Non pas trou, mais trouée, horrible et large plaie Par ordre du seigneur; car il eût été mal Que n'en auraient fait en cent ans Petits princes, videz vos débats entre vous. FABLE XI. La Grenouille et le Rat. Tel, comme dit Merlin (1), cuide engeigner (2) autrui, J'ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd'hui ; Sur le bord d'un marais égayait ses esprits. Une grenouille approche, et lui dit en sa langue : Il n'était pas besoin de plus longue harangue. Cent raretés à voir le long du marécage : Un jour il conterait à ses petits-enfans Les beautés de ces lieux, les mœurs des habitans, Et le gouvernement de la chose publique Aquatique. Un point, sans plus, tenait le galant empêché : (1) Non pas l'enchanteur, mais Merlin Coccaye l'auteur de l'Histoire macaronique. (2) « Cuide engeigner, croit tromper. La Fontaine regrette ici l'emploi de ce vieux mot tombé en désuétude. Il nageait quelque peu, mais il fallait de l'aide. Un brin de jonc en fit l'affaire. Dans le marais entrés, notre bonne commère Tout en fut, tant et si bien Que de cette double proie Ayant, de cette façon,. A souper chair et poisson. La ruse la mieux ourdie Retourne sur son auteur (2). FABLE XV. Le Loup, la Chèvre, et le Chevreau (3). La bique, allant remplir sa traînante mamelle, Et paître l'herbe nouvelle, " Telle est l'orthographe constante de La Fontaine; le mot est écrit une seule fois avec un t dans la fable V du livre IV, où il rime avec talent. Féminin galande. Fables de La Fontaine avec une introduction par L. CLÉMENT. (2) Le sujet de la fable, la Grenouille et le Rat est emprunté à Esope: mais, tandis que, chez Esope, grenouille entraîna le rat [tout simplement] au fond, faisant clapoter l'eau, et croassant brekekex, coax, coax », tout comme une grenouille d'Aristophane, chez La Fontaine, bien plus pittoresque et vivant, c'est toute une histoire qui arrive; « C'est, dit Taine, un drame et une intrigue, et l'on reste enfin suspendu, attendant le dénoùment. La trahison (de la grenouille), subite et isolée dans Esope, est préparée et développée dans La Fontaine. Esope la nomme, La Fontaine la fait voir. » (3) La Fontaine a emprunté ici à Marie de France (fab. 90) et à Gille Corrozet Ferma sa porte au loquet, La bique, comme on peut croire, N'avait pas vu le glouton. Dès qu'il la voit partie, il contrefait son ton, Et, d'une voix papelarde, Il demande qu'on ouvre, en disant : « Foin du loup! Le biquet soupçonneux par la fente regarde : « Montrez-moi patte blanche, ou je n'ouvrirai point, Au mot du guet que, de fortune, Notre loup avait entendu? Deux sûretés valent mieux qu'une; Et le trop en cela ne fut jamais perdu. (fab. 24). Tout le début de la fable de Corrozet (du Loup et du Chevreau) est charmant : FABLE XVI. Le Loup, la Mère et l'Enfant. Ce loup me remet en mémoire Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris : Un villageois avait à l'écart son logis. Veaux de lait, agneaux, et brebis," De le donner au loup. L'animal se tient prêt, Vienne au bois cueillir la noisette! (2). » Comme il disait ces mots, on sort de la maison : « Que veniez-vous chercher en ce lieu? » lui dit-on. « Merci de moi! lui dit la mère; Tu mangeras mon fils! L'ai-je fait à dessein On assomma la pauvre bête. (1) « Attendre chape-chute, » pour attendre une aubaine, une occasion favorable. (2) C'est « au bois » que le Loup rencontra le Petit Chaperon rouge. Le loup de Perrault et celui de La Fontaine ne sont pas éloignés de se ressembler. Dans la fable précédente le Loup, la Chèvre et le Chevreau, le loup tirerait volontiers, en l'absence de la chèvre, «la bobinette et la chevillette cherra! » (3) Fourches de fer attachées à de longues perches. Un manant lui coupa le pied droit et la tête : « Biaux chires leups, n'écoutez mie FABLE XXI. — L'Œil du Maître (1). Un cerf s'étant sauvé dans une étable à bœufs, Qu'il cherchât un meilleur asile. << Mes frères, leur dit-il, ne me décelez pas : L'on va, l'on vient, les valets font cent tours, N'aperçut ni cors, ni ramure, Ni cerf enfin. L'habitant des forêts Rend déjà grâce aux bœufs, attend dans cette étable Il trouve pour sortir un moment favorable. Jusque-là, pauvre cerf, ne te vante de rien. » Je trouve bien peu d'herbe en tous ces râteliers. (1) Source, PHÈDRE, II, 8. HAUDENT, 1 partie, fab. 153. |