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Que me sert le vain bruit d'un peu de renommée?
J'y renonce à présent; ces biens ne m'étaient doux
Qu'autant qu'ils me pouvaient rendre digne de vous.
Je respire à regret ; l'âme m'est inutile.
J'aimerais autant être une cendre infertile
Que d'enfermer un cœur par vos traits méprisé :
Clymène, il m'est nouveau de le voir refusé.
Hier encor, ne pouvant maîtriser mon courage,
Je dis sans y penser : « Tout changement soulage:
Amour, viens me guérir par un autre tourment.
Non, ne viens pas, Amour, dis-je au même moment;
Ma cruelle me plaît. Vois ses yeux et sa bouche.

O dieux ! qu'elle a d'appas! qu'elle plaît ! qu'elle touche!
Dis-moi s'il fut jamais rien d'égal dans ta cour.

Ma cruelle me plaît; non, ne viens pas, Amour. »

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Moi cesser d'être amant! et puis-je être autre chose?
Puis-je trouver en vous ce que j'ai tant loué,
Et vouloir pour ami, sans plus, être avoué?
Non, Clymène, ce bien, encor qu'inestimable,
N'a rien de votre part qui me soit agréable :
D'une autre que de vous je pourrais l'accepter;
Mais quand vous me l'offrez, je dois le rejeter.
Il ne m'importe pas que d'autres en jouissent;
Gardez votre présent à ceux qui me haïssent
Aussi bien ne m'est-il réservé qu'à demi.
Dites, me traitez-vous encor comme un ami?
Tâchez-vous de guérir mon cœur de sa blessure?
On dirait que ma mort vous semble trop peu sûre.
Depuis que je vous vois, vous m'offrez tous les jours
Quelque nouveau poison forgé par les Amours.
C'est tantôt un clin d'oeil, un mot, un vain sourire,
Un rien; et pour ce rien nuit et jour je soupire!
L'ai-je à peine obtenu, vous y joignez un mal
Qu'après moi l'on peut dire à tous amans fatal.
Vous me rendez jaloux ; et de qui? Quand j'y songe,
Il n'est excès d'ennuis où mon cœur ne se plonge.

J'envie un rival mort! M'ajoutera-t-on foi,

Quand je dirai qu'un mort est plus heureux que moi?
Cependant il est vrai. Si mes tristes pensées
Vous sont avec quelque art sur le papier tracées,
« Cléandre, dites-vous, avait cet art aussi. »>
Si par de petits soins j'exprime mon souci,
<< Il en faisait autant, mais avec plus de grâce. »
Enfin, si l'on vous croit, en rien je ne le passe.
Vous vous représentez tout ce qui vient de lui,
Tandis que dans mes yeux vous lisez mon ennui.
Ce n'est pas tout encor; vous voulez que je voie
Son portrait, où votre âme a renfermé sa joie.
<< Remarquez, me dit-on, cet air rempli d'attraits. »
J'en remarque après vous jusques aux moindres traits.
Je fais plus je les loue, et souffre que vos larmes
Arrosent à mes yeux ce portrait plein de charmes.
Quelquefois je vous dis : « C'est trop parler d'un mort ! »
A peine on s'en est tu, qu'on en reparle encor.

« Je porte, dites-vous, malheur à ceux que j'aime
Le ciel, dont la rigueur me fut toujours extrême,
Leur fait à tous la guerre, et sa haine pour moi
S'étendra sur quiconque engagera ma foi.
Mon amitié n'est pas un sort digne d'envie :
Cléandre, tu le sais, il t'en coûte la vie.
Hélas! il m'a longtemps aimée éperdument :
En présence des dieux il en faisait serment.
Je n'ai réduit son feu qu'avec beaucoup de peine. »>
Si vous l'avez réduit, avouez-moi, Clymène,
Que le mien, dont l'ardeur augmente tous les jours,
Mieux que celui d'un mort mérite vos amours.

Le Différend de Beaux-Yeux et de Belle-Bouche, paru la même année que Clymène et les Elégies, n'est qu'un petit poème de rhétorique amoureuse; mais ce petit poème contient de gracieux vers:

Belle-Bouche fait des soupirs
Tels à peu près que les zéphyrs
En la saison des violettes...

Il était bien que le Bonhomme consentît de l'écrire au moment où la belle des belles, la précieuse des pré

cieuses, Julie d'Angennes, épouse de M. de Montausier, allait tout enguirlandée des fleurs des poètes - descendre au tombeau (1). C'était une manière d'adieu qu'il lui faisait là; et rien ne dut être plus cher à la Muse de Colletet, de Malleville et de Scudéry, à la reine de tous les héros du tendre, que de pouvoir connaître, avant que d'aller chez les morts, cette dissertation si galamment emblé matique.

(1) Le 15 novembre 1671.

CHAPITRE VI

LA FONTAINE ET LE MONDE

I. La Fontaine collabore à un « recueil de poésies chrestiennes et diverses » - · II. Le troisième livre des Contes. III. Relations et amitiés de La Fontaine. IV. Nouveau recueil de

« Fables. »>

I

Où l'on peut juger de toute l'efficacité du sentiment amical de La Fontaine, c'est dans la sorte d'abandon qu'il faisait quelquefois de son nom à des ouvrages collectifs qui ne prenaient vraiment d'intérêt que parce qu'il y prêtait de ses écrits particuliers. Pintrel et Maucroix obtinrent de cette manière qu'il présentât leurs poèmes au public; mais le livre du même genre où il collabora le plus volontiers, en prose et en vers, est le Recueil de poésies chrestiennes et diverses que Henri-Louis de Loménie, comte de Brienne, ancien secrétaire d'Etat alors retiré à l'Oratoire, fit paraître, avec le concours de MM. de Port-Royal, dans le courant de l'année 1671. Ce recueil, destiné à l'éducation de l'aîné des jeunes princes de Conti (1), contenait nombrede pièces de Racan, de Godeau, de Malherbe; le Bonhomme, largement mis à contribution, était représenté, confondu aux

(1) Louis-Armand et François-Louis de Bourbon, princes de Conti, neveux du Grand Condé, nés, le premier en 1661, et le second en 1664, étaient à peu près du même âge que Louis, dauphin de France. Mme de Caylus (Souvenirs) écrit à ce propos : MM. les princes de Conti avaient été élevés avec Mgr le Dauphin, dans les premières années de leur vie, et par une mère d'une vertu exemplaire. Ils avaient tous deux de l'esprit et étaient fort instruits. »

autres, par quelques-unes de ses Fables les plus célèbres, des fragments de Psyché, l'Elégie pour M. Fouquet, voire une paraphrase du psaume XVII mis en vers français. Un poème, servant de dédicace, offrait, avec beaucoup de bonne grâce et dans des termes choisis le plus heureusement, le recueil au jeune prince.

A MONSEIGNEUR LE PRINCE DE CONTI

SERVANT DE DÉDICACE AU RECUEIL DE « POÉSIES CHRESTIENNES ET DIVERSES »

(1671)

Prince chéri du ciel, qui fais voir à la France
Les fruits de l'âge mûr joints aux fleurs de l'enfance,
Conti, dont le mérite, avant-courrier des ans,

A des astres bénins épuisé les présens,

A l'abri de ton nom, les mânes des Malherbes
Paraîtront désormais plus grands et plus superbes ;
La scène semblera briller de nouveaux traits;
Les Racans, les Godeaux, auront d'autres attraits;
Par ton nom tu rendras ces ouvrages durables;
Après mille soleils ils seront agréables.

Si le pieux y règne, on n'en a point banni
Du profane innocent le mélange infini.

Pour moi, je n'ai de part en ces dons du Parnasse
Qu'à la faveur de ceux que je suis à la trace.
Ésope me soutient par ses inventions;
J'orne de traits légers ses riches fictions :
Ma muse cède en tout aux muses favorites
Que l'Olympe doua de différens mérites.
Cependant à leurs vers je sers d'introducteur.
Cette témérité n'est pas sans quelque peur.
De ce nouveau recueil je t'offre l'abondance,
Non point par vanité, mais par obéissance.
Ceux qui par leur travail l'ont mis en cet état,
Te le pouvaient offrir en termes pleins d'éclat ;
Mais craignant de sortir de cette paix profonde
Qu'ils goûtent en secret loin du bruit et du monde,

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