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FABLE XVI. La Mort et le Bûcheron (1).

Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé, marchait à pas pesans,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
« Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos. »
Sa femme, ses enfans, les soldats, les impôts,
Le créancier et la corvée,

Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.

« C'est, dit-il, afin de m'aider
A recharger ce bois; tu ne tarderas guère.

Le trépas vient tout guérir;

Mais ne bougeons d'où nous sommes :
Plutôt souffrir que mourir,

C'est la devise des hommes.

(1) Boileau et Jean-Baptiste Rousseau ont tous les deux, lorsqu'ils se trouvaient dans toute la force de leur talent, refait, après La Fontaine, la fable du Bücheron et de la Mort. » (WALCKENAER.)

FABLE XXII. Le Chêne et le Roseau (1).

Le chêne un jour dit au roseau :

« Vous avez bien sujet d'accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau :
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau, ́

Vous oblige à baisser la tête;

Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr,
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,

Vous n'auriez pas tant à souffrir;
Je vous défendrais de l'orage :

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci;
Les vents me sont moins qu'à vous redoutables;
Je plie et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables

Résisté sans courber le dos;

Mais attendons la fin. » Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfans

Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs;
L'arbre tient bon; le roseau plie.

Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

(1) Fable tirée d'Ésope (fab. 143 et 180). « C'est une tradition constante, écrit Walckenaer, que, de toutes ses fables, celle que La Fontaine préférait était le Chêne et le Roseau. »

LIVRE DEUXIÈME

FABLE X. L'Ane chargé d'éponges et l'Ane chargé de sel.

Un ânier, son sceptre à la main,
Menait en empereur romain,
Deux coursiers à longues oreilles.

L'un d'éponges chargé, marchait comme un courrier;
Et l'autre, se faisant prier,

Portait, comme on dit, les bouteilles (1):

Sa charge était de sel. Nos gaillards pèlerins,
Par monts, par vaux et par chemins,

Au gué d'une rivière à la fin arrivèrent,

Et fort empêchés se trouvèrent.

L'ânier qui, tous les jours, traversait ce gué-là,
Sur l'âne à l'éponge' monta,

Chassant devant lui l'autre bête,
Qui, voulant en faire à sa tête,
Dans un trou se précipita,
Revint sur l'eau, puis échappa :
Car, au bout de quelques nagées,
Tout son sel se fondit si bien,
Que le baudet ne sentit rien
Sur ses épaules soulagées.

Camarade épongier prit exemple sur lui,
Comme un mouton qui va dessus la foi d'autrui,
Voilà mon âne à l'eau ; jusqu'au col il se plonge,
Lui, le conducteur, et l'éponge.

Tous trois burent d'autant : l'ânier et le grison
Firent à l'éponge raison.

Celle-ci devint si pesante,

Et de tant d'eau s'emplit d'abord,

Que l'âne succombant ne put gagner le bord.

(1) Marcher avec mesure, avec lenteur; cette expression est proverbiale.

L'ânier l'embrassait, dans l'attente

D'une prompte et certaine mort.

Quelqu'un vint au secours : qui ce fut, il n'importe,
C'est assez qu'on ait vu par là qu'il ne faut point
Agir chacun de même sorte.

J'en voulais venir à ce point.

FABLES XI ET XII. Le Lion et le Rat (1) fable suivie de la Colombe et la fourmi.

Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde :
On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
De cette vérité deux fables feront foi ;
Tant la chose en preuve abonde.
Entre les pattes d'un lion

Un rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru
Qu'un lion d'un rat eût affaire?
Cependant il avint qu'au sortir des forêts
Ce lion fut pris dans des rets,

Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience et longueur de temps

Font plus que force ni que' rage.

(1) Clément Marot, de qui notre Bonhomme faisait lecture, a fort gentiment traité le sujet du Lion et du Rat :

« Secouru m'as fort lyonneusement,

Or secouru seras rateusement. »

Lors le Lyon ses deux grands yeux vertit,
Et vers le Rat les tourna un petit,

En lui disant. O pauvre verminière,
Tu n'as sur toi instrument ni manière,
Tu n'as couteau, serpe ni serpillon
Qui sçut couper corde ni cordillon,
Pour me jeter de cette étroite voie!

Va te cacher que le Chat ne te voie! »

Ce petit morceau est plein d'un esprit gracieux et alerte. » Léon LEVRAULT,

les Genres littéraires : la Fable.

L'autre exemple est tiré d'animaux plus petits :
Le long d'un clair ruisseau buvait une colombe :
Quand sur l'eau se penchant une fourmis y tombe,
Et dans cet océan l'on eût vu la fourmis

S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La colombe aussitôt usa de charité ;

Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où la fourmis arrive.
Elle se sauve; et là-dessus

Passe un certain croquart qui marchait les pieds nus.
Ce croquant, par hasard, avait une arbalète.
Dès qu'il voit l'oiseau de Vénus,
Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu'à le tuer mon villageois s'apprête,
La fourmi le pique au talon :

Le vilain retourne la tête ;

La colombe l'entend, part, et tire de long.
Le souper du croquant avec elle s'envole:
Point de pigeon pour une obole.

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L'invention des arts étant un droit d'aînesse,
Nous devons l'apologue à l'ancienne Grèce :
Mais ce champ ne se peut tellement moissonner
Que les derniers venus n'y trouvent à glaner.
La feinte est un pays plein de terres désertes;
Tous les jours nos auteurs y font des découvertes.

(1) A M. de Maucroix. »

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