particulier, que ce qui les borne est ce qui les fait paraître plus belles. Celle de la droite a tout à fait la mine d'un jeu de paume; elle est à présent bordée d'un amphithéâtre de gazon et a le fond relevé, de huit ou dix marches : il y a de l'apparence que c'est l'endroit où les divinités du lieu reçoivent l'hommage qui leur est dû.

Si le dieu Pan, ou le Faune,
Prince des bois, ce dit-on,
Se fait jamais faire un trône,
C'en sera là le patron.

Deux châtaigniers, dont l'ombrage

Est majestueux et frais,

Le couvrent de leur feuillage,

Ainsi que d'un riche dais.

Je ne vois rien qui l'égale,

Ni qui me charme à mon gré,
Comme un gazon qui s'étale

Le long de chaque degré.

J'aime cent fois mieux cette herbe

Que les précieux tapis

Sur qui l'Orient superbe
Voit ses empereurs assis.

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