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De minces bouquets d'arbres et de hauts peupliers dominant la vallée d'un côté et, de l'autre, des coteaux plantés de vignes se succédant par ondulations, une courbe de rivière interrompue par des îlots et des moulins, coupée par un vieux pont, voilà le frais paysage de Champagne où, pour la première fois, le petit Jean de La Fontaine ouvrit ses regards à la limpidité du jour. Là, devant Château-Thierry, la belle Marne avance à flots paisibles et la modération de son cours, en se propageant aux collines et jusqu'aux campagnes où sont les garennes des Fables, étend au paysage ce rythme et cette mesure qui ont fait dire à Taine que tout était, dans cette région, tourné beaucoup plus « vers la délicatesse que vers la force ». D'Essonnes à la Ferté, en passant par Nogent-l'Artaud, ce ne sont que rus coulant sous les saules, boqueteaux disposés sur les pentes et de frais villages aux vieux noms poétiques : Saacy, Charly, Saul

I

chery, Azy et Chezy. Le plus grand d'entre eux, une ville déjà, de qui les tours, les flèches et les clochers dominent au-dessus des arbres, n'est autre que Chaury, le ChâteauThierry de notre poète.

C'est à Château-Thierry, le 8 juillet 1621; que Jean de La Fontaine naquit de Charles de La Fontaine, maître des eaux et forêts, et de Françoise Pidoux, fille du bailli de Coulommiers.

Les La Fontaine étaient depuis longtemps du pays; le fabuliste pourra le dire, plus tard, en toute certitude:

Je suis un homme de Champagne.

Ses ancêtres, pour la plupart, appartenaient à la petite bourgeoisie laborieuse; plusieurs avaient été marchands; l'un d'eux même, Pierre de La Fontaine, avait exercé la profession de drapier; son fils, nommé également Pierre, avait épousé Martine Josse (vous êtes orfèvre, monsieur Josse!) et ce n'est que par la suite qu'on vit les La Fontaine s'élever à un plus haut rang, devenir conseillers au grenier à sel, contrôleurs des actes et tailles, maîtres des eaux et forêts, baillis ou avocats.

<< Dans sa ville natale, au pied de la montagne que couronnait le vieux château-fort, écrit M. Paul Mesnard, la maison où le charmant poète entra dans la vie est toujours là. » Et de fait, la voici toute vétuste et rustique avec ses fenêtres anciennes, sa courette et son perron à rampe; le vieux puits existe encore et, dans le jardin qui avoisinait les Cordeliers, voilà les allées où notre Bonhomme courut quand il était enfant, où un peu plus tard avec son frère puîné Claude, sa demi-sœur, Anne de Jouy, après avoir bien joué, il buvait du vin frais, mangeait des croquets de Reims et des dauphins de Chaury (1).

De la rue des Cordeliers, où se trouvait la demeure de La Fontaine, à l'église Saint-Crépin, paroisse de ses parents,

(1) Claude de La Fontaine, frère puîné du poète. Il se fit prêtre et vécut à Nogent-l'Artaud. Françoise Pidoux, avant d'épouser Charles de La Fontaine, avait été mariée à Louis de Jouy, marchand à Coulommiers. La demi-sœur de notre poète, Anne de Jouy, était issue de ce mariage.

il y a peu de distance et, c'est là que son père Charles, sa maman Pidoux, « le parrain honorable homme Jean de La Fontaine, la marraine damoyselle Claude Josse, femme de Louis Guérin », portèrent l'enfant à baptiser.

L'enfance de La Fontaine fut celle d'un gamin de province, d'un garçon de Champagne» à écrit Tallemant. Son enfance, << sa vie de petit écolier, ajoute M. Paul Mesnard, n'ont laissé que peu de traces, et toutes ne sont pas certaines ». Et Walckenaer : « Son éducation paraît avoir été négligée; l'on croit qu'il étudia d'abord dans une école de village (1), ensuite à Reims, ville pour laquelle il avait une prédilection particulière. » A Reims, Jean rencontra ses premiers amis, Pintrel, le peintre Hélart, mais surtout Maucroix. Celui-là « ce fut le préféré » (Émile FAguet). L'on sait qu'adolescents ils aimaient, l'un et l'autre, autant la poésie et les belles Rémoises; on les voyait ensemble à la foire de la Couture, au-devant de la cathédrale, d'autres fois, dans «< ces vertes prairies », cette « campagne azurée » que Maucroix a, plus tard, célébrées, jusque sous ces treilles où venaient les Champenois; car, ainsi que l'a écrit l'un d'eux, le jovial Clerc de Troyes :

En Picardie sont li bourdeur

Et en Champaigne li buveur.

La vocation religieuse, qui devait un jour devenir si durable pour Maucroix, sembla vouloir s'emparer un moment sérieusement de La Fontaine. Lui que les régents du collège de Château-Thierry avait jugé un bon garçon, fort sage et modeste (2) » aspira au recueillement de la vie ecclésiastique. On le vit à dix-neuf ans entrer comme novice chez les Pères de l'Oratoire, à Juilly d'abord, à Paris

(1) N'est-ce point ce que l'auteur de la Comédie humaine, ce que Balzac a voulu exprimer de l'auteur de la comédie des bêtes, lorsqu'il a écrit : « Si La Fontaine étudia, ce fut sous des maîtres de campagne; quant aux grands enseignements, ils lui vinrent de la nature. »

(2) « Il n'est pas sans vraisemblance qu'il fit là ses classes et que nous avons un souvenir de ce collège dans le précieux petit volume dont la découverte est due à M. Rathery et qui avait appartenu aux Pintrel. C'est un exemplaire de Lucien (August. Picton 1621) en haut de la première garde intérieure duquel on lit de La Fontaine, bon garçon fort sage et fort modeste.» (P. MESNARD).

ensuite; mais cette vie de renoncement et de méditation était peu conforme au destin d'un garçon déjà grand rêveur, distrait, nonchalant et chez qui le goût des femmes apparaissait fort. Au bout de dix-huit mois, le fils du maître des eaux et forêts abandonna les Pères. Étudiant en droit, puis reçu avocat au Parlement en même temps que François de Maucroix, il ne sembla pas plus s'accoutumer aux querelles des Chicaneau et des Dandin qu'aux exigences d'une vocation érémitique. L'auteur de ce petit chef-d'œuvre des Fables: l'Huître et les deux plaideurs se montra complètement inapte à soutenir les arguties de la basoche. C'est alors que Jean abandonna Paris, << comme il était venu et, vers ce temps de sa vie, commença de

Manger le fonds avec le revenu.

Sa candeur profonde, sa rêverie indolente, son désintéressement complet aux biens de ce monde ne laissèrent point de percer dans son caractère; il est, dès ce moment, un badin, un flâneur, a trifler, a dit lord Macaulay; l'insouciance de son humeur n'a désormais d'égale que cette aptitude à l'affection et à l'amour dont il avouera un jour la mobilité :

Je suis chose légère et vole à tout sujet;
Je vais de fleur en fleur... (1).

Ainsi, dès le début, bien avant que d'écrire, il est ce libre esprit, ce songeur indépendant, cet admirateur de tout ce qui est beau et bien dans le monde, ce Polyphile si délicieux dont il a, dans Psyché, tracé l'effigie touchante. Son lent et beau génie, qui ne s'éveilla qu'assez tard dans les lettres, a peu de sel encore, peu de saillies; mais, déjà, soit qu'il observe les gens, étudie la nature ou recherche l'amitié, il commence d' << errer parmi des milliers de sentiments fins, gais et tendres (TAINE).

Le chevaleresque amour des dames, qui venait de s'affirmer dans des écrits précieux du ton de la Guirlande (2),

(1) Discours à Mme de La Sablière.

(2) La Guirlande de Julie parut en 1641 et non 1633 comme on le pensa longtemps.

avec une sorte d'idéalisme, était assez contraire à l'humeur narquoise et vivante de garçons comme Maucroix et La Fontaine. Au moment que Maucroix commençait de brûler pour Henriette de Joyeuse, plus tard marquise de Brosse, il fallait voir que Jean, laissant à M. de Montausier le subtil respect, s'en allait, « la nuit, une lanterne sourde à la main et en bottines blanches » courtiser les belles (1). Une aventure galante avec la femme du lieutenant général de Château-Thierry ne manqua pas d'ébruiter bientôt les dispositions badines d'un gaillard audacieux. Le maître des eaux et forêts pensa qu'un établissement avantageux dans le monde et un mariage convenable aideraient son fils à ramener un peu plus d'ordre dans sa nature (2). Il y avait dans ce temps-là, à la Ferté-Milon, une jeune et jolie fille de seize ans, nommé Marie Héricart, fille d'un lieutenant au bailliage de cette ville. C'est elle qu'en 1647, Charles de La Fontaine fit épouser à Jean; en même temps le père transmit sa charge à son fils; c'est assez dire que, quand la traduction de l'Eunuque de Térence parut, en 1654, sous le nom de La Fontaine, il y avait sept ans déjà que le Champenois était devenu un notable de sa ville, et, par la naissance de son enfant Charles, avait semblé fonder lui-même un foyer (3).

(1) TALLEMANT DES RÉAUX.

(2) Le père de La Fontaine avait beaucoup d'affection pour son fils. « Quoique ce Bonhomme n'y connût presque rien, il ne cessait pas de l'aimer passionnément, et, il eut une joie incroyable, lorsqu'il vit les premiers vers que son fils composa » PERRAULT, Vie de La Fontaine.

(3) Charles de La Fontaine, le fils unique du poète et de Marie Héricart, naquit à Château-Thierry le 8 octobre 1653; François de Maucroix fut son parrain. Que d'anecdotes n'a-t-on pas contées sur les rapports du père et du fils? TITON DU TILLET (Parnasse français), MONTENAULT (Vie de La Fontaine) ont propagé partout l'histoire des fameuses distractions du Bonhomme ne reconnaissant jamais son entant. « C'est votre fils, lui dit-on dans le monde, en le lui présentant. Ah! répond-il, j'en suis bien aise. » Mathieu MARAIS (Histoire de la vie et des ouvrages de M. de La Fontaine) se défie de l'exagération de ces anecdotes dont plusieurs sont nettement apocryphes.

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