Page images
PDF
EPUB

Sitôt qu'il crut son fils ferme dans son devoir,
Le pauvre homme le mène voir

Les gens de bien, et tente la fortune.
Ce ne fut qu'en pleurant qu'il exposa ce fils.
Voilà nos ermites partis ;

Ils vont à la cité, superbe, bien bâtie,
Et de tous objets assortie :

Le prince y faisait son séjour.
Le jeune homme, tombé des nues,

Demandait : « Qu'est-ce là?...
Et là?... - Ce sont palais...

Ce sont des gens de cour...

- Ici? Ce sont statues... »

Il considérait tout, quand de jeunes beautés
Aux yeux vifs, aux traits enchantés,
Passèrent devant lui. Dès lors nulle autre chose
Ne put ses regards attirer.

Adieu palais, adieu ce qu'il vient d'admirer.
Voici bien pis, et bien une autre cause
D'étonnement.

Ravi comme en extase à cet objet charmant :
« Qu'est-ce là, dit-il à son père,
Qui porte un si gentil habit?

Comment l'appelle-t-on? » Ce discours ne plut guère
Au bon vieillard, qui répondit :

« C'est un oiseau qui s'appelle oie. »

- O l'agréable oiseau! dit le fils plein de joie.
Oie! hélas! chante un peu, que j'entende ta voix !
Ne pourrait-on point te connaître?
Mon père, je vous prie et mille et mille fois,
Menons-en une en notre bois,

J'aurai soin de la faire paître.

Le conte suivant, imité d'Anacréon, est un de ces récits où l'amour n'a pas moins de part que dans les autres écrits du même livre. On jugera, en le lisant que, seul, le subtil Bonhomme de Champagne pouvait, sans altérer en rien l'expression de l'antique, faire passer du grec dans le français, la langueur chantante et le charme frais et pur du Bonhomme de Téos.

L'AMOUR MOUILLÉ

IMITATION D'ANACREON

J'étais couché mollement,
Et, contre mon ordinaire,
Je dormais tranquillement,
Quand un enfant s'en vint faire
A ma porte quelque bruit.
Il pleuvait fort cette nuit :
Le vent, le froid, et l'orage
Contre l'enfant faisaient rage.
<< Ouvrez, dit-il, je suis nu. »
Moi, charitable et bonhomme,
J'ouvre au pauvre morfondu,
Et m'enquiers comme il se nomme.
« Je te le dirai tantôt,

Repartit-il car il faut
Qu'auparavant je m'essuie. »
J'allume aussitôt du feu.
I regarde si la pluie

N'a point gâté quelque peu
Un arc dont je me méfie.
Je m'approche toutefois,
Et de l'enfant prends les doigts,
Les réchauffe; et dans moi-même
Je dis : « Pourquoi craindre tant?
Que peut-il? c'est un enfant :
Ma couardise est extrême
D'avoir eu le moindre effroi ;
Que serait-ce si chez moi
J'avois reçu Polyphème? >>
L'enfant, d'un air enjoué
Ayant un peu secoué
Les pièces de son armure
Et sa blonde chevelure,

Prend un trait, un trait vainqueur,
Qu'il me lance au fond du cœur.
« Voilà, dit-il, pour ta peine.
Souviens-toi bien de Climène

Et de l'Amour, c'est mon nom.

Ah! je vous connais, lui dis-je,
Ingrat et cruel garçon ;
Faut-il que qui vous oblige
Soit traité de la façon ! ■
Amour fit une gambade;
Et le petit scélérat

Me dit : « Pauvre camarade,

Mon arc est en bon état,

Mais ton cœur est bien malade. »

III

La Fontaine, sans s'éloigner pour cela de la jeune duchesse de Bouillon, avait réussi, depuis quelques années déjà, à se placer sous la protection de Mme la duchesse douairière d'Orléans. Cette princesse, malgré la mort de son mari Gaston, le faible ennemi de Richelieu, continuait d'habiter le palais du Luxembourg. Une Épître à Mignon, chien de S. A. R. Madame la duchesse d'Orléans, nous apprend que Mlles de Valois, d'Orléans et d'Alençon composaient, autour de leur mère, un fort joli trio de Grâces. Mlle Poussay, qui était d'une beauté telle que Mme de Montespan semble avoir redouté son pouvoir un moment sur l'esprit du roi, ajoutait, par sa présence, à l'attrait de cette maison. Nommé « gentilhomme-servant » de l'a duchesse, La Fontaine entreprit de payer, comme il avait fait jadis chez Fouquet, par de petites pièces de vers, les bontés qu'on avait pour lui. Mignon, chien de Madame d'Orléans, qui était, dans ce temps-là, presque aussi célèbre que Gas, l'épagneul de Mme Deshoulières, ou Cochon, le chien du maréchal de Vivonne, reçut, l'un des premiers, le présent d'une épître; Mlle d'Alençon obtint un sonnet, et, de même, Mlle Poussay:

J'étais libre, et vivais content et sans amour...
Quand, du milieu d'un cloître, Amarante est sortie.
Que de grâces, bons dieux! tout rit dans Luxembourg.

La mort de Mme la duchesse douairière d'Orléans, sur venue au printemps de 1672, en venant mettre un terme à ces badinages, affligea quelque temps La Fontaine. Nul n'éprouvait, plus que cet étourdi, du chagrin de la perte de ses amis et le désespoir qu'il ressentit, en 1673, à la mort de Molière, atteste à quel point ce cœur qu'on croyait volage mettait d'attachement dans ses affections.

L'amitié de Molière et de La Fontaine avait commencé de se nouer bien avant que les deux hommes se vissent chez Despréaux, dans la rue du Vieux-Colombier. Dès le moment de la fête de Vaux, La Fontaine, en 1661, en avait écrit à Maucroix et dit, à propos des Fâcheux, comédie de Poquelin représentée à cette occasion:

C'est un ouvrage de Molière.
Cet écrivain par sa manière
Charme à présent toute la cour...

J'en suis ravi car c'est mon homme.

Les réunions de la rue du Vieux-Colombier n'avaient fait que rendre encore plus étroite une liaison si digne en tous points de l'un et de l'autre des poètes; c'est même à l'occasion de l'une de ces rencontres que Molière témoigna hautement de sa déférence envers La Fontaine. C'était au cours d'un souper avec Racine, Boileau et Descoteaux. « La Fontaine était, ce jour-là, encore plus qu'à son ordinaire plongé dans ses distractions. Racine et Boileau, pour le tirer de sa léthargie, se mirent à le railler si vivement qu'à la fin Molière trouva que c'était passer les bornes. Au sortir de table, il poussa Descoteaux dans l'embrasure d'une fenêtre, et lui parlant d'abondance de cœur, il lui dit : « Nos beaux esprits ont beau se trémousser, ils n'effaceront point le Bonhomme (1). »

La Fontaine a peint Molière dans Psyché sous le nom de Gelaste et, pour peu qu'on prête attention aux propos que Polyphile lui fait tenir dans le dialogue, l'on jugera de la réciprocité de la loyale et franche affection qu'éprouvèrent

(1) WALCKENAER, op. cit.

de tout temps deux hommes si bien faits pour s'entendre. L'on sait comment Molière, frappé de convulsion, tomba sur la scène, le soir de la quatrième représentation du Malade imaginaire. Transporté chez lui, il mourut peu d'instants après, dans la même nuit du 17 février 1673. Affligé de l'imprévu d'une mort si dramatique, La Fontaine écrivit, en mémoire de son ami, cette belle épitaphe

DE MOLIÈRE

(1673)

Sous ce tombeau gisent Plaute et Térence.
Et cependant le seul Molière y gît.

Leurs trois talents ne formaient qu'un esprit
Dont le bel art réjouissait la France.
Ils sont partis! et j'ai peu d'espérance
De les revoir. Malgré tous nos efforts.
Pour un long temps, selon toute apparence,
Térence, et Plaute, et Molière, sont morts.

Parmi les hommes illustres qui témoignèrent volontiers dans ce temps-là, de leur amitié pour La Fontaine, était M. de Turenne. Saint-Evremond, a pu écrire, au cours d'un Eloge qu'il a composé du maréchal, que « jamais les vertus des particuliers n'ont été si bien unies avec les qualités des héros qu'en la pérsonne de M. de Turenne : il était facile dans le commerce, délicat dans la conversation, fidèle dans l'amitié ». La Fontaine, qui connaissait le maréchal par le duc de Bouillon duquel il était l'oncle, l'éprouva plus d'une fois; il y avait aussi du Bonhomme en M. de Turenne; et ce ne fut pas le moins piquant de la rencontre de ces deux hommes que de voir avec quelle satisfaction le grand poète et le grand capitaine s'entendaient avec modestie à se charmer l'un l'autre. La Fontaine écrivit, dans le moment de la campagne d'Alsace, deux épîtres pour M. de Turenne. C'est par la première de ces épîtres que nous apprenons que le maréchal lisait volontiers Marot; la seconde, qui n'est pas moins belle que la première, peint la

« PreviousContinue »