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Nous ferions bien quelque marché,
Non avec lui, mais avec elle.

(Il s'adresse à la femme :)

Vous me devez; mais, entre nous,
Si vous vouliez... bien à votre aise....
LA FEMME

Monsieur, pour qui me prenez-vous?
Voyez un peu frère Nicaise !

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(Le marchand entre dans la boutique du savetier.)

LE MARCHAND

Ma douce amie,

On doit apporter du vin frais;
Quelque régal il nous faut faire.

SEPTIÈME ENTRÉE. LA FEMME ET LE MARCHAND, tous deux dans la boutique; et un pâtissier qui apporte la collation.

LE PATISSIER

Un bon bourgeois se met en frais...

(Il aperçoit le marchand qui caresse la femme du savetier, et dit

à part :)

Oh! oh! yoici bien autre affaire;

Mais ne faisons semblant de rien...
(Il s'adresse au marchand et à la femme.)
Bonjour, monsieur, bonjour, madame.

LE MARCHAND

Tous tes dauphins (1) ne valent rien.
LE PATISSIER

En voici de bons, sur mon âme.

LE MARCHAND

Mets sur ton livre, pâtissier;

Je n'ai pas un sou de monnaie.

(Le pâtissier sort, et le marchand, buvant à la santé de la femme, dit :)

A vous !

LA FEMME

A vous ! mais le papier?

LE MARCHAND, montrant le papier qui contient l'obligation que le savetier a souscrite à son profit. Le voilà.

LA FEMME

Donnez que je voie ;

Donnez, donnez, mon cher monsieur.
LE MARCHAND

Avant, donnez-moi la victoire.

LA FEMME

Je suis vraiment femme d'honneur ;
Quand j'ai juré, l'on peut me croire :
Déchirez.

LE MARCHAND, déchirant à plusieurs reprises un coin de l'obligation

Crac!

LA FEMME

Déchirez donc;

Vous n'en déchirez que partie.

LE MARCHAND, déchirant le papier en entier.
Il est déchiré tout du long.

Hem !

LA FEMME, toussant.

LE MARCHAND

Qu'avez-vous, ma douce amie?

་་

(1) « Petits pâtés. »

LA FEMME, toussant encore plus fort.

C'est le rhume.

LE MARCHAND

Foin de la toux!

Assurément ce sont défaites.

HUITIEME ENTRÉE

LE SAVETIER, accourant en diligence au signal, et disant d'un air railleur et courroucé :

Ah! monsieur, quoi ! vous voir chez nous ?
C'est trop d'honneur que vous nous faites.
LE MARCHAND, se levant.

Argent! argent!

LE SAVETIER, d'un air menaçant, et cherchant à prendre
l'obligation que le marchand tient à la main.
Papier! papier!

LE MARCHAND, effrayé.

Si je m'oblige à vous le rendre?

LE SAVETIER, s'avançant furieux sur le marchand.
Ce n'est mon fait point de quartier;

Je ne me laisse point surprendre.

(Le marchand remet le papier au savetier, et sort de sa boutique et du théâtre. Le savetier et sa femme éclatent de rire. L'on danse.)

Quand La Fontaine reprendra, plus tard, dans les Contes, ce thème du Savetier, il ne fera pas mieux. « La grâce et l'ironie champenoises » vantées par Michelet, et qui paraissent ici, témoignent assez haut qu'au moment des Rieurs, le poète n'en est plus seulement à Malherbe, à Platon et Térence; il a lu« maître François »; il a lu Marot et Voiture; Marie de France et la reine de Navarre ont conté pour lui leurs doux contes!

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Un grand nez mobile, des yeux vifs et malins, une bouche souriante et sensuelle, de longs cheveux encadrant le visage, enfin, dans toute la mise, un air de ruse et d'austérité appelant la défiance et le respect, voilà Fouquet dans le temps que le peignit Robert Nanteuil.

Fouquet était surintendant général des finances; nulle fortune, plus que la sienne, ne s'était improvisée avec éclat.

Soutenu par la volonté de Mazarin, le surintendant, loin de voir son influence baisser à la mort de son maître, avait eu le talent de se maintenir au pouvoir sous le jeune monarque. Dès le début du gouvernement personnel du roi, Fouquet avait été confirmé dans sa charge et rien, dès le moment de la disparition du cardinal, n'était venu s'opposer à l'affermissement d'une des puissances politiques les plus fortes qu'on ait vues.

La faiblesse de Fouquet, parvenu au faîte de la grandeur, était toute dans le désordre de son faste, dans les prodigalités auxquelles il se livrait de l'argent et des hon

neurs. Un tel homme, dans un tel emploi, eût dû se maintenir dans des mœurs pures, dans le respect sévère de sa fonction; mais Fouquet était magnifique; son génie était orgueilleux, et pour ses talents ils n'entendaient de briller que dans le déploiement le plus grand du luxe. Quelqu'un de ceux qui lui voulaient du bien l'avait prévenu, du vivant même de Mazarin, du danger que présentaient pour son avenir des aspirations peu compatibles avec sa charge. « Le Cardinal a dit au roi, lui avoua-t-on, que, si l'on pouvait vous ôter les femmes et les bâtiments de la tête, on pourrait faire avec vous de grandes choses. » Le conseil était bon, mais, comment, avec une telle nature, résister aux regards de Menneville et de Fouilloux, ces beautés, comment ne pas acheter Belle-Ile, comment ne pas faire élever un château à Vaux? Chose curieuse pour un financier, les seules<< grandes choses» que Fouquet réalisa vraiment bien en sa vie furent toutes du côté des beaux-arts et des lettres. Le peintre Le Brun, le jardinier Le Nostre éprouvèrent ses bontés, et, du côté des auteurs, Pierre et Thomas Corneille, Boisrobert, Scarron, Molière, Gombault, Perrault, Quinault, Maucroix, La Fontaine et Pellisson participèrent à ses bienfaits.

II

C'est par Jacques Jannart, conseiller du roi et substitut du procureur général au Parlement de Paris, oncle par alliance de Marie Héricart, que La Fontaine put approcher de Fouquet. Le surintendant vit tout de suite quelle sorte d'admirable poète était le Bonhomme. « Son mérite a été de l'avoir aimé avant tout le monde », a écrit M. Anatole France (1). Et le fait est que, le premier, Fouquet tira le Champenois de l'obscurité; le premier, il éveilla dans ce cœur ingénu, en la poussant à de grands desseins litté

(1) PFNOR et FRANCE, le Château de Vaux (1888).

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