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LYDIE

Avant que de courir à ces funestes lieux,
Approche et tends la main. Celle-ci t'est donnée
Pour gage des douceurs d'un fidèle hyménée.
Te voici mien, Patrocle, et tu n'es plus à toi.
Sois avare d'un sang que je prétends à moi... (1).

III

Pour ce qui est de Ragotin (1684), comédie empruntée pour l'idée au Roman comique de Scarron mais qui n'approche pas le modèle, le Florentin (1685), la Coupe enchantée (1688) et Je vous prends sans vert (1693), ce sont de plaisants badinages; ces comédies ne sont pas indignes, en beaucoup de points, de l'auteur des Contes et des Fables; mais le collaborateur obligé de La Fontaine, le comédien Champmeslé, a mis la main à tout cela, et mal. Une œuvrette comme Je vous prends sans vert, « probablement écrite par Champmeslé sans aucun secours de La Fontaine suffit à témoigner à quel point le comédien eût été incapable de composer, avec l'élégance et l'esprit qu'il fallait, les piquantes et dernières scènes du Florentin.

Le Florentin n'est pas, cette fois, Lulli. C'est un nommé Harpagème qui a formé le projet d'épouser sa pupille Hortense; mais Hortense aime Timante; c'est pour éprouver les véritables sentiments de la jeune fille à la fois que pour lui offrir le mariage, que le barbon, grimé en docteur, s'introduit chez la belle; mais Hortense a percé la ruse d'Harpagème; sans en laisser rien paraître, elle l'accueille, l'écoute, le raille, puis aidée de Timante le berne et le bafoue; le dernier épisode surtout, celui de la cage, passe de beaucoup les tours que Beaumarchais imaginera de faire dans le Barbier jouer par Rosine à Bartholo.

(1) On ne sait rien du plan des autres actes.

LE FLORENTIN

COMÉDIE EN UN ACTE

PAR

LA FONTAINE ET CHAMPMESLÉ

SCÈNE VIII. HARPAGÈME, HORTENSE, MARINETTE

(A part. )

HARPAGÈME, en docteur

(A Marinette.)
Feignons, pour l'abuser... En ces lieux envoyé
Pour mettre en bon sentier votre esprit dévoyé...
MARINETTE, le contrefaisant

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(A Marinette.)

Regardez-moi... Fermez ce faux jour. Laissez-nous.

(Marinette sort.)

SCÈNE IX. – HARPAGÈME, HORTENSE

HARPAGÈME

Ma cousine, en ces lieux, de la part d' Harpagème,
Je viens pour vous porter à l'hymen. Il vous aime.
Dès vos plus jeunes ans on vous marqua ce choix :
Votre père, en mourant, vous en dicta les lois ;
Mais vous, d'une amour folle étant préoccupée,
Vous rendez du défunt la volonté trompée;
Et le pauvre Harpagème, au lieu d'affection,
N'a vu que haine en vous, et que rébellion.
HORTENSE

Il est vrai, son humeur a rebuté la mienne :
Mais, monsieur, ce n'est pas ma faute ; c'est la sienne.

Comment?

HARPAGÈME

HORTENSE

Nous demeurions à huit milles d'ici.
Je n'avais jamais vu que lui seul d'homme : ainsi,
Quoiqu'il me parût froid, noir, bizarre, et farouche,
Je me comptais toujours compagne de sa couche :
Sans amour, il est vrai ; toutefois sans ennui,
Présumant que tout homme était fait comme lui;
Mais, loin de me tenir dans cette erreur extrême,
A me désabuser il travailla lui-même ;

Et j'appris par ses soins, avec quelque pitié,
Qu'il était des mortels le plus disgracié.

HARPAGÈME

Quoi ! lui-même ? Comment?

HORTENSE

Vous le savez, mon père

De son pouvoir sur moi le fit dépositaire,
Et mourut. Peu de temps après la mort du sien,
Harpagème, héritier et maître d'un grand bien,
D'avoir place au sénat conçut quelque espérance.
Il voulut faire voir son triomphe à Florence,
M'y traînant avec lui, malgré moi. Dans ces lieux,
Mille gens bien tournés s'offrirent à mes yeux,
Qui de me plaire tous prirent un soin extrême.
Faisant réflexion sur eux, sur Harpagème,

Que vis-je? Ah! mon cousin, quelle comparaison !
L'erreur en mon esprit fit place à la raison :
Mon jaloux me parut d'un dégoût manifeste;
Et je pris sa personne en haine.

HARPAGÈME, à part

Je déteste...

HORTENSE

Quoi donc ! ce franc aveu vous déplaît-il? Comment !
Est-ce que je m'explique à vous trop hardiment?

Non pas, non pas.

HARPAGÈME

HORTENSE

Je vais me contraindre.

HARPAGÈME

Au contraire.

De ce que vous pensez il ne faut rien me taire.-
Si vous voulez, pesant l'une et l'autre raison,
Que je fonde une paix stable en votre maison,
Vous devez me montrer votre âme toute nue,
Ma cousine.

HORTENSE

Oh! vraiment j'y suis bien résolue.
Avant que d'épouser Harpagème aujourd'hui,
Afin que vous jugiez si je dois être à lui,

De tout ce que j'ai fait, de tout ce qu'il m'inspire,
Je ne vous tairai rien... Mais n'allez pas lui dire.
HARPAGÈME

Oh! non, non. Revenons à la réflexion.

Vous fîtes dès ce temps le choix d'un galant?

HORTENSE

Jamais d'en choisir un je n'eusse eu la pensée;
Mais Harpagème, épris d'une rage insensée,
Poussé par un esprit ridicule, importun,

A son dam, malgré moi, m'en fit découvrir un.
HARPAGÈME

Vous verrez que cet homme aura tout fait.

MORTENSE

Non :

Sans doute;

Car, me voulant contraindre à prendre une autre route,

Pour m'ôter du grand monde, il me fit enfermer,

J'étais à ma fenêtre à prendre souvent l'air ;

D'un logis près, un homme en faisait tout de même :
Je ne le voyais pas d'abord; mais...

HARPAGÈME

Vous le fit découvrir, n'est-ce pas ?

HORTENSE

Harpagème

Justement.

Il me dit, tourmenté par son tempérament,

Que sans doute cet homme était là pour me plaire,
Et m'ordonna surtout, fulminant de colère,
De ne plus me montrer lorsque je l'y verrais.
Instruite à ce discours de ce que j'ignorais,
A me montrer encor je me plus davantage;
Et je vis qu'Harpagème avait dit vrai.

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Cet homme enfin, monsieur, dont Timante est le nom,
Me fit voir en ses yeux qu'il m'aimait tout de bon.
Il est jeune, bien fait; sa personne rassemble
Dans leur perfection tous les bons airs ensemble;
Magnifique en habits, noble en ses actions,
Charmant...

HARPAGÈME

Passez, passez sur ses perfections;

Il n'est pas question de vanter son mérite.

HORTENSE

Pardonnez-moi, monsieur. Dans l'ardeur qui m'agite,
Il me semble à propos de vous bien faire voir
Que celui pour qui seul j'ai trahi mon devoir,
Possédant dignement tout ce qu'il faut pour plaire,
A de quoi m'excuser de ce que j'ai pu faire.
Timante est en vertus, et j'en suis caution,
Tout ce qu'est Harpagème en imperfection.
HARPAGÈME

(A Hortense.)

(A part.) Que nature pâtit! Mais poursuivons... Peut-être Cet amant vous revit encore à la fenêtre?

HORTENSE

Non; je ne le vis plus : mon bourru, mécontent,
Fit, de dépit, fermer ma fenêtre à l'instant.

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