Je voudrais bien t'écrire en vers De ce feu le plus beau du monde, N'ont pas un moment de repos, Je n'en vis rien, mais il n'importe. Est toujours bon; et quant à toi, Ne t'en fais pas un point de foi. Au bruit de ce feu succéda celui des tambours ; car le roi voulant s'en retourner à Fontainebleau cette même nuit, les mousquetaires étaient commandés. On retourna donc au château, où la collation était préparée. Pendant le chemin, tandis qu'on s'entretenait de ces choses, et lorsqu'on ne s'attendait plus à rien, on vit en un moment le ciel obscurci d'une épouvantable nuée de fusées et de serpentaux. Faut-il dire obscurci ou éclairé? Cela partait de la lanterne du dôme : ce fut en cet endroit que la nuée creva d'abord. On crut que tous les astres, grands et petits, étaient descendus en terre, afin de rendre hommage à Madame; mais l'orage étant cessé, on les vit tous en leur place. La catastrophe de ce fracas fut la perte de deux chevaux. Ces chevaux qui jadis un carrosse tirèrent, Et puis de là dans l'Achéron. Ils étaient attelés à l'un des carrosses de la reine; et s'étant cabrés à cause du feu et du bruit, il fut impossible de les retenir. Je ne croyais pas que cette relation dût avoir une fin si tragique et si pitoyable. Adieu. Charge ta mémoire de toutes les belles choses que tu verras au lieu où tu es. V Cette fête si splendide n'était pas plutôt finie que d'inquiétantes rumeurs commençaient de circuler, touchant le surintendant. Un rusé, Gourville, avertit Fouquet d'avoir à prendre garde. Déjà l'on était proche de septembre; les Etats de Bretagne allaient s'ouvrir; il fallait que le roi, les princes, les ministres y parussent. C'est au cours de ce voyage, le 5 de septembre 1661, que Fouquet fut arrêté à Nantes, au sortir du Conseil. M. d'Artagnan, sous-lieute nant de la Compagnie des mousquetaires, s'assura de sa personne, l'amena, de Nantes à Angers, sous escorte; de là on le conduisit à Amboise et enfin à Vincennes. Aucune nouvelle ne parut plus terrible à tous les amis que comptait M. le surintendant. Voici dans quels termes François de Maucroix, retiré dans son canonicat de Reims, en reçut confirmation des mains de La Fontaine. A M. DE MAUCROIX Ce samedi matin (septembre 1661). Je ne puis te rien dire de ce que tu m'as écrit sur mes affaires; mon cher ami elles [ne] me touchent pas tant que le malheur qui vient d'arriver au surintendant. Il est arrêté, et le roi est violent contre lui, au point qu'il dit avoir entre les mains des pièces qui le feraient pendre... Ah! s'il le fait, il sera autrement cruel que ses ennemis, d'autant qu'il n'a pas, comme eux, intérêt d'être injuste. Mme de B. (1) a reçu un billet où on lui mande qu'on a de l'inquiétude pour M. Pellisson si çà est, c'est encore un grand surcroît de malheur. Adieu, mon cher ami, [je] t'en dirais beaucoup davantage, si j'avais l'esprit tranquille présentement; mais la prochaine fois, je me dédommagerai; pour aujourd'hui L'inquiétude touchant Pellisson dont cette lettre fait foi ne tarda point de devenir une réelle angoisse. En effet, tandis que Gourville et Saint-Evremond, compromis, s'exilaient, que Mme de Sévigné même était soupçonnée, l'on arrêtait le serviteur le meilleur de Fouquet. Pour le Bonhomme vraiment trop naif, trop doucement rêveur pour être jamais mêlé à aucun complot, on ne l'inquiéta pas; mais nul événement ne lui fut jamais plus sensible; le fidèle attachement qu'il avait voué au surintendant, les (1) Mme de Plessis-Bellière. craintes qu'il ressentait sur la vie de ce dernier, lui arrachèrent, dans l'Elégie aux nymphes, l'un des cris les plus beaux de douleur qu'un poète laissa échapper jamais. POUR M. FOUQUET AUX NYMPHES DE VAUX (1661) Remplissez l'air de cris en vos grottes profondes; Hôtes infortunés de sa triste demeure, En des gouffres de maux le plongent à toute heure. Voilà le précipice où l'ont enfin jeté Les attraits enchanteurs de la prospérité ! Dans les palais des rois cette plainte est commune; Et tout ce vain amour des grandeurs et du bruit Mais quittons ces pensers : Oronte nous appelle. La plus belle victoire est de vaincre son cœur. Et c'est être innocent que d'être malheureux. Le poète ne s'en tint au reste pas à ce seul appel éloquent; le procès de son protecteur ne ralentit pas son zèle. et, tandis que Pellisson, malgré ses malheurs personnels, continuait de préparer, jusque dans le cachot, ces divers discours pour le surintendant dont Voltaire a comparé l'éloquence à celle de Cicéron, le Bonhomme entreprenait d'écrire une ode au roi « pour M. Fouquet ». C'est à cette occasion que La Fontaine correspondit avec le captif, alors détenu à la Bastille, et sollicita pour ses vers touchants |