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Je voudrais bien t'écrire en vers
Tous les artifices divers

De ce feu le plus beau du monde,
Et son combat avecque l'onde,
Et le plaisir des assistans.
Figure-toi qu'en même temps
On vit partir mille fusées,
Qui par des routes embrasées
Se firent toutes dans les airs
Un chemin tout rempli d'éclairs,
Chassant la nuit, brisant ses voiles.
As-tu vu tomber des étoiles?
Tel est le sillon enflammé,
Ou le trait qui lors est formé.
Parmi ce spectacle si rare,
Figure-toi le tintamare,
Le fracas et les sifflemens
Qu'on entendait à tous momens.
De ces colonnes embrasées
Il renaissait d'autres fusées,
Ou d'autres formes de pétard,
Ou quelque autre effet de cet art;
Et l'on voyait régner la guerre
Entre ces enfans du tonnerre,
L'un contre l'autre combattant,
Voltigeant et pirouettant,
Faisant un bruit épouvantable,
C'est-à-dire un bruit agréable.
Figure-toi que les échos

N'ont pas un moment de repos,
Et que le chœur des Néréides
S'enfuit sous ses grottes humides.
De ce bruit, Neptune étonné
Eût craint de se voir détrôné,
Si le monarque de la France
N'eût rassuré par sa présence,
Ce dieu des moites tribunaux,
Qui crut que les dieux infernaux
Venaient donner des sérénades
A quelques-unes des Naïades.
Enfin, la peur l'ayant quitté,
Il salua Sa Majesté :

Je n'en vis rien, mais il n'importe.
Le raconter de cette sorte

Est toujours bon; et quant à toi,

Ne t'en fais pas un point de foi.

Au bruit de ce feu succéda celui des tambours ; car le roi voulant s'en retourner à Fontainebleau cette même nuit, les mousquetaires étaient commandés. On retourna donc au château, où la collation était préparée. Pendant le chemin, tandis qu'on s'entretenait de ces choses, et lorsqu'on ne s'attendait plus à rien, on vit en un moment le ciel obscurci d'une épouvantable nuée de fusées et de serpentaux. Faut-il dire obscurci ou éclairé? Cela partait de la lanterne du dôme : ce fut en cet endroit que la nuée creva d'abord. On crut que tous les astres, grands et petits, étaient descendus en terre, afin de rendre hommage à Madame; mais l'orage étant cessé, on les vit tous en leur place. La catastrophe de ce fracas fut la perte de deux chevaux.

Ces chevaux qui jadis un carrosse tirèrent,
Et tirent maintenant la barque de Caron,
Dans les fossés de Vaux tombèrent

Et puis de là dans l'Achéron.

Ils étaient attelés à l'un des carrosses de la reine; et s'étant cabrés à cause du feu et du bruit, il fut impossible de les retenir. Je ne croyais pas que cette relation dût avoir une fin si tragique et si pitoyable. Adieu. Charge ta mémoire de toutes les belles choses que tu verras au lieu où tu es.

V

Cette fête si splendide n'était pas plutôt finie que d'inquiétantes rumeurs commençaient de circuler, touchant le surintendant. Un rusé, Gourville, avertit Fouquet d'avoir à prendre garde. Déjà l'on était proche de septembre; les Etats de Bretagne allaient s'ouvrir; il fallait que le roi, les princes, les ministres y parussent. C'est au cours de ce voyage, le 5 de septembre 1661, que Fouquet fut arrêté à Nantes, au sortir du Conseil. M. d'Artagnan, sous-lieute

nant de la Compagnie des mousquetaires, s'assura de sa personne, l'amena, de Nantes à Angers, sous escorte; de là on le conduisit à Amboise et enfin à Vincennes.

Aucune nouvelle ne parut plus terrible à tous les amis que comptait M. le surintendant. Voici dans quels termes François de Maucroix, retiré dans son canonicat de Reims, en reçut confirmation des mains de La Fontaine.

A M. DE MAUCROIX

Ce samedi matin (septembre 1661).

Je ne puis te rien dire de ce que tu m'as écrit sur mes affaires; mon cher ami elles [ne] me touchent pas tant que le malheur qui vient d'arriver au surintendant. Il est arrêté, et le roi est violent contre lui, au point qu'il dit avoir entre les mains des pièces qui le feraient pendre... Ah! s'il le fait, il sera autrement cruel que ses ennemis, d'autant qu'il n'a pas, comme eux, intérêt d'être injuste. Mme de B. (1) a reçu un billet où on lui mande qu'on a de l'inquiétude pour M. Pellisson si çà est, c'est encore un grand surcroît de malheur. Adieu, mon cher ami, [je] t'en dirais beaucoup davantage, si j'avais l'esprit tranquille présentement; mais la prochaine fois, je me dédommagerai; pour aujourd'hui

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L'inquiétude touchant Pellisson dont cette lettre fait foi ne tarda point de devenir une réelle angoisse. En effet, tandis que Gourville et Saint-Evremond, compromis, s'exilaient, que Mme de Sévigné même était soupçonnée, l'on arrêtait le serviteur le meilleur de Fouquet. Pour le Bonhomme vraiment trop naif, trop doucement rêveur pour être jamais mêlé à aucun complot, on ne l'inquiéta pas; mais nul événement ne lui fut jamais plus sensible; le fidèle attachement qu'il avait voué au surintendant, les (1) Mme de Plessis-Bellière.

craintes qu'il ressentait sur la vie de ce dernier, lui arrachèrent, dans l'Elégie aux nymphes, l'un des cris les plus beaux de douleur qu'un poète laissa échapper jamais.

POUR M. FOUQUET

AUX NYMPHES DE VAUX

(1661)

Remplissez l'air de cris en vos grottes profondes;
Pleurez, nymphes de Vaux, faites croître vos ondes,
Et que l'Anqueuil enflé ravage les trésors
Dont les regards de Flore ont embelli ses bords.
On ne blâmera pas vos larmes innocentes;
Vous pouvez donner cours à vos douleurs pressantes;
Chacun attend de vous ce devoir généreux ;.
Les Destins sont contens; Oronte est malheureux.
Vous l'avez vu naguère au bord de vos fontaines,
Qui sans craindre du sort les faveurs incertaines,
Plein d'éclat, plein de gloire, adoré des mortels,
Recevait les honneurs qu'on ne doit qu'aux autels.
Hélas! qu'il est déchu de ce bonheur suprême!
Que vous le trouveriez différent de lui-même !
Pour lui les plus beaux jours sont de secondes nuits :
Les soucis dévorans, les regrets, les ennuis,

Hôtes infortunés de sa triste demeure,

En des gouffres de maux le plongent à toute heure.

Voilà le précipice où l'ont enfin jeté

Les attraits enchanteurs de la prospérité !

Dans les palais des rois cette plainte est commune;
On n'y connaît que trop les jeux de la Fortune,
Ses trompeuses faveurs, ses appas inconstans;
Mais on ne les connaît que quand il n'est plus temps.
Lorsque sur cette mer on vogue à pleines voiles,
Qu'on croit avoir pour soi les vents et les étoiles,
Il est bien malaisé de régler ses désirs;
Le plus sage s'endort sur la foi des zéphyrs.
Jamais un favori ne borne sa carrière;
Il ne regarde pas ce qu'il laisse en arrière.

Et tout ce vain amour des grandeurs et du bruit
Ne le saurait quitter qu'après l'avoir détruit.
Tant d'exemples fameux que l'histoire en raconte
Ne suffisaient-ils pas, sans la perte d'Oronte?
Ah! si ce faux éclat n'eût pas fait ses plaisirs,
Si le séjour de Vaux eût borné ses désirs,
Qu'il pouvait doucement laisser couler son âge !
Vous n'avez pas chez vous ce brillant équipage,
Cette foule de gens qui s'en vont chaque jour
Saluer à longs flots le soleil de la Cour :
Mais la faveur du ciel vous donne en récompense
Du repos, du loisir, de l'ombre et du silence,
Un tranquille sommeil, d'innocens entretiens;
Et jamais à la cour on ne trouve ces biens.

Mais quittons ces pensers : Oronte nous appelle.
Vous, dont il a rendu la demeure si belle,
Nymphes, qui lui devez vos plus charmans appas
Si le long de vos bords Louis porte ses pas,
Tâchez de l'adoucir, fléchissez son courage;
Il aime ses sujets, il est juste, il est sage;
Du titre de clément rendez-le ambitieux :
C'est par là que les rois sont semblables aux dieux.
Du magnanime Henri qu'il contemple la vie ;
Dès qu'il put se venger il en perdit l'envie.
Inspirez à Louis cette même douceur.

La plus belle victoire est de vaincre son cœur.
Oronte est à présent un objet de clémence;
S'il a cru les conseils d'une aveugle puissance,
Il est assez puni par son sort rigoureux;

Et c'est être innocent que d'être malheureux.

Le poète ne s'en tint au reste pas à ce seul appel éloquent; le procès de son protecteur ne ralentit pas son zèle. et, tandis que Pellisson, malgré ses malheurs personnels, continuait de préparer, jusque dans le cachot, ces divers discours pour le surintendant dont Voltaire a comparé l'éloquence à celle de Cicéron, le Bonhomme entreprenait d'écrire une ode au roi « pour M. Fouquet ». C'est à cette occasion que La Fontaine correspondit avec le captif, alors détenu à la Bastille, et sollicita pour ses vers touchants

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