Page images
PDF
EPUB

Craindre ces écrivains! on écrit tant chez nous !
La France excelle aux arts, ils y fleurissent tous;
Notre prince avec art nous conduit aux alarmes ;
Et sans art nous louerions le succès de ses armes?
Dieu n'aimerait-il plus à former des talens?
Les Romains et les Grecs sont-ils seuls excellens?
Ces discours sont fort beaux, mais fort souvent frivoles,
Je ne vois point l'effet répondre à ces paroles;
Et, faute d'admirer les Grecs et les Romains,
On s'égare en voulant tenir d'autres chemins.

Quelques imitateurs, sot bétail, je l'avoue,
Suivent en vrais moutons le pasteur de Mantoue.
J'en use d'autre sorte; et, me laissant guider,
Souvent à marcher seul j'ose me hasarder.
On me verra toujours pratiquer cet usage.
Mon imitation n'est point un esclavage:
Je ne prends que l'idée, et les tours, et les lois
Que nos maîtres suivaient eux-mêmes autrefois.
Si d'ailleurs quelque endroit plein chez eux d'excellencè
Peut entrer dans mes vers sans nulle violence,
Je l'y transporte, et veux qu'il n'ait rien d'affecté,
Tâchant de rendre mien cet air d'antiquité.

Je vois avec douleur ces routes méprisées :
Art et guides, tout est dans les Champs-Élysées.
J'ai beau les évoquer, j'ai beau vanter leurs traits,
On me laisse tout seul admirer leurs attraits.
Térence est dans mes mains ; je m'instruis dans Horace,
Homère et son rival sont mes dieux du Parnasse.
Je le dis aux rochers; on veut d'autres discours :
Ne pas louer son siècle est parler à des sourds.
Je le loue, et je sais qu'il n'est pas sans mérite;
Mais, près de ces grands noms, notre gloire est petite :
Tel de nous, dépourvu de leur solidité,

N'a qu'un peu d'agrément, sans nul fonds de beauté.
Je ne nomme personne : on peut tous nous connaître.
Je pris certain auteur autrefois pour mon maître;
Il pensa me gâter (1). A la fin, grâce aux dieux,

(1) Quelques auteurs de ce temps-là affectaient les antithèses, et ces sortes de pensées qu'on appelle Concetti. Cela a suivi immédiatement Malherbe. (Note de La Fontaine.)

Horace, par bonheur, me dessilla les yeux.

L'auteur avait du bon, du meilleur : et la France

Estimait dans ses vers le tour et la cadence.

Qui ne les eût prisés? J'en demeurai ravi :
Mais ses traits ont perdu quiconque l'a suivi.
Son trop d'esprit s'épand en trop de belles choses:
Tous métaux y sont or, toutes fleurs y sont roses (1).
On me dit là-dessus : « De quoi vous plaignez-vous?
De quoi? » Voilà mes gens aussitôt en courroux :
Ils se moquent de moi, qui, plein de ma lecture,
Vais partout prêchant l'art de la simple nature;
Ennemi de ma gloire et de mon propre bien,
Malheureux, je m'attache à ce goût ancien.

« Qu'a-t-il sur nous, dit-on, soit en vers, soit en prose? L'antiquité des noms ne fait rien à la chose, L'autorité non plus, ni tout Quintilien. »

Confus à ces propos, j'écoute, et ne dis rien.
J'avouerai cependant qu'entre ceux qui les tiennent
J'en vois dont les écrits sont beaux et se soutiennent :
Je les prise, et prétends qu'ils me laissent aussi
Révérer les héros du livre que voici.

Recevez leur tribut des mains de Toscanelle.
Ne vous étonnez pas qu'il donne pour modèle
A des ultramontains un auteur sans brillans.
Tout peuple peut avoir du goût et du bon sens,
Ils sont de tout pays, du fond de l'Amérique;
Qu'on y mène un rhéteur habile et bon critique,
Il fera des savans. Hélas! qui sait encor
Si la science à l'homme est un si grand trésor?
Je chéris l'Arioste, et j'estime le Tasse ;
Plein de Machiavel, entêté de Boccace,

J'en parle si souvent qu'on en est étourdi.

J'en lis qui sont du nord, et qui sont du midi.

Non qu'il ne faille un choix dans leurs plus beaux ouvrages.
Quand notre siècle aurait ses savans et ses sages,
En trouverai-je un seul approchant de Platon?
La Grèce en fourmillait dans son moindre canton.
La France a la satire et le double théâtre,

Des bergères d'Urfé chacun est idolâtre :

On nous promet l'histoire, et c'est un haut projet.

(1) Vers de Malherbe. (Note de La Fontaine.)

J'attends beaucoup de l'art, beaucoup plus du sujet :
Il est riche, il est vaste, il est plein de noblesse ;
Il me ferait trembler pour Rome et pour la Grèce.
Quant aux autres talens, l'ode, qui baisse un peu,
Veut de la patience; et nos gens ont du feu.
Malherbe avec. Racan, parmi les chœurs des anges,
Là-haut de l'Éternel célébrant les louanges,

Ont emporté leur lyre; et j'espère qu'un jour
J'entendrai leur concert au céleste séjour.
Digne et savant prélat, vos soins et vos lumières
Me feront renoncer à mes erreurs premières :
Comme vous je dirai l'auteur de l'univers.
Cependant agréez mon rhéteur et mes vers.

Perrault, qui avait de l'esprit non moins que notre Bonhomme, eut le bon sens de riposter. (1) en exaltant les mérites d'un poète au prix duquel il ne voyait rien de meilleur chez les anciens : « On a beau, dit-il, vanter le sel attique, il est de la même nature que tous les autres sels; il n'en diffère que du plus au moins mais celui de M. de La Fontaine est d'une espèce toute nouvelle; il y entre une naïveté, une surprise et une plaisanterie d'un caractère qui lui est tout particulier, qui charme, qui émeut et qui frappe tout d'une autre manière. » Il était bien que celui qui avait composé les fables du Loup et l'Agneau, du Chat et la Souris fût loué ainsi par l'adroit conteur qui, dans de vrais chefs-d'œuvre, avait comme La Fontaine puisé au fonds populaire.

(1) PERRAULT, Parallèle des anciens et des modernes en ce qui regarde la poésie. (1692).

[blocks in formation]

Les Champenois ont toujours aimé qu'un air de musique se mêlât à leurs réjouissances; cet air n'est pas, le plus souvent, beaucoup plus élevé que le chant des grives de leurs vignes, mais il a un rythme aimable, un ton pastoral qui enchantent. C'est à un Champenois, le doux Colin Muset, qu'est due l'invention de la musette, et, pour la vielle et le hautbois, ils apparaissent déjà, du temps du comte Thibault, dans les concerts champêtres, les assauts et tournois de poésie. Bercé, tout enfant, par les vieilles complaintes et les chansons à boire des fileuses et des vignerons de son pays, La Fontaine témoigna, jusque dans sa vieillesse, d'un véritable attachement à la musique. Dans une lettre écrite en 1687 à M. de Bonrepaux, il va jusqu'à dire qu'il a un clavecin chez lui. Au milieu du

... déchaînement qu'on a pour l'opéra,

il disserte avec M. de Niert, musicien, l'un des quatre premiers valets de chambre du roi, sur les talents de Lambert, de Mlles Hilaire et Certain, épilogue sur Quinault et le fameux Lull. (A M. DE NIERT. Sur l'Opéra, épître, 1677.) En faveur de ce dernier il écrit, non seulement les deux

« PreviousContinue »