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Résumé

DE

L'HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇOISE.

Indocti discant.

La critique moderne a imprimé un nouveau caractère à l'histoire de la littérature. Elle ne se contente pas aujourd'hui d'exposer les faits, elle cherche à les expliquer, et quelque rapide que puisse être le résumé qu'elle présente, elle doit donner le pour quoi de chaque époque et de chaque écrivain; c'est elle surtout qui prend pour devise Scribitur non solum ad narrandum, sed ad probandum.

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Pour obéir à cette loi en traitant de la littérature françoise, il faut remonter à sa source, et étudier attentivement les influences qui dès l'abord lui donnèrent l'impulsion, et celles qui contribuèrent ensuite à la modifier successivement, depuis sa naissance jusqu'à l'époque actuelle.

L'origine de la nation, sa religion, son gouvernement, ses mœurs, enfin les grandes idées sociales qui, renfermées dans le domaine des théories, ou réalisées par les événements, affectèrent profondément son existence, voilà les éléments dont la réunion servit à former la littérature françoise dans son principe, et sert à l'expliquer dans ses modifications successives.

Les Francs étoient une des tribus du Nord qui brisèrent les barrières élevées autour d'elles par le puissant génie de Rome, renversèrent cet empire gigantesque, et s'en partagèrent les débris. Il est évident que ce grand acte de force, que cette lutte si longue et si dramatique entre ce qu'on est convenu

d'appeler la barbarie et la civilisation, dut être un fait aussi inspirateur que le premier choc entre l'Asie et la Grèce dans les plaines de Troie. Les Achilles et les Hectors du septentrion n'ont point manqué d'Homères, et l'érudition allemande a tiré de leurs tombeaux les chantres qui animoient alors les combattants et exaltoient les vainqueurs; cette poésie, née au sein des tempètes et parmi les neiges des montagnes, n'a point la noble et harmonieuse beauté des chants grecs; elle est âpre, violente, orageuse comme ses héros; mais elle a souvent une hauteur sublime et un caractère d'énergie que rien n'a égalé. Les Bardes, les Scaldes, les poètes gallois, tudesques et danois, les patriarches de la littérature irlandoise, le vieil Ossian surtout, si l'œuvre de Macpherson tout entière n'est pas une fable, tirèrent de leurs harpes des accords qui ont retenti sans doute dans les chants les plus anciens de la tribu franque, et qui se sont conservés jusqu'à Charlemagne. C'est à l'influence de ce génie septentrional qu'il faut rapporter cequ'il y a tout à la fois d'énergique et d'abstrait, de mélancolique et de galant dans les premières poésies des conquérants de la Gaule, car ces barbares, si terribles sur le champ de bataille, avoient souvent, dans une extase religieuse, contemplé la nature au bord de leurs lacs immenses et sous leur ciel nuageux, et ils rendoient aux femmes une sorte de culte que leur avoient transmis

leurs ancêtres dès les temps les plus reculés.

Le christianisme fut un second élément poétique et littéraire qui s'unit au premier, et l'altéra sans l'effacer. En lui vinrent se fondre les couleurs brusques et tranchées de la poésie septentrionale. Il en adoucit la violence sanguinaire, l'indomptable rudesse; mais il lui conserva, en la spiritualisant encore, son génie de méditation et de galanterie.

D'une autre part, le christianisme, qui présidoit non seulement au culte, mais à l'enseignement et à la plupart des transactions sociales se servoit rarement des idiomes populaires; il parloit grec et surtout latin: la langue latine, familière d'ailleurs à la plus grande partie des peuples vaincus, resta donc la langue du culte, de l'instruction, des affaires publiques, des contrats privés. Il fallut, pour la cultiver, étudier les écrivains qui l'avoient employée dans les siècles antérieurs. L'esprit classique de l'antiquité romaine s'étendit peu à peu chez les peuples barbares à mesure que, pénétrant dans l'Empire, ils embrassoient le christianisme, et que l'élite de leurs puissances intellectuelles s'adonnoit à l'unique science de ces temps, à celle du moins qui comprenoit toutes les autres, à la théologie.

Les dogmes chrétiens et les lois sociales de Rome, modifiées elles-mêmes sous Justinien, par l'influence du christianisme, sanctionnèrent, dans la suite, l'état politique préexistant dans le Nord, cet état qu'on a résumé en un seul mot, la féodalité, et qu'on a défini, en le considérant à son origine et sous le point de vue le plus général et le plus simple, le dévouement libre envers homme libre qui rend en échange de cette servitude volontaire une protection géné

reuse.

un

De la consécration de la féodalité par le christianisme naquit la chevalerie, que les croisades portèrent à son plus haut point de développement. Si la lutte entre Rome et le Nord avoit donné un élan extraordinaire au génie septentrional, la lutte entre le christianisme et l'islamisme développa de même le génie féodal et chevaleresque; elle y ajouta en même temps de nouveaux éléments.

La passion de voyages et d'aventureuses conquêtes, qui animoit les croisés autant que l'ardeur du prosélytisme, les jeta au milieu du merveilleux oriental, du plato

nisme d'Alexandrie et d'Antioche encore vivant sous la cendre, de la poésie arabe, non moins riche d'images mais plus chaude, plus sensuelle, plus enivrante que celle du Nord: une grande fusion s'opéra entre l'Asie et l'Europe. La littérature francoise ne resta pas étrangère à ces nouvelles influences qui s'exerçoient plus ou moins sur toutes les littératures européennes, mais elle sut garder cependant un caractère original, qui lui appartient en propre et qui brilla toujours parmi toutes ces bannières septentrionales, chrétiennes, classiques, féodales, chevaleresques, orientales, qu'elle arbora tour à tour ou simultanément, mais sans jamais déposer son étendard.

Ce caractère qui la domine dès sa naissance et reparoît sans cesse aux yeux qui suivent sa longue carrière, est le bon sens, fondé sur l'analyse philosophique et sociale, et souvent revêtu des formes de la plaisanterie. C'est dans la pensée une singulière intelligence de la réalité des choses, une observation fine et profonde des hommes, une tournure d'esprit calme, raisonneuse, et par là même gaie et railleuse, car il n'y a de vraiment sérieux que la passion; dans le style, une inimitable clarté de langage, une tempérance extrême de figures et d'ornements. L'abus de ces qualités, c'est la minutie de l'analyse, la dignité de convention, la froideur et la monotonie; leur avantage, c'est la facilité à discerner et à s'approprier le bien partout où il se rencontre ; c'est un éloignement égal pour ce qu'il y a de vague, d'obscur, de métaphysique dans l'enthousiame du Nord, d'efféminé et de délirant dans l'imagination passionnée du Midi, dans l'éclat éblouissant et mythique de l'Orient. Faut-il expliquer cette nature littéraire par le climat, la situation mitoyenne du pays habité par les Francs, leur système de gouvernement, cet esprit social qui leur est propre et qui ramène tout à une mesure exacte et précise? ou bien chaque peuple, comme chaque individu, apporte-t-il, en apparoissant au monde, un caractère primitif qui le distingue entre les peuples, ses frères, et qui ne s'efface plus? Quoi qu'il en soit, la lecture attentive des écrivains françois fera aisément reconnoître la vérité de ces remarques dont la précision forcée d'un résumé n'admet point les preuves détaillées.

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Des débris du celtique, la première lan

gue des Gaules qui, en dépit des Romains, vivoit encore dans les campagnes, du latin qui s'étoit naturalisé avec eux dans les villes, du tudesque que la victoire porta de tous côtés à la suite des barbares, se forma la langue romane. Cette langue elle-même se divisa en deux branches, le roman provençal et le roman wallon ou welche.

On les appela aussi l'un, langue d'oc, l'autre langue d'oil, d'après le mot qui servoit dans les deux pays à exprimer la particule affirmative oui. La langue d'oc n'eut d'existence littéraire que du neuvième au treizième siècle; elle la dut aux troubadours.

Après cette époque elle dégénéra en France, et finit par aller se perdre dans le patois provençal; le Catalan la prolongea en Espagne. La langue d'oil, cultivée surtout par les trouvères ou troubadours du Nord, et répandue dans toute l'ancienne Gaule par la double influence de la cour qui se fixa à Paris et de l'université de cette capitale, qui devint une des sources de science les plus fécondes pour l'Europe entière, forma dans ses perfectionnements successifs la langue françoise telle qu'elle existe aujourd'hui. C'est donc du roman wallon seul qu'il peut être question dans cet essai.

LITTÉRATURE FRANÇOISE JUSQU'AU SEIZIÈME SIÈCLE.

CONTES ET POÉSIES LYRIQUES.

Les poètes sont les premiers écrivains de toutes les nations. Les contes en vers et les chansons furent la première forme sous laquelle la poésie se manifesta en France, forme vraiment nationale, produit naïf du sol où la grâce et l'imagination provençale se réunissent souvent à la gaité sensée et piquante du Nord. Les dicts, les lais, les complaintes, les fabliaux, furent des sousdivisions du conte; les virelais, les ballades, et plus tard les triolets, les rondeaux, les quatrains, les chants royaux, etc. se rattachèrent à la chanson. Les contes étoient des récits d'aventures chevaleresques ou pastorales, et plus souvent bourgeoises et comiques. La féerie du Nord n'étoit pas étrangère aux premiers; les désappointements conjugaux ou les gaillardises des moines faisoient presque toujours les frais des seconds. Les chansons étoient ou religieuses, ou morales, ou guerrières, ou bachiques; la plus grande partie étoient galantes et érotiques.

La liste des trouvères qui s'exercèrent dans ces divers genres de poésie est très considérable. Leur mérite, en général, c'est la naïveté, la franchise, la finesse, la gausserie; leur défaut, c'est le prosaïsme, la trivialité, et cette obscurité qui tient à l'imperfection du langage. Remontez jusqu'en onze cent quatre-vingt-treize, vous trouverez les chansons et les fabliaux de Gautier de Coinsi. Sous saint Louis et sous Philippe-le-Hardi, Rutebeuf écrivit le fameux dict d'Aristote et quelques dialogues en vers, comme la Dispute du croisé et du décroisé. Jean de Boves, Durand, Cortebarde, et Marie de France, le plus ancien de nos fabulistes, furent ses contemporains. Mais celui qu'on peut justement appeler le premier des poètes françois, c'est Thibaut, comte de Champagne. La grâce, la pureté, la délicatesse de ses pastourelles, de

ses tensons, et de ses reverdies ou chants de mai, lui méritent ce titre. Il est le chef de ces nobles poètes qui crurent que l'éclat des talents ajoutoit à l'éclat du nom. Près de lui vinrent se ranger Charles d'Anjou, frère de saint Louis, le comte de Bretagne, le vidame de Chartres, le comte de la Marche, le châtelain de Coucy, monseigneur Gace Brulé, et dans les siècles suivants, Charles d'Orléans, digne rival du comte de Champagne en esprit comme en noblesse, et qui le surpassa par la correction de son langage; Jean duc de Bourbon, Philippe duc de Bourgogne, Jean duc de Lorraine et René d'Anjou qui fut depuis roi de Sicile.

Tandis que ces poètes gentilshommes se rapprochoient surtout du genre des troubadours, les roturiers imitoient plutôt les trouvères. Parmi eux se distinguent Froissard, dont la prosest bien supérieure à ses essais de poésie; Ol. ier Bacelin qui créa le vau-de-Vire, dont on a fait depuis le vaudeville; Alain Chartier qui contribua au perfectionnement de la langue, sans mériter pourtant ce baiser historique dont l'honora la dauphine Marguerite d'Ecosse pendant son sommeil, et la flatteuse justification qu'elle ajouta, en disant : « Ce n'est pas à l'homme que j'en veux, mais à la précieuse bouche de laquelle sont issus et sortis tant de bons mots et vertueuses paroles. »

Au reste, le quinzième siècle n'auroit rien à envier dans la poésie tendre et gracieuse à ceux qui l'ont suivi, si l'on parvenoit à démontrer l'authenticité des écrits de Mar

guerite-Éléonore - Clotilde de Surville de Vallon-Chalys, la plus brillante étoile de cette pléiade de femines-poètes dont M. Vanderburgh a publié les fragments en 1802. Il est impossible de réunir à une plus profonde sensibilité une plus exquise élégance de style; les Verselets à mon premier né, l'Héroïde à Bérenger, son époux, le Chant royal

RÉSUMÉ DE L'HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇOISE.

à Charles VII, plusieurs de ses rondeaux et de ses ballades sont les chefs-d'œuvre du genre; mais la perfection matérielle de la versification, le savant enchaînement et quel quefois la nature même des idées, empêchent de croire que le fond non plus que la forme de l'ouvrage appartiennent au 15° siècle. François Corbuel, surnommé Villon, dont Boileau a dit qu'il sut le premier

Débrouiller l'art confus de nos vieux romanciers,

se fit remarquer par un caractère opposé. Débauché, gai compagnon, assez peu scrupuleux sur la différence du tien et du mien pour avoir mérité la corde, il écrivit des bouffonneries et des satires qui abondent en saillies plaisantes et du meilleur comique: il faut lire les Deux Testaments et les Franches repues. Le genre qu'il avoit mis en Vogue fut continué, mais avec plus d'art que de verve, par Coquillart, Pierre Faifeu, Guillaume Cretin, et plusieurs autres. Régnier, Marot, et le mondain de Voltaire rappellent cette école.

ROMANS CHEVALERESQUES, HISTORI-
QUES ALLEGORIQUES.

La plupart des poètes françois, tout en se renfermant, pour le fond, dans ce genre facile et rapide, tourmentoient la forme par des bizarreries qui ne prouvoient que la patience de leurs auteurs: c'étoient les acrostiches, les rimes batelées, brisées, équivoquées, fraternisées, rétrogradées, les vers à double face, etc. Plusieurs entreprenoient et parachevoient des poèmes de longue haleine où il n'étoit pas rare de compter dix-huit à vingt mille vers. Ces poèmes étoient de trois espèces, les poèmes historiques, les romans chevaleresques en vers ou en prose, et les poèmes allégoriques.

Le roman historique s'attachoit à l'antiquité classique, de-là les longs poèmes sur la guerre de Troie et sur la vie d'Alexandre, comme celui de Lambert Li Cors et d'Alexandre de Bernay qui employa la forme des vers appelés, d'apres le sujet qu'il a traité, vers alexandrins; ou bien, il dénaturoit l'histoire moderne par des exagérations poétiques et des contes de légendaires. Tels sont le Roman de Rou de Robert Wace, le Récit des choses Merveilleuses de mon Temps, par Jean Moulinet, l'Histoire de France de Mousque

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d'Arras, la Vie de Duguesclin, par Cuvelier; etc. Les dicts du roi Arthur et de la table ronde, les faits de Charlemagne et de ses paladins, les aventures de Huon de Bourgogne, d'Ogier le Danois, de Renaud de Montauban, de Perceval le Gallois, et surtout le fameux Amadis de Gaule, que le Portugais Lobeira mit en vogue, étoient les sujets ordinaires des romans chevaleresques. Chrétien de Troye, Huon de Villeneuve et beaucoup d'autres s'acquirent un nom dans ce genre. Le roman chevaleresque en passant en Italie et en Espagne produisit deux chefsd'œuvre. L'un fut son triomphe, l'autre son coup de mort; le Roland Furieux de l'Arioste, et le Don Quichotte de Cervantes: livres, au reste, où il y a beaucoup à recueillir pour l'intelligence des mœurs de l'époque.

Un seul poème allégorique suffit pour donner une idée des autres, c'est le Roman de la Rose, qui fut regardé pendant deux siècles comme le plus grand effort de l'esprit humain et qu'il est impossible de lire aujourd'hui jusqu'au bout. Une allégorie continuelle sur l'amour est le fond du sujet; le poète renferme dans ce cadre des moralités et des descriptions assez longues, il est vrai, mais qui ne manquent ni de vérité ni d'élégance, et l'étalage habituellement fastidieux de son érudition scholastique et théologique. On distingue cependant à travers ce mélange indigeste, la critique presque toujours spirituelle et moqueuse de la société, et surtout des femmes de son siècle. Ainsi brille dès l'origine le génie, essentiellement raisonneur et comique, de la poésie françoise. La première partie du roman de la Rose écrite vers le milieu du 13me siècle, par Guillaume de Lorris, que Marot appeloit l'Ennius françois est bien supérieure à celle qu'y ajouta, au commencement du siècle suivant, Jean de Meung dit Clopinel. On peut s'en convaincre en le parcourant dans la bonne édition publiée par M. Méon en 1814. Les principaux ouvrages qui se rapprochent de ce modèle sont: le fameux Roman du Renard, par Rutebeuf, celui du Nouveau Renard, par Jacques Gelée, le Champ vertueux de bonne vie, par Jean Dupin, le Champion des Dames, par Martin Franc, le Blason des fausses amours, de Guillaume Alexis, le joli poème de l'Amant cordelier, de Martial d'Auvergne, la Danse aux aveugles, de Pierre Michaut, etc.

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