Je t'en veux dire un trait assez bien inventé : Ces deux rivaux d'Horace, héritiers de sa lyre, Prendre emploi dans l'armée, ou bien charge à la cour? J'ai lu dans quelque endroit qu'un meunier et son fils, Puis cet homme et son fils le portent comme un lustre. « Quelle farce, dit-il, vont jouer ces gens-là? L'âne, qui goûtait fort l'autre façon d'aller, Se plaint en son patois. Le meunier n'en a cure. (1) Voir le récit de Malherbe adressé à Racan: Il y avait un bonhomme âgé d'environ cinquante ans qui avoit un fils qui n'en avoit que treize ou quatorze. Ils n'avoient, pour tous deux, qu'un petit âne pour les porter en un long voyage qu'ils entreprenoient. » (2) Buter atteindre au but : « Toutes mes volontés ne butent qu'à vous plaire.» MOLIÈRE. L'Étourdi (V. III. Passent trois bons marchands. Cet objet leur déplut. Le plus vieux au garçon s'écria tant qu'il put : « Oh là! oh! descendez, que l'on ne vous le dise, << Jeune homme, qui menez laquais à barbe grise! « C'était à vous de suivre, au vieillard de monter. «< Messieurs, dit le meunier, il vous faut contenter. » L'enfant met pied à terre, et puis le vieillard monte; Quand trois filles passant, l'une dit : « C'est grand'honte Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils, << Tandis que ce nigaud, comme un évêque assis, << Fait le veau sur son âne, et pense être bien sage. Il n'est, dit le meunier, plus de veaux à mon âge : << Passez votre chemin, la fille, et m'en croyez. » Après maints quolibets coup sur coup renvoyés, L'homme crut avoir tort, et mit son fils en croupe; Au bout de trente pas, une troisième troupe Trouve encore à gloser. L'un dit : « Ces gens sont fous! « Le baudet n'en peut plus; il mourra sous leurs coups. « Eh quoi! charger ainsi cette pauvre bourrique! << N'ont-ils point de pitié de leur vieux domestique? << Sans doute qu'à la foire ils vont vendre sa peau. Parbleu ! dit le meunier, est bien fou du cerveau « Qui prétend contenter tout le monde et son père. << Essayons toutefois si par quelque manière « Nous en viendrons à bout. » Ils descendent tous deux L'âne se prélassant marche seul devant eux. Un quidam les rencontre, et dit : « Est-ce la mode « Que baudet aille à l'aise, et meunier s'incommode? « Qui de l'âne ou du maître est fait pour se lasser? « Je conseille à ces gens de le faire enchâsser. << Ils usent leurs souliers, et conservent leur âne! << Nicolas, au rebours: car, quand il va voir Jeanne << Il monte sur sa bête; et la chanson (1) le dit, << Beau trio de baudets! » Le meunier repartit : (1) Voilà cette chanson : Adieu, cruelle Jeanne; Je monte sur mon âne Pour galoper au trépas. Surtout n'en revenez pas. « Je suis âne, il est vrai, j'en conviens, je l'avoue; « Mais que dorénavant on me blâme, on me loue, « Qu'on dise quelque chose ou qu'on ne dise rien, J'en veux faire à ma tête. » Il le fit, et fit bien. Quant à vous, suivez Mars, ou l'Amour ou le prince; Allez, venez, courez; demeurez en province; Prenez femme, abbaye, emploi, gouvernement, Les gens en parleront, n'en doutez nullement. » FABLE XI. Le Renard et les Raisins (1). Certain renard gascon, d'autres disent normand, Et couverts d'une peau vermeille. Mais comme il n'y pouvait atteindre : « Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats. » Fit-il pas mieux que de se plaindre? LIVRE QUATRIÈME FABLE II. Le Berger et la Mer (2). Du rapport d'un troupeau, dont il vivait sans soins Elle était sûre tout au moins. A la fin, les trésors déchargés sur la plage Cet argent périt par naufrage. Son maître fut réduit à garder les brebis, Non plus berger en chef comme il était jadis, Fut Pierrot, et rien davantage. Au bout de quelque temps il fit quelques profits, Et comme un jour les vents, retenant leur haleine, Ceci n'est pas un conte à plaisir inventé. Pour montrer, par expérience, Vaut mieux que cinq en espérance; Qu'il se faut contenter de sa condition; Pour un qui s'en louera, dix mille s'en plaindront. FABLE IV. Le Jardinier et son Seigneur. Un amateur de jardinage, Un jardin assez propre, et le clos attenant. (1) Quelle gracieuse description, dans ce passage, d'un jardinet rural au dixseptième siècle! Le jardin de Boileau à Auteuil, le potager de Reguard à Grillon n'inspireront pas à leurs possesseurs de pages plus vives et plus fraîches. Fit qu'au seigneur du bourg notre homme se plaignit : « Ce maudit animal vient prendre sa goulée Soir et matin, dit-il, et des pièges se rit; Les pierres, les bâtons, y perdent leur crédit : Et dès demain, sans tarder plus longtemps. La partie ainsi faite, il vient avec ses gens. « Çà, déjeunons, dit-il: vos poulets sont-ils tendres? La fille du logis, qu'on vous voie ; approchez : Quand la marîrons-nous? quand aurons-nous des gendres? Disant ces mots, il fait connaissance avec elle, Prend une main, un bras, lève un coin du mouchoir; Se défend avec grand respect : Tant qu'au père à la fin cela devient suspect. <«< De quand sont vos jambons? ils ont fort bonne mine. Monsieur, ils sont à vous. Vraiment, dit le seigneur, Je les reçois, et de bon cœur. » Il déjeune très-bien; aussi fait sa famille, Chiens, chevaux, et valets, tous gens bien endentés : L'embarras des chasseurs succède au déjeuné. Les trompes et les cors font un tel tintamarre Adieu de quoi mettre au potage. Le lièvre était gîté dessous un maître chou. On le quête; on le lance (1): il s'enfuit par un trou (1) On le quête; on le lance... termes de vénerie; c'est-à-dire on cherche la piste de la bête, on la fait lever de l'endroit où elle se cache. |