Page images
PDF
EPUB

Non pas trou, mais trouée, horrible et large plaie
Que l'on fit à la pauvre haie

Par ordre du seigneur; car il eût été mal
Qu'on n'eût pu du jardin sortir tout à cheval.
Le bonhomme disait : « Ce sont là jeux de prince.
Mais on le laissait dire : et les chiens et les gens
Firent plus de dégât en une heure de temps

Que n'en auraient fait en cent ans
Tous les lièvres de la province.

Petits princes, videz vos débats entre vous.
De recourir aux rois vous seriez de grands fous.
Il ne les faut jamais engager dans vos guerres,
Ni les faire entrer sur vos terres.

[ocr errors]

FABLE XI. La Grenouille et le Rat.

Tel, comme dit Merlin (1), cuide engeigner (2) autrui,
Qui souvent s'engeigne soi-même.

J'ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd'hui ;
Il m'a toujours semblé d'une énergie extrême.
Mais afin d'en venir au dessein que j'ai pris :
Un rat plein d'embonpoint, gras, et des mieux nourris,
Et qui ne connaissait l'avent ni le carême,

Sur le bord d'un marais égayait ses esprits.

Une grenouille approche, et lui dit en sa langue :
<< Venez me voir chez moi; je vous ferai festin. »>
Messire rat promit soudain :

Il n'était pas besoin de plus longue harangue.
Elle allégua pourtant les délices du bain,
La curiosité, le plaisir du voyage,

Cent raretés à voir le long du marécage :

Un jour il conterait à ses petits-enfans

Les beautés de ces lieux, les mœurs des habitans,

Et le gouvernement de la chose publique

Aquatique.

Un point, sans plus, tenait le galant empêché :

(1) Non pas l'enchanteur, mais Merlin Coccaye l'auteur de l'Histoire macaronique.

(2) « Cuide engeigner, croit tromper. La Fontaine regrette ici l'emploi de

ce vieux mot tombé en désuétude.

[ocr errors]

Il nageait quelque peu, mais il fallait de l'aide.
La grenouille à cela trouve un très-bon remède ;
Le rat fut à son pied par la patte attaché;

Un brin de jonc en fit l'affaire.

Dans le marais entrés, notre bonne commère
S'efforce de tirer son hôte au fond de l'eau,
Contre le droit des gens, contre la foi jurée;
Prétend qu'elle en fera gorge chaude et curée :
C'était, à son avis, un excellent morceau.
Déjà dans son esprit la galande (1) le croque.
Il atteste les dieux; la perfide s'en moque :
Il résiste; elle tire. En ce combat nouveau,
Un milan, qui dans l'air planait, faisait la ronde,
Voit d'en haut le pauvret se débattant sur l'onde.
Il fond dessus, l'enlève, et, par même moyen,
La grenouille et le lien.

Tout en fut, tant et si bien

Que de cette double proie
L'oiseau se donne au cœur joie,

Ayant, de cette façon,.

A souper chair et poisson.

La ruse la mieux ourdie
Peut nuire à son inventeur;
Et souvent la perfidie

Retourne sur son auteur (2).

FABLE XV. Le Loup, la Chèvre, et le Chevreau (3).

La bique, allant remplir sa traînante mamelle,

[ocr errors]

Et paître l'herbe nouvelle,

"

Telle est l'orthographe constante de La Fontaine; le mot est écrit une seule fois avec un t dans la fable V du livre IV, où il rime avec talent. Féminin galande. Fables de La Fontaine avec une introduction par L. CLÉMENT. (2) Le sujet de la fable, la Grenouille et le Rat est emprunté à Esope: mais, tandis que, chez Esope, grenouille entraîna le rat [tout simplement] au fond, faisant clapoter l'eau, et croassant brekekex, coax, coax », tout comme une grenouille d'Aristophane, chez La Fontaine, bien plus pittoresque et vivant, c'est toute une histoire qui arrive; « C'est, dit Taine, un drame et une intrigue, et l'on reste enfin suspendu, attendant le dénoùment. La trahison (de la grenouille), subite et isolée dans Esope, est préparée et développée dans La Fontaine. Esope la nomme, La Fontaine la fait voir. »

(3) La Fontaine a emprunté ici à Marie de France (fab. 90) et à Gille Corrozet

Ferma sa porte au loquet,
Non sans dire à son biquet :
« Gardez-vous, sur votre vie,
D'ouvrir que l'on ne vous die,
Pour enseigne et mot du guet :
<< Foin du loup et de sa race! »>
Comme elle disait ces mots,
Le loup, de fortune, passe;
Il les recueille à propos,
Et les garde en sa mémoire.

La bique, comme on peut croire,

N'avait pas vu le glouton.

Dès qu'il la voit partie, il contrefait son ton,

Et, d'une voix papelarde,

Il demande qu'on ouvre, en disant : « Foin du loup!
Et croyant entrer tout d'un coup.

Le biquet soupçonneux par la fente regarde :

« Montrez-moi patte blanche, ou je n'ouvrirai point,
S'écria-t-il d'abord. Patte blanche est un point
Chez les loups, comme on sait, rarement en usage.
Celui-ci, fort surpris d'entendre ce langage,
Comme il était venu s'en retourna chez soi.
Où serait le biquet s'il eût ajouté foi

Au mot du guet que, de fortune,

Notre loup avait entendu?

Deux sûretés valent mieux qu'une;

Et le trop en cela ne fut jamais perdu.

[ocr errors][ocr errors]

(fab. 24). Tout le début de la fable de Corrozet (du Loup et du Chevreau) est charmant :

[blocks in formation]

FABLE XVI.

Le Loup, la Mère et l'Enfant.

Ce loup me remet en mémoire

Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris :
Il y périt. Voici l'histoire.

Un villageois avait à l'écart son logis.
Messer loup attendait chape-chute (1) à la porte;
Il avait vu sortir gibier de toute sorte,

Veaux de lait, agneaux, et brebis,"
Régiments de dindons, enfin bonne provende.
Le larron commençait pourtant à s'ennuyer.
Il entend un enfant crier :
La mère aussitôt le gourmande,
Le menace, s'il ne se tait,

De le donner au loup. L'animal se tient prêt,
Remerciant les dieux d'une telle aventure,
Quand la mère, apaisant sa chère géniture,
Lui dit : « Ne criez point; s'il vient, nous le tuerons.
Qu'est-ceci! s'écria le mangeur de moutons :
Dire d'un, puis d'un autre! Est-ce ainsi que l'on traite
Les gens faits comme moi? me prend-on pour un sot?
Que quelque jour ce beau marmot

Vienne au bois cueillir la noisette! (2). »

Comme il disait ces mots, on sort de la maison :
Un chien de cour l'arrête; épieux et fourches-fières (3)
L'ajustent de toutes manières.

« Que veniez-vous chercher en ce lieu? » lui dit-on.
Aussitôt il conta l'affaire.

« Merci de moi! lui dit la mère;

Tu mangeras mon fils! L'ai-je fait à dessein
Qu'il assouvisse un jour ta faim? »

On assomma la pauvre bête.

(1) « Attendre chape-chute, » pour attendre une aubaine, une occasion favorable.

(2) C'est « au bois » que le Loup rencontra le Petit Chaperon rouge. Le loup de Perrault et celui de La Fontaine ne sont pas éloignés de se ressembler. Dans la fable précédente le Loup, la Chèvre et le Chevreau, le loup tirerait volontiers, en l'absence de la chèvre, «la bobinette et la chevillette cherra! »

(3) Fourches de fer attachées à de longues perches.

Un manant lui coupa le pied droit et la tête :
Le seigneur du village à sa porte les mit;
Et ce dicton picard à l'entour fut écrit :

« Biaux chires leups, n'écoutez mie
Mère tenchent chen fieux qui crie. »>

FABLE XXI. — L'Œil du Maître (1).

Un cerf s'étant sauvé dans une étable à bœufs,
Fut d'abord averti par eux

Qu'il cherchât un meilleur asile.

<< Mes frères, leur dit-il, ne me décelez pas :
Je vous enseignerai les pâtis les plus gras;
Ce service vous peut quelque jour être utile,
Et vous n'en aurez point regret. »>
Les bœufs, à toutes fins, promirent le secret.
Il se cache en un coin, respire, et prend courage,
Sur le soir on apporte herbe fraîche et fourrage,
Comme l'on faisait tous les jours:

L'on va, l'on vient, les valets font cent tours,
L'intendant même; et pas un d'aventure

N'aperçut ni cors, ni ramure,

Ni cerf enfin. L'habitant des forêts

Rend déjà grâce aux bœufs, attend dans cette étable
Que, chacun retournant au travail de Cérès,

Il trouve pour sortir un moment favorable.
L'un des bœufs ruminant lui dit : « Cela va bien;
Mais quoi? l'homme aux cent yeux n'a pas fait sa revue:
Je crains fort pour toi sa venue;

Jusque-là, pauvre cerf, ne te vante de rien. »
Là-dessus le maître entre et vient faire sa ronde.
« Qu'est-ce-ci? dit-il à son monde;

Je trouve bien peu d'herbe en tous ces râteliers.
Cette litière est vieille; allez vite aux greniers.
Je veux voir désormais vos bêtes mieux soignées.
Que coûte-t-il d'ôter toutes ces araignées?
Ne sauroit-on ranger ces jougs et ces colliers? >>
En regardant à tout il voit une autre tête

(1) Source, PHÈDRE, II, 8.

HAUDENT, 1 partie, fab. 153.

« PreviousContinue »