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C'est dans les bois qu'Amour a troublé son repos.
Ma muse en sa faveur de myrte s'est parée;
J'ai voulu célébrer l'amant de Cythérée,
Adonis, dont la vie eut des termes si courts,
Qui fut pleuré des Ris, qui fut plaint des Amours.

Ce paysage bleuté, limpide et cristallin, envahi de molles ombres, baigné d'eaux les plus fraîches, transparent d'abord, ne commencera de s'obscurcir qu'avec le bruit du cor et l'appel des chasseurs; mais, au début, c'est un paysage idyllique!

Tant de travaux, une diversité aussi soutenue dans la prose et la poésie n'avaient pas été sans valoir quelque gloire au Bonhomme. Le succès de Psyché avait été très vif, si vif même que Molière avait décidé de composer un opéra de cet ouvrage; comme il fallait que cet opéra fût achevé dans le courant de l'année 1670, Molière s'était fait aider de Quinault; Corneille, malgré son grand âge, fut aussi prié d'y participer : c'est même à cette occasion que ce grand homme, malgré ses soixante-quatre ans, composa, nous assure Voltaire, «< cette déclaration de Psyché à l'Amour qui passe encore pour un des morceaux les plus tendres et les plus naturels qui soient au théâtre ». L'un des autres avantages que La Fontaine tira du succès de son roman fut encore de parvenir jusqu'à Louis XIV à qui le duc de SaintAignan voulut bien le présenter.

Le poème d'Adonis, qui n'était, dans l'esprit de l'auteur, que le complément naturel de Psyché, participa de la même fortune. Jamais La Fontaine n'apporta plus de feu ni de jeunesse à peindre, dans ses vers, l'amour et le regret. S'il est vrai que le poète « est rempli de Virgile », qu'« il loue la volupté avec les mots d'Horace >>> (TAINE), c'est surtout dans cette œuvre exquise et passionnée, dans cette page toute tiède des larmes de Vénus et si vivante, si chaude, qu'on croit entendre déjà, à travers les soupirs, l'accent de Chénier ou celui de Musset!

IV

Les Elégies, qui parurent à deux ans de là, en même temps que la petite comédie de Clymène, permettent de considérer à quelle mélancolie atteint parfois le poète dans l'expression de l'amour. Quelqu'un s'est demandé, à ce propos, si la Clymène du théâtre et la veuve pudique des Elégies n'étaient point la même et si le terme de « beauté de province »>, employé dans le dialogue, ne désignait point quelque belle personne de Chaury (1)? Cette confusion est d'autant plus possible que c'est le même sentiment qui conduit ces œuvres et que, dans le théâtre ainsi que dans les poèmes, il s'agit des mêmes difficultés amoureuses.

(1) G. LAFENESTRE, La Fontaine.

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Me voici rembarqué sur la mer amoureuse,
Moi qui pour tant de fois elle fut malheureuse ;
Qui ne suis pas encor du naufrage essuyé,
Quitte à peine d'un vœu nouvellement payé.
Que faire? mon destin est tel qu'il faut que j'aime.
On m'a pourvu d'un cœur peu content de lui-même,
Inquiet, et fécond én nouvelles amours :

Il aime à s'engager, mais non pas pour toujours.
Si faut-il une fois brûler d'un feu durable :
Que le succès en soit funeste ou favorable,
Qu'on me donne sujet de craindre ou d'espérer,
Perte ou gain, je me veux encore aventurer.
Si l'on ne suit l'Amour, il n'est douceur aucune.
Ce n'est point près des rois que l'on fait sa fortune :
Quelque ingrate beauté qui nous donne des lois,
Encore en tire-t-on un souris quelquefois ;

Et, pour me rendre heureux, un souris peut suffire.

Clymène, vous pouvez me donner un empire,
Sans que vous m'accordiez qu'un regard d'un instant
Tiendra-t-il à vos yeux que je ne sois content?
Hélas! qu'il est aisé de se flatter soi-même !
Je me propose un bien dont le prix est extrême,
Et ne sais seulement s'il m'est permis d'aimer.
Pourquoi non, s'il vous est permis de me charmer?

Je verrai les plaisirs suivre en foule vos traces,
Votre bouche sera la demeure des Grâces,
Mille dons près de vous me viendront partager;
Et mille feux chez moi ne viendront pas loger!
Et je ne mourrai pas! Non, Clymène, vos charmes
Ne paraîtront jamais sans me donner d'alarmes ;
Rien ne peut empêcher que je n'aime aussitôt.
Je veux brûler, languir, et mourir s'il le faut :
Votre aveu là-dessus ne m'est pas nécessaire.
Si pourtant vous aimer, Clymène, était vous plaire,
Que je serais heureux, quelle gloire ! quel bien !
Hors l'honneur d'être à vous je ne demande rien.
Consentez seulement à vous voir adorée ;

Il n'est condition des mortels révérée
Qui ne me soit alors un objet de mépris.
Jupiter, s'il quittait le céleste pourpris,
Ne m'obligerait pas à lui céder ma peine.
Je suis plus satisfait de ma nouvelle chaîne
Qu'il ne l'est de sa foudre. Il peut régner là-haut :
Vous servir ici-bas c'est tout ce qu'il me faut.
Pour me récompenser, avouez-moi pour vôtre;
Et, si le sort voulait me donner à quelque autre,
Dites : « Je le réclame; il vit dessous ma loi :
Je vous en avertis, cet esclave est à moi;
Du pouvoir de mes traits son cœur porte la marque,
N'y touchez point. » Alors je me croirai monarque.
J'en sais de bien traités ; d'autres il en est peu (1).

Je serai plus roi qu'eux après un tel aveu.
Daignez donc approuver les transports de mon zèle ;
Il vous sera permis après d'être cruelle.
De ma part, le respect et les soumissions,
Les soins, toujours enfans des fortes passions,
Les craintes, les soucis, les fréquentes alarmes,
L'ordinaire tribut des soupirs et des larmes,
Et, si vous le voulez, mes langueurs, mon trépas,
Clymène, tous ces biens ne vous manqueront pas.

(1) « Je sais des rois que l'amour a bien traités; il en est peu qui aient à se plaindre de l'amour. >>

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Ah! Clymene, j'ai cru vos yeux trop de léger,
Un seul mot les a fait de langage changer.
Mon amour vous déplaît; je vous nuis, je vous gêne;
Que ne me laissiez-vous dissimuler ma peine?
Ne pouvais-je mourir sans que l'on sût pourquoi?
Vouliez-vous qu'un rival pût triompher de moi !
Tandis qu'en vous voyant il goûte des délices,
Vous le rendez heureux encor par mes supplices :
Il en jouit, Clymène, et vous y consentez !
Vos regards et mes jours par lui seront comptés!
J'ose à peine vous voir; il vous parle à toute heure!
Honte, dépit, Amour, quand faut-il que je meure?
Hélas! étais-je né pour un si triste sort?
Sont-ce là les plaisirs qui m'attendaient encor?
Vous me deviez, Clymène, une autre destinée.
Mais, puisque mon ardeur est par vous condamnée,
Le jour m'est ennuyeux, le jour ne m'est plus rien..
Qui me consolera? je fuis tout entretien ;

Mon cœur veut s'occuper sans relâche à sa flamme.
Voilà comme on vous sert; on n'a que vous dans l'âme.

Devant que sur vos traits j'eusse porté les yeux,
Je puis dire que tout me riait sous les cieux.
Je n'importunais pas au moins par mes services;
Pour moi le monde entier était plein de délices :

J'étais touché des fleurs, des doux sons, des beaux jours;
Mes amis me cherchaient, et parfois mes amours.

Que si j'eusse voulu leur donner de la gloire,
Phébus m'aimait assez pour avoir lieu de croire
Qu'il n'eût en ce moment osé se démentir.

Je ne l'invoque plus que pour vous divertir.

Tous ces biens que j'ai dits n'ont plus pour moi de charmes :
Vous ne m'avez laissé que l'usage des larmes ;

Encor me prive-t-on du triste réconfort
D'en arroser les mains qui me donnent la mort;
Adieu plaisirs, honneurs, louange bien-aimée;

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