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continuerait, mais comment ils trouvaient à propos qu'il continuât. L'un lui donna un avis, l'autre un autre de tout cela il ne prit que ce qu'il lui plut. Quand l'ouvrage fut achevé, il demanda jour et rendez-vous pour le lire.

Acante ne manqua pas, selon sa coutume, de proposer une promenade en quelque lieu, hors de la ville, qui fût éloigné, et où peu de gens entrassent: on ne les viendrait point interrompre; ils écouteraient cette lecture avec moins de bruit et plus de plaisir. Il aimait extrêmement les jardins, les fleurs, les ombrages. Polyphile lui ressemblait en cela; mais on peut dire que celui-ci aimait toutes choses. Ces passions, qui leur remplissaient le cœur d'une certaine tendresse, se répandaient jusqu'en leurs écrits, et en formaient le principal caractère. Ils penchaient tous deux vers le lyrique, avec cette différence qu'Acante avait quelque chose de plus touchant, Polyphile de plus fleuri. Des deux autres amis, que j'appellerai Ariste et Gelaste, le premier était sérieux sans être incommode; l'autre était fort gai.

La proposition d'Acante fut approuvée. Ariste dit qu'il y avait de nouveaux embellissemens à Versailles : il fallait les aller voir, et partir matin, afin d'avoir le loisir de se promener après qu'ils auraient entendu les aventures de Psyché. La partie fut incontinent conclue : dès le lendemain ils l'exécutèrent. Les jours étaient encore assez longs, et la saison belle : c'était pendant le dernier automne.

Nos quatre amis, étant arrivés à Versailles de fort bonne heure, voulurent voir, avant le dîner, la ménagerie : c'est un lieu rempli de plusieurs sortes de volatiles et de quadrupèdes, la plupart très-rares et de pays éloignés. Ils admirèrent en combien d'espèces une seule espèce d'oiseaux se multipliait, et louèrent l'artifice et les diverses imaginations de la nature, qui se joue dans les animaux comme elle fait dans les fleurs. Ce qui leur plut davantage, ce furent les demoiselles de Numidie, et certains oiseaux pêcheurs qui ont un bec extrêmement long, avec une peau au-dessous qui leur sert de poche. Leur plumage est blanc, mais d'un blanc plus clair que celui des cygnes; même de près il paraît carné, et tire sur la couleur de rose vers la racine. On ne peut rien voir de plus beau. C'est une espèce de

cormorans.

Comme nos gens avaient encore du loisir, ils firent un tour à l'orangerie. La beauté et le nombre des orangers et des autres plantes qu'on y conserve ne se saurait exprimer. Il y a tel de ces arbres qui a résisté aux attaques de cent hivers.

Acante, ne voyant personne autour de lui que ses trois amis (celui qui les conduisait était éloigné); Acante, dis-je, ne se put tenir de réciter certains couplets de poésie que les autres se souvinrent d'avoir vus dans un ouvrage de sa façon.

Sommes-nous, dit-il, en Provence?
Quel amas d'arbres toujours verts
Triomphe ici de l'inclémence
Des aquilons et des hivers!

Jasmins dont un air doux s'exhale,
Fleurs que les vents n'ont pu ternir,
Aminte en blancheur vous égale;
Et vous m'en faites souvenir.

Orangers, arbres que j'adore,
Que vos parfums me semblent doux !
Est-il dans l'empire de Flore
Rien d'agréable comme vous?

Vos fruits aux écorces solides
Sont un véritable trésor;
Et le jardin des Hespérides
N'avait point d'autres pommes d'or.

Lorsque votre automne s'avance,
On voit encor votre printemps;
L'espoir avec la jouissance

Logent chez vous en même temps.

Vos fleurs ont embaumé tout l'air que je respire :
Toujours un aimable zéphyre

Autour de vous se va jouant.
Vous êtes nains; mais tel arbre géant,

Qui déclare au soleil la guerre,

Ne vous vaut pas,

Bien qu'il couvre un arpent de terre
Avec ses bras.

La nécessité de manger fit sortir nos gens de ce lieu si délicieux. Tout leur dîner se passa à s'entretenir des choses qu'ils

avaient vues, et à parler du monarque pour qui on a assemblé tant de beaux objets. Après avoir loué ses principales vertus, les lumières de son esprit, ses qualités héroïques, la science de commander; après, dis-je, l'avoir loué fort longtemps, ils revinrent à leur premier entretien, et dirent que Jupiter seul peut continuellement s'appliquer à la conduite de l'univers. Les hommes ont besoin de quelque relâche. Alexandre faisait la débauche; Auguste jouait; Scipion et Lælius s'amusaient souvent à jeter des pierres plates sur l'eau: notre monarque se divertit à faire bâtir des palais, cela est digne d'un roi. Il y a même une utilité générale, car, par ce moyen, les sujets peuvent prendre part aux plaisirs du prince, et voir avec admiration ce qui n'est pas fait pour eux. Tant de beaux jardins et de somptueux édifices sont la gloire de leur pays. Et que ne disent point les étrangers! Que ne dira point la postérité quand elle verra ces chefs-d'œuvre de tous les arts!

Les réflexions de nos quatre amis finirent avec leur repas. Ils retournèrent au château ; virent les dedans, que je ne décrirai point, ce serait une œuvre infinie. Entre autres beautés, ils s'arrêtèrent longtemps à considérer le lit, la tapisserie et les sièges dont on a meublé la chambre et le cabinet du roi. C'est un tissu de la Chine, plein de figures qui contiennent toute la religion de ce pays-là. Faute de brachmane, nos quatre amis n'y comprirent rien.

Du château ils passèrent dans les jardins, et prièrent celui qui les conduisait de les laisser dans la grotte jusqu'à ce que la chaleur fût adoucie; ils avaient fait apporter des sièges. Leur billet venait de si bonne part, qu'on leur accorda ce qu'ils demandaient même afin de rendre le lieu plus frais, on en fit jouer les eaux...

Les quatre amis ne voulurent point être mouillés ; ils prièrent celui qui leur faisait voir la grotte de réserver ce plaisir pour le bourgeois ou pour l'Allemand, et de les placer en quelque coin où ils fussent à couvert de l'eau. Ils furent traités comme ils souhaitaient. Quand leur conducteur les eut quittés, ils s'assirent à l'entour de Polyphile, qui prit son cahier; et, ayant toussé pour se nettoyer la voix, il commença par ces vers :

Le dieu qu'on nomme Amour n'est pas exempt d'aimer :
A son flambeau quelquefois il se brûle;

Et si ses traits ont eu la force d'entamer

Les cœurs de Pluton et d'Hercule,

Il n'est pas inconvénient
Qu'étant aveugle, étourdi, téméraire,
Il se blesse en les maniant;

Je n'y vois rien qui ne se puisse faire :
Témoin Psyché, dont je vous veux conter
La gloire et les malheurs, chantés par Apulée.
Cela vaut bien la peine d'écouter;
L'aventure en est signalée.

Polyphile toussa encore une fois après cet exorde ; puis, chacun s'étant préparé de nouveau pour lui donner plus d'attention, il commença son histoire.

Cette histoire n'est autre que celle de l'Amour qui devint épris de Psyché, la plus belle et la plus accomplie des trois filles de l'un des rois les plus puissants de la Grèce. Enlevée par le Zéphyre, Psyché fut transportée par lui dans une. demeure qui est la plus merveilleuse chose du monde ». Et là, elle eût pu couler des ans nombreux, au sein du plus parfait et plus doux bonheur.

Mais, au milieu de tant de délices, Psyché ressent un très grand chagrin; la cause en est que, malgré toute l'insistance dont elle est capable, l'Amour lui dérobe son visage, son corps et ne se montre jamais à elle sous des traits charmants. Persuadée par ses sœurs que le pudique époux qui se cache ainsi à sa vue ne peut être qu'un monstre, Psyché ne résiste pas à la curiosité de savoir. Sur le conseil des jalouses, et dans le but de se débarrasser d'un mari aussi effrayant, l'étourdie s'arme d'un poignard; puis, s'éclairant d'une lampe, elle pénètre, la nuit, dans la chambre de l'être mystérieux, qui lui fut imposé par l'oracle.

A peine Psyché se fût-elle aperçue, à la lueur de cette lampe, que le monstre qu'elle redoutait avec tant de crainte était l'Amour, qu'elle ne put résister à l'attrait de s'approcher, en tremblant, de plus près encore. Mais, à ce moment, elle pencha si maladroitement la lampe qu'« il en tomba sur la cuisse de son époux une goutte d'huile enflammée. La douleur éveilla le dieu. Il vit la pauvre Psyché qui, toute confuse, tenait sa lampe; et, ce qui fut le plus malheureux, il vit aussi le poignard tombé près de lui »,

Dispensez-moi de vous raconter le reste écrit, à ce moment, le poète; vous seriez touchés de trop de pitié au récit que je vous ferais.

Là finit de Psyché le bonheur et la gloire :
Et là votre plaisir pourrait cesser aussi.
Ce n'est pas mon talent d'achever une histoire
Qui se termine ainsi.

LIVRE DEUXIÈME

[Chassée du palais de son époux, dépouillée de ses riches vêtements, persécutée par Vénus, Psyché, la pauvre Psyché, errante et malheureuse, rejetée sur la terre des hommes, expie dans les larmes sa curiosité imprudente.]

Psyché cependant continuait de chercher l'Amour, toujours en son habit de bergère. Il avait une telle grâce sur elle, que si son ennemie l'eût vue avec cet habit, elle lui en aurait donné un de déesse en la place. Les afflictions, le travail, la crainte, le peu de repos et de nourriture, avaient toutefois diminué ses appas; si bien que, sans une force de beauté extraordinaire, ce n'aurait plus été que l'ombre de cet objet qui avait tant fait parler de lui dans le monde. Bien lui prit d'avoir des charmes à moissonner pour le temps et pour la douleur, et encore de reste pour elle. Le plus cruel de son aventure était les craintes qu'on lui donnait. Tantôt elle entendait dire que Vénus la faisait chercher par d'autres gens; quelquefois même qu'elle était tombée entre les mains de son ennemie, qui, à force de tourmens, l'avait rendue méconnaissable.

Un jour elle eut une telle alarme, qu'elle se jeta dans une chapelle de Cérès, comme en un asile qui de bonne fortune se présentait. Cette chapelle était près d'un champ dont on venait de couper les blés. Là les laboureurs des environs offraient tous les ans les prémices de leur récolte. Il y avait un grand monceau de javelles à l'entrée du temple. Notre bergère se prosterna devant l'image de la déesse; puis lui mit au bras un cha

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