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Vis-à-vis du bâtiment

Deux grottes, dont la structure
Est de telle architecture

Qu'elle plaît sans ornement.

Nous cherchions toutefois sur l'humide élément
Les conques les plus exquises,

Et du corail de toutes guises;

Mais les vents ennemis du plaisir de nos yeux,
Par des complots odieux

Ont traversé nos voyages :
Dites-leur qu'ils soient plus sages,
Et respectent désormais

Oronte et tous ses palais. >>

Thétis de ce récit sembla toute ravie ;
Et, la harangue finie,

Nous fûmes envoyés par le maître des vents
Pour offrir de sa part, en termes obligeans,
Au possesseur de Vaux, Oronte son intime,
Ce que dans ses pays on voit de raretés,
Ambre, nacre, corail, marbre, diversités,
Enfin tous les trésors de la cour maritime.
Après cent périls évités,

Nageant de mer en fleuve, et de fleuve en rivière,
Non loin d'ici, d'une adroite manière,
Par des pêcheurs nous fûmes arrêtés,
Et par bonheur chez Oronte portés.
Là je lui fis ma petite harangue,
Petite certainement,

Car c'était en notre langue,
Laconique extrêmement.
On l'apprend fort aisément
Venez nous voir seulement
Au fond du moite élément,

Vous saurez comme nous parler en un moment.
Pour achever notre histoire,

Monsieur Courtois (1), si j'ai bonne mémoire,
Avec mon compagnon m'a logé dans ces lieux :

(1) Courtois domestique de confiance de Fouquet. D'une copie figurée de l'écrit trouve plus tard chez le surintendant, à Saint-Mande, M. Régnier a extrait ces lignes où Fouquet (qui a prévu son arrestation) demande que, des qu'il sera captif, on lui tasse avoir un valet. « Et ce valet, serait Vattel; si on ne pouvoit l'obtenir, on tenteroit pour Longchamps, sinon pour Courtois ou la Vallée. »

Quant à moi, j'ai bonne envie
De n'en bouger de ma vie ;

On y voit souvent les yeux
De l'adorable Sylvie (1). »

Le IV fragment, retrouvé ainsi que les V VI VII et VIII autres, dans les manuscrits du poète, nous rapporte << comme Sylvie (Mme Fouquet) honora de sa présence les dernières chansons d'un cygne qui se mouroit, et des aventures du cygne ». Nous apprenons, dans le Ve fragment, comment<< Acante, au sortir de l'apothéose d'Hercule, est mené dans une chambre où les Muses lui apparoissent ». Le VI fragment est une Danse de l'Amour.

IV

DANSE DE L'AMOUR

Je dormais d'un profond sommeil, et, en dormant, il me sembla que je me promenais à Mainsy, qui n'est pas loin de Vaux; et que, dans un pré tout bordé de saules, j'apercevais Cythérée, l'Amour et les Grâces, avec les plus belles nymphes des environs, dansant au clair de la lune. L'assemblée me parut fort belle, et le bal fort bien éclairé : un million d'étoiles servaient de lustres. Pour les violons, je n'y en entendis pas un : c'était aux chansons que l'on dansait. J'arrivai sur le point que l'Amour commença ces paroles :

« L'autre jour deux belles
Tout haut se vantaient
Que, malgré mes ailes,
Elles me prendraient.

Gageant que non, je perdis,
Car l'une m'eut bientôt pris.

« Aminte et Sylvie,

Ce sont leurs beaux noms :

Le ciel porte envie

A mille beaux dons,

(1) Mme Fouquet.

A mille rares trésors Qu'ont leur esprit et leur corps.

<< Tout mortel, de l'une
Craint les blonds cheveux,
De sa tresse brune
L'autre fait des nœuds,
Par qui les dieux attachés
Se trouvent fort empêchés.

<< Sylvie a la gloire
De m'avoir dompté,
Et cette victoire

A fort peu coûté :

La belle n'eut seulement
Qu'à se montrer un moment.

« Autour de ses charmes
Me voyant voler,

.. Vénus toute en larmes
Eut beau m'appeler :

Celui qui brûle les dieux
Se brûle à de si beaux yeux.

<< Leur éclat extrême
A su m'enflammer.
Le sort veut que j'aime,
Moi qui fais aimer;

On m'entend plaindre à mon tour,

Et l'Amour a de l'amour. »

Ainsi dans la danse
Cupidon pleurait,
Et tout en cadence
Parfois soupirait,

Priant tout bas les Zéphyrs

D'aller porter ses soupirs.

V

ACANTE SE PROMÈNE A LA CASCADE : SINGULIÈRES FAVEURS QU'IL Y REÇUT DU SOMMEIL

Après que les Grâces se furent retirées, je me trouvai en état de continuer mes promenades, et d'achever de voir les raretés de ce beau séjour : il me fut pourtant impossible de quitter si tôt un endroit où il m'était arrivé des choses si étonnantes. J'y passai donc tout le reste de la nuit, repensant tantôt à la chanson de l'Amour, tantôt aux beautés de Vénus et à celles des Nymphes et rappelant en ma mémoire leurs paroles, leurs actions, toutes les circonstances de l'aventure. Enfin, je dis adieu à ces prés, et sortis du parc de Mainsy, non point par le chemin qui m'y avait amené : j'en pris un autre, que je crus me devoir conduire en des lieux où je trouverais des beautés nouvelles. Cependant la nuit avait reployé partie de ses voiles, et s'en allait les étendre chez d'autres peuples. Quelques rayons s'apercevaient déjà vers l'orient.

Les premiers traits du jour sortant du sein de l'onde
Commençaient d'émailler les bords de notre monde ;
Sur le sommet des monts l'ombre s'éclaircissait ;
Aux portes du matin la clarté paraissait ;
De sa robe d'hymen l'Aurore était vêtue :
Jamais telle à Céphale elle n'est apparue.
Je voyais sur son char éclater les rubis,
Sur son teint le cinabre, et l'or sur ses habits:
D'un vase de vermeil elle épanchait des roses.

Qui n'eût jugé qu'elle s'était fardée tout exprès dans le dessein de me débaucher du service que j'ai voué au dieu du sommeil? Les hôtes des bois, qui avaient chanté toute la nuit pour me plaire, n'étant pas encore éveillés, je crus qu'il était de mon devoir de saluer en leur place ce beau séjour; ce que je fis par cette chanson :

Fontaines, jaillissez ;

Herbe tendre, croissez
Le long de ces rivages;
Venez, petits oiseaux,

Accorder vos ramages

Au doux bruit de leurs eaux.

Vous vous levez trop tard;
L'Aurore est sur son char,

Et s'en vient voir ma belle :
Oiseaux, chantez pour moi
Le dieu d'amour m'appelle,
Je ne sais pas pourquoi.

Tandis que je faisais résonner ainsi les échos, le soleil s'approchait très sensiblement de notre hémisphère, et me découvrait, les unes après les autres, toutes les beautés du canton où mes pas s'étaient adressés.

Dans la plus large de ces allées, j'aperçois de loin une nymphe (ce me semblait) couchée sous un arbre, en la posture d'une personne qui dort. J'étais tellement accoutumé à la vue des divinités, que, sans m'effrayer en aucune sorte de la rencontre de celle-ci, je résolus de m'approcher d'elle mais, à la première démarche, un battement de cœur me présagea quelque chose d'extraordinaire. Je ne sais quelle émotion, dont je ne pouvais deviner la cause, me courut par toutes les veines. Et quand je fus assez près de ce rare objet pour le reconnaître, je trouvai que c'était Aminte, sur qui le sommeil avait répandu le plus doux charme de ses pavots. Certes, mon étonnement ne fut pas petit; mais ma joie fut encore plus grande. Cette belle nymphe était couchée sur des plantes de violettes; sa tête à demi penchée sur un de ses bras, et l'autre étendu le long de sa jupe. Ses manches, qui s'étaient un peu retroussées par la situation que le sommeil lui avait fait prendre, me découvraient à moitié ses bras si polis. Je ne sus à laquelle de leurs beautés donner l'avantage, à leur forme ou à leur blancheur, bien que cette dernière fît honte à l'albâtre. Ce ne fut pas le seul trésor que je découvris en cette merveilleuse personne. Les Zéphyrs avaient détourné de dessus son sein une partie du linomple qui le couvrait, et s'y jouaient quelquefois parmi les ondes de ses cheveux. Quelquefois aussi, comme s'ils eussent voulu m'obliger, ils les repoussaient. Je laisse à penser si mes yeux surent profiter de leur insolence c'était même une faveur singulière de pouvoir goûter ces plaisirs sans manquer au respect. Je n'entreprendrai de décrire ni la blancheur ni les autres merveilles de ce beau sein, ni l'admirable proportion de la gorge, qu'il était aisé de

:

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