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de la jeunesse, de la virilité et de la vieillesse, la mort, comme la nuit, doit nous découvrir aussi de nouveaux cieux et de nouveaux mondes ! BERNARDIN DE SAINT-PIERRE. Harmonies de la nature.

BIENFAITS DES VENTS.

Ici, comme dans toutes ses œuvres, le créateur manifeste sa sagesse et sa honté. Il règle le mouvement, la force et la durée des vents, et il leur prescrit la carrière qu'ils doivent parcourir. Lorsqu'une longue sécheresse fait languir les animaux et dessécher les plantes, un vent qui vient du côté de la mer, où il s'est chargé de vapeurs bienfaisantes, abreuve les prairies et ranime toute la nature. Cet objet est-il rempli, un vent sec accourt de l'orient, rend à l'air sa sérénité, et ramène le beau temps. Le vent du nord emporte et précipite toutes les vapeurs nuisibles de l'air d'automne. A l'âprevent du septentrion succède le vent du sud, qui, naissant des contrées méridionales, remplit tout de sa chaleur vivifiante. Ainsi, par ses variations continuelles, la fertilité et la santé sont maintenues sur la terre.

Du sein de l'Océan s'élèvent dans l'atmosphère des fleuves qui vont couler dans les deux mondes. Dieu ordonne aux vents de les distribuer et sur les îles et sur les continents: ces invisibles enfants de l'air les transportent sous mille formes diverses : tantôt ils les étendent dans le ciel comme des voiles d'or et des pavillons de soie; tantôt ils les roulent en forme d'horribles dragons et de lions rugissants qui vomissent les feux du tonnerre; ils les versent sur les montagnes, en rosées, en pluies, en grêle, en neige, en torrents impétueux. Quelque bizarres que paroissent leurs services, chaque partie de la terre en reçoit tous les ans sa portion d'eau, et en éprouve l'influence. Chemin faisant, ils déploient sur les plaines liquides de la mer la variété de leurs caractères les uns rident à peine la surface de ses flots; les autres les roulent en ondes d'azur : ceuxci les bouleversent en mugissant, et couvrent d'écume les plus hauts promontoires.

COUSIN-DESPREAUX. Leçons de la nature.

DE LA NATURE DANS L'AMÉRIQUE MÉRIDIONALE.

Dans ces contrées de l'Amérique méridionale, où la nature plus active, fait descendre à grands flots, du sommet des hautes Cordilières, des fleuves immenses, dont les eaux, s'étendant en liberté, inondent au loin des campagnes nouvelles, et où la main de l'homme n'a jamais opposé aucun obstacle à leur cours; sur les rives limoneuses de ces fleuves rapides, s'élèvent de vastes et antiques forêts. L'humidité chaude et vivifiante qui les abreuve devient la source intarissable d'une verdure tou

jours nouvelle pour ces bois touffus, image sans cesse renaissante d'une fécondité sans bornes, et où il semble que la nature, dans toute la vigueur de la jeunesse, se plaît à entasser les germes productifs. Les végétaux ne croissent pas seuls au milieu de ces vastes solitudes; la nature a jeté sur ces grandes productions la variété, le mouvement et la vie. En attendant que l'homme vienne régner au milieu de ces forêts, elles sont le domaine de plusieurs animaux qui, les uns par la beauté de leurs écailles, l'éclat de leurs couleurs, la vivacité de leurs mouvements, l'agilité de leur course, les autres par la fraîcheur de leur plumage. l'agrément de leur parure, la rapidité de leur vol, tous, par la diversité de leurs formes, font, des vastes contrées du Nouveau-Monde, un grand et magnifique tableau, une scène animée, aussi variée qu'immense. D'un côté, des ondes majestueuses roulent avec bruit; de l'autre, des flots écumants se précipitent avec fracas des rochers élevés, et des tourbillons de vapeurs réfléchissent au loin les rayons éblouissants du soleil; ici, l'émail des fleurs se mêle au brillant de la verdure, et est effacé par l'éclat plus brillant encore du plumage varié des oiseaux; là, des couleurs plus vives, parce qu'elles sont renvoyées par des corps plus polis, forment la parure de ces grands quadrupedes ovipares, de ces gros lézards que l'on est tout étonné de voir décorer le sommet des arbres, et partager la demeure des habitants ailės.

LACÉPÈDE. Histoire naturelle des ovipares.

ROME ANTIQUE.

J'errois sans cesse du Forum au Capitole, du quartier des Carènes au Champ-de-Mars; je courois au théâtre de Germanicus, au môle d'Adrien, an Cirque de Néron, au Panthéon d'Agrippa; je ne pouvois me lasser de voir le mouvement d'un peuple composé de tous les peuples de la terre, et la marche de ces troupes romaines, gauloises, germaniques, grecques, africaines, chacune différemment armée et vêtue. Un vieux Sabin passoit avec ses sandales d'écorce de bouleau auprès d'un sénateur couvert de poupre; la litière d'un consulaire étoit arrêtée par le char d'une courtisane; les grands bœufs du Clitumne traînoient au Forum l'antique chariot du Volsque ; l'équipage de chasse d'un chevalier romain embarrassoit la voie Sacrée : des prêtres couroient encenser leurs dieux, et des rhéteurs ouvrir leurs écoles.

Que de fois j'ai visité ces thermes ornés de bibliothèques, ces palais les uns déjà croulants, les autres à moitié démolis pour servir à construire d'autres édifices! La grandeur de l'horizon romain se mariant aux grandes lignes de l'architecture romaine : ces aqueducs qui, comme des rayons aboutissants à un même centre, amènent les eaux au peuple

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roi sur des arcs de triomphe : le bruit sans fin des fontaines ces innombrables statues qui ressemblent à un peuple immobile au milieu d'un peuple agité ces monuments de tous les âges et de tous les pays ces travaux des rois, des consuls, des césars: ces obélisques ravis à l'Égypte, ces tombeaux enlevés à la Grèce : je ne sais quelle beauté dans la lumière, les vapeurs et le dessin des montagnes : la rudesse même du cours du Tibre: les troupeaux de cavales demi-sauvages qui viennent s'abreuver dans ses eaux cette campagne que le citoyen de Rome dédaigne maintenant de cultiver, se réservant à déclarer chaque année aux nations esclaves quelle partie de la terre aura l'honneur de le nourrir que vous dirai-je enfin? tout porte, à Rome, l'empreinte de la domination et de la durée : j'ai vu la carte de la ville éternelle tracée sur des roches de marbre au Capitole, afin que son image même ne pût s'effacer 1!

CHATEAUBRIAND. Les Martyrs, liv. vi.

CAMPAGNE ET ASPECT DE ROME MODERNE.

Figurez-vous quelque chose de la désolation de Tyr et de Babylone, dont parle l'écriture; un silence et une solitude aussi vaste que le bruit et le tumulte des hommes qui se pressoient jadis sur ce sol. On croit y entendre retentir cette malédiction du prophète : Venient tibi duo hæc subito in die und, sterilitas et viduitas. Vous apercevez çà et là quelques bouts de voies romaines, dans les lieux où il ne passe plus personne, quelques traces desséchées des torrents de l'hiver, qui, vaes de loin, ont elles-mêmes l'air de grands chemins battus et fréquentés, et qui ne sont que le lit désert d'une onde orageuse qui s'est écoulée comme le peuple romain. A peine découvrez-vous quelques arbres, mais vous voyez partout des ruines d'aqueducs et de tombeaux, qui semblent être les forêts et les plantes indigènes d'une terre composée de la poussière des morts et des débris des empires. Souvent, dans une grande plaine, j'ai cru voir de riches moissons; je m'en approchois, et ce n'étoient que des herbes flétries qui avoient trompé mon œil; quelquefois, sous ces moissons stériles, vous distinguez les traces d'une ancienne culture. Point d'oiseaux, point de laboureurs, point de mouvements champêtres, point de mugissements de troupeaux, point de villages. Un petit nombre de fermes délabrées se montrent sur la nudité des champs : les fenêtres et les portes en sont fermées; il n'en sort ni fumée, ni bruit, ni habitants; une espèce de sauvage presque nu, pâle et miné par la fièvre, garde seulement ces tristes chaumières, comme ces spectres qui, dans

Voyez descriptions en vers. 1r. PARTIE

nos histoires gothiques, défendent l'entrée de châteaux abandonnés. Enfin, l'on diroit qu'aucune nation n'a osé succéder aux maîtres du monde dans leur terre natale, et que vous voyez ces champs, tels que les a laissés le soc de Cincinnatus, ou la dernière charrue romaine.

C'est du milieu de ce terrain inculte, que domine et qu'attriste encore un monument appelé, par la voix populaire, le tombeau de Néron, que s'élève la grande ombre de la ville éternelle. Ďéchue de sa puissance terrestre, elle semble, dans son orgueil, avoir voulu s'isoler ; elle s'est séparée des autres cités de la terre, et comme une reine tombée du trône, elle a noblement caché ses malheurs dans la solitude.

Il me seroit impossible de vous peindre ce qu'on éprouve, lorsque Rome vous apparoît tout à coup au milieu de ces royaumes vides, inania regna, et qu'elle a l'air de s'élever pour vous de la tombe où elle étoit couchée. Tâchez de vous figurer ce trouble et cet étonnement qu'éprouvoient les prophètes, lorsque Dieu leur envoyoit la vision de quelque cité à laquelle il avoit attaché les destinées de son peuple. La multitude des souvenirs, l'abondance des sentiments vous oppressent, et votre ame est bouleversée à l'aspect de cette Rome qui a recueilli deux fois la succession du monde, comme héritière de Saturne et de Jacob. LE MÊME. Itinéraire.

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Réveil d'un CAMP.

Épuisé par les travaux de la journée, je n'avois, durant la nuit, que quelques heures pour délasser mes membres fatigués. Souvent il m'arrivoit pendant ce court repos, d'oublier ma nouvelle fortune et lorsqu'aux premières blancheurs de l'aube, les trompettes du camp venoient à sonner l'air de Diane, j'étois étonné d'ouvrir les yeux au milieu des bois. Il y avoit pourtant un charme à ce réveil du guerrier échappé aux périls de la nuit. Je n'ai jamais entendu, sans une certaine joie belliqueuse, la fanfare du clairon, répétée par l'écho des rochers, et les premiers hennissements des chevaux qui saluoient l'aurore. J'aimois à voir le camp plongé dans le sommeil, les tentes encore fermées, d'où sortoient quelques soldats à moitié vêtus, le centurion qui se promenoit devant les faisceaux d'armes en balançant son cep de vigne, la sentinelle immobile qui, pour résister au sommeil, tenoit un doigt levé dans l'attitude du silence, le cavalier qui traversoit le fleuve coloré des feux du matin, le victimaire qui puisoit l'eau du sacrifice, et souvent un berger appuyé sur sa houlette, qui regardoit boire son troupeau.

LE MÊME. Les Martyrs.

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LE GRAND GÉNÉRAL ET SON ARMÉE, AU MOMENT D'UNE BATAILLE.

Quel moment qu'une bataille, pour un homme tel que Catinat, déjà familiarisé avec l'art de vaincre, et capable de la considérer en philosophe, en même temps qu'il la dirigeoit en guerrier! Quel spectacle, que cette foule d'hommes rassemblés de toutes parts, qui tous semblent n'avoir alors d'autre ame que celle que leur donne le général; qui, agrandis les uns par les autres, élevés au-dessus d'eux-mêmes, vont exécuter des prodiges dont peut-être chacun d'eux, abandonné à scs propres forces, n'eût jamais conçu l'idée! Ah! la multitude est dans la main du grand homme; on n'en fait rien qu'en la transformant, pour ainsi dire, qu'en faisant passer en elle un instinct qui la domine, et qu'elle n'est pas maîtresse de repousser. Alors le péril, la mort, la crainte, les petits intérêts, les passions viles s'éloignent et disparoissent; le cri de l'honneur, plus fort, plus imposant, plus retentissant que le bruit des instruments militaires, et que le fracas des foudres, fait naître dans tous les esprits un même enthousiasme; le général le meut, le dirige, l'anime, et ne le ressent pas; seul, il n'en a pas besoin. La pensée du salut de tous le remplit sans l'agiter : elle occupe toutes les forces de sa raison recueillies. Tout ce qui se fait de grand lui appartient, et lui-même est au-dessus de cette grandeur. Son œil, toujours attaché sur la victoire, la suit dans tous les mouvements qui semblent l'éloigner ou la rapprocher; il la fixe, l'enchaîne enfin, et voyant alors tout le sang qu'elle a coûté, il se détourne du carnage, et se console en regardant la patrie. LA HARPE. Éloge de Catinat.

MÊME SUJET SOUS UN AUTRE POINT DE vue.

S'il y a une occasion au monde où l'ame pleine d'elle-même soit en danger d'oublier son Dieu, c'est dans ces postes éclatants où un homme, par la sagesse de sa conduite, par la grandeur de son courage, par la force de son bras, et par le nombre de ses soldats, devient comme le Dieu des autres hommes, et, rempli de gloire en lui-même, remplit tout le reste du monde, d'amour, d'admiration ou de frayeur. Les dehors mêmes de la guerre, le son des instruments, l'éclat des armes, l'ordre des troupes, le silence des soldats, l'ardeur de la mêlée, le commencement, le progrès et la consommation de la victoire, les cris différents des vaincus et des vainqueurs, attaquent l'ame par tant d'endroits, qu'enlevée à tout ce qu'elle a de sagesse et de modération, elle ne connoît ni

Vidi et crudeles dantem Salmonea pœnas,
Dum flammas Jovis et sonitus imitatur Olympi:

Dieu, ni elle-même. C'est alors que les impies Salmonées osent imiter le tonnerre de Dieu, et répondre par les foudres de la terre aux foudres du ciel c'est alors que les sacriléges Antiochus n'adorent que leurs bras et leur cœur, et que les insolents Pharaons, enflés de leur puissance, s'écrient: « C'est moi qui me suis fait moi-même! >> Mais aussi la religion et l'humanité ne paraissentelles jamais plus majestueuses que lorsque dans ce point de gloire et de grandeur, elles retiennent le cœur de l'homme dans la soumission et la dépendance où la créature doit être à l'égard de son

Dieu.

MASCARON. Oraison funèbre de M. de Turenne.

PRIÈRE DU SOIR A BORD D'UN VAISSEAU

Le globe du soleil, dont nos yeux pouvoient alors soutenir l'éclat, prêt à se plonger dans les vagues étincelantes, apparoissoit entre les cordages du vaisseau, et versoit encore le jour dans des espaces sans bornes. On eût dit, par le balancement de la poupe, que l'astre radieux changeoit à chaque instant d'horizon. Les mâts, les haubans, les vergues du navire étoient couverts d'une teinte de rose. Quelques nuages erroient sans ordre dans l'orient, où la lune montoit avec lenteur. Le reste du ciel étoit pur; et, à l'horizon du nord, formant un glorieux triangle avec l'astre du jour et celui de la nuit, une trombe chargée des couleurs du prisme s'élevoit de la mer comme une colonne de cristal supportant la voûte du ciel.

Il eût été bien à plaindre celui qui, dans ce beau spectacle, n'eût pas reconnu la beauté de Dieu! Des larmes coulèrent malgré moi de mes paupières lorsque tous mes compagnons, ôtant leurs chapeaux goudronnés, vinrent à entonner, d'une voix rauque, leur simple cantique à NotreDame-de-Bon-Secours, patronne des mariniers. Qu'elle étoit touchante la prière de ces hommes qui, sur une planche fragile, au milieu de l'Océan, contemploient un soleil couchant sur les flots! Comme elle alloit à l'ame cette invocation du pauvre matelot à la mère de douleur! Cette humiliation devant celui qui envoie les orages et le calme; cette conscience de notre petitesse à la vue de l'infini; ces chants s'étendant au loin sur les vagues; les monstres marins étonnés de ces accents inconnus, se précipitant au fond de leurs gouffres ; la nuit s'approchant avec ses embûches; la merveille de notre vaisseau au milieu de tant de merveilles; un équipage religieux, saisi d'admiration et de crainte; un prêtre auguste en prière; Dieu penché sur l'abyme, d'une main retenant le soleil aux portes de l'occident, de l'autre

Demens! qui nimbos et non imitabile fulmen, Ere et cornipedum pulsu simulàrat equorum. VIRG. Eneid., 1. vi, v. 585. (N. E.)

élevant la lune à l'horizon opposé, et prêtant, à travers l'immensité, une oreille attentive à la foible voix de sa créature: voilà ce que l'on ne sauroit peindre et ce que tout le cœur de l'homme suffit à peine pour sentir 1.

CHATEAUBRIAND. Génie du Christianisme.

LES INVALIDES AU PIED DES AUTELS.

Qui de nous n'a pas vu quelquefois ces vieux soldats qui, à toutes les heures du jour, sont prosternés çà et là sur les marbres du temple élevé au milieu de leur auguste retraite? Leurs cheveux, que le temps a blanchis, leur front, que la guerre a cicatrisé, ce tremblement, que l'âge seul a pu leur imprimer, tout en eux inspire d'abord le respect mais de quel sentiment n'est-on pas ému lorsqu'on les voit soulever et joindre avec effort leurs mains défaillantes pour invoquer le Dieu de l'univers et celui de leur cœur et de leur pensée; lorsqu'on leur voit oublier, dans cette touchante dévotion, et leurs douleurs présentes et leurs peines passées; lorsqu'on les voit se lever avec un visage serein, et emporter dans leur ame un sentiment de tranquillité et d'espérance! Ah! ne les plaignez point dans cet instant, vous qui ne jugez du bonheur que par les joies du monde! Leurs traits sont abattus, leur corps chancelle, et la mort observe leurs pas; mais cette fin inévitable, dont la seule image vous effraie, ils la voient venir sans alarmes ils se sont approchés par le sentiment de celui qui est bon, de celui qui peut tout, de celui qu'on n'a jamais aimé sans consolation. Venez contempler ce spectacle, vous qui méprisez les opinions religieuses, et qui vous dites supérieurs en lumières; venez, et voyez vous-mêmes ce que peut valoir, pour le bonheur, votre prétendue science. Ah! changez donc le sort des hommes, et donnez-leur à tous, si vous le pouvez, quelque part aux délices de la terre, ou respectez un sentiment qui leur sert à repousser les injures de la fortune; et, puisque la politique des tyrans n'a jamais essayé de le détruire, puisque leur pouvoir ne seroit pas assez grand pour réussir dans cette farouche entreprise, vous, que la nature a mieux doués, ne soyez ni plus durs, ni plus terribles qu'eux; ou si, par une impitoyable doctrine, vous vouliez enlever aux vieillards, aux malades et aux indigents la seule idée de bonheur à laquelle ils peuvent se prendre, parcourez aussi ces prisons et ces souterrains, où des malheureux se débattent dans leurs fers, et fermez de vos propres mains la seule ouverture qui laisse arriver jusqu'à eux quelques rayons de lumière.

NECKER. Importance des opinions religieuses.

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LE VOLCAN DE QUITO.

Heureux les peuples qui cultivent les vallées et les collines la mer forma dans son sein, des que sables que roulent ses flots, des dépouilles de la terre! Le pasteur y conduit ses troupeaux sans alarmes; le laboureur Ꭹ sème et y moissonne en paix. Mais malheur aux peuples voisins de ces montagnes sourcilleuses, dont le pied n'a jamais trempé dans l'Océan, et dont la cime s'élève audessus des nues! Ce sont des soupiraux que le feu souterrain s'est ouverts, en brisant la voûte des fournaises profondes où sans cesse il bouillonne. Il a formé ces monts des rochers calcinés, des métaux brûlants et liquides, des flots de cendre et de bitume qu'il lançoit, et qui, dans leur chute, s'accumuloient au bord de ces gouffres ouverts! Malheur aux peuples que la fertilité de ce terrain perfide attache! Les fleurs, les fruits et les moissons couvrent l'abyme sous leurs pas. Ces germes de fécondité, dont la terre est pénétrée, sont les exhalaisons du feu qui la dévore. Sa richesse, en croissant, présage sa ruine; et c'est au sein de l'abondance qu'on lui voit engloutir ses heureux possesseurs tel est le climat de Quito. La ville est dominée par un volcan terrible, qui, par de fréquentes secousses, en ébranle les fondements.

Un jour que le peuple indien, répanda dans les campagnes, labouroit, semoit, moissonnoit (car ce riche vallon présente tous ces travaux à la fois), et que les filles du Soleil, dans l'intérieur de leur palais, étoient occupées, les unes à filer, les autres à ourdir les précieux tissus de laine dont le pontife et le roi sont vêtus, un bruit sourd se fait d'abord entendre dans les entrailles du volcan. Ce bruit, semblable à celui de la mer lorsqu'elle conçoit les tempêtes, s'accroît et se change bientôt en un mugissement profond. La terre tremble, le ciel gronde, de noires vapeurs l'enveloppent, le temple et les palais chancellent et menacent de s'écrouler; la montagne s'ébranle, et sa cime entr'ouverte vomit, avec les vents enfermés dans son sein, des flots de bitume liquide et des tourbillons de fumée qui rougissent, s'enflamment et lancent dans les airs des éclats de rochers brûlants qu'ils ont détachés de l'abyme: superbe et terrible spectacle, de voir des rivières de feu bondir à flots étincelants à travers des monceaux de neige, et s'y creuser un lit vaste et profond!

Dans les murs, hors des murs, la désolation, l'épouvante, le vertige de la terreur se répandent en un instant. Le laboureur regarde et reste immobile. Il n'oseroit entamer la terre qu'il sent comme une mer flottante sous ses pas. Parmi les prêtres du Soleil, les uns tremblants s'élancent hors du temple; les autres consternés embrassent l'autel de leur dieu. Les vierges éperdues sortent de leur palais, dont les toits menacent de fondre

sur leur tête; et, courant dans leur vaste enclos, pâles, échevelées, elles tendent leurs mains timides vers ces murs, d'où la pitié même n'ose approcher pour les secourir 1.

MARMONTEL. Les Incas.

L'ÉRUPTION D'UN VOLCAN, et ses ravages.

s'avan

Tout à coup, au milieu du silence de la nuit, un bruit affreux retentit à leurs oreilles; ils entendent de loin la mer mugir, et rouler vers le rivage ses ondes amoncelées; les souterrains profonds sont frappés à coups redoublés; la terre tremble sous leurs pas ; ils courent pleins d'effroi au milieu des ténèbres épaisses. Une montagne voisine s'entr'ouvrant avec effort, lance au plus haut des airs une colonne ardente qui répand, au milieu de l'obscurité, une lumière rougeâtre et lugubre; des rochers énormes volent de tous côtés; la foudre éclate et tombe; une mer de feu, çant avec rapidité, inonde les campagnes ; à son approche, les forêts s'embrasent, la terre n'offre plus que l'image d'un vaste incendie qu'entretiennent des amas énormes de matières enflammées, et qu'animent des vents impétueux. Où fuyez-vous, mortels infortunés? de quelque côté que vous cherchiez un asile, comment éviterez-vous la mort qui vous menace? De nouveaux gouffres s'ouvrent sous vos pas, de nouveaux tourbillons de flammes, de pierres, de cendres et de fumée, volent vers vous du sommet des montagnes, et la mer écumeuse, rougie par l'éclat des foudres, surmonte son rivage, et s'avance pour vous engloutir.

Cependant ces phénomènes terribles s'apaisent peu les feux s'amortissent: la mer, à demi peu; calmée, retire en murmurant ses ondes bouillonnantes, la terre se raffermit, le bruit cesse, et le jour paroît. Quel triste et lugubre tableau présente la campagne ravagée! Elle n'offre plus que des monceaux de cendres, que des rochers énormes entassés sans ordre, que des torrents de lave ardente, que des bois qui brûlent encore, que de tristes restes des infortunés qui ont péri au milieu de ces désastres. Un ciel couvert de nuages n'envoie sur tous ces objets lugubres qu'une clarté pâle et terne un calme sinistre règne dans l'air; des bruits lointains annoncent de nouveaux malheurs; et la mer répond par de sourds gémissements au bruit lugubre que font entendre les profondes cavernes de la terre. Consternés, saisis d'effroi, pressés dans le seul espace où les flammes ne sont pas parvenues, les mains élevées vers le ciel qui seul peut les secourir, les hommes adressent alors leurs ardentes prières à celui qui commande à la mer et à la foudre. Leur prière est

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courte, mais touchante ; ils la recommencent souvent, et chaque fois avec un ton plus pénétré, ils cherchent en quelque sorte à faire parvenir leurs voix jusqu'à l'être dont ils implorent la clémence : tous les signes des passions qui les agitent, de l'effroi, de la vive inquiétude, de la désolation, se mêlent aux sons qu'ils profèrent, et qu'ils soutiennent avec effort 2.

LACEPEDE. Poétique de la musique.

PHOSPHORESCENCE DE LA MER.

La phosphorescence des eaux de l'Océan, depuis Aristote et Pline, a été, pour les voyageurs et méditation. Combien les phénomènes n'en sont-ils pour les physiciens, un égal objet d'intérêt et de pas effectivement nombreux et variés! Ici, la surface de l'Océan étincelle et brille dans toute son étendue, comme une étoffe d'argent électrisée dans l'ombre; là, se déploient les vagues en nappes immenses de soufre et de bitume embrasés; ailleurs, on diroit une mer de lait dont on n'aperçoit pas les bornes. Bernardin de Saint-Pierre a décrit avec enthousiasme ces étoiles brillantes qui semblent jaillir par milliers du fond des eaux, et dont, ajoute-t-il avec raison, celles de nos feux d'artifice ne sont qu'une bien foible imitation. D'autres ont parlé de ces masses embrasées qui roulent sous les vagues, comme autant d'énormes boulets rouges, et nous en avons vu nous-mêmes qui ne paroissent pas avoir moins de vingt pieds de diamètre. Plusieurs marins ont observé des parallelogrammes incandescents, des cônes de lumière pirouettant sur eux-mêmes, des guirlandes éclatantes, des serpenteaux lumineux. Dans quelques lieux des mers, on voit souvent s'élancer au-dessus de leur surface des jets de feux étincelants; ailleurs on a vu comme des nuages de lumière et de phosphore errer sur les flots au milieu des ténèbres. Quelquefois l'Océan semble comme décoré d'une immense écharpe de lumière mobile, onduleuse, dont les extrémités vont se rattacher aux bornes de l'horizon. Tous ces phénomènes, et beaucoup d'autres encore que je m'abstiens d'indiquer ici, quelque merveilleux qu'ils puissent paroître, n'en sont pas moins de la plus incontestable vérité. les voyageurs de la véracité la moins suspecte, et D'ailleurs ils ont été plus d'une fois décrits par je les ai moi-même presque tous observés en différentes parties des mers.

PERON. Voyage aux terres Australes, t. 1.

LA CATARACTE DE NIAGARA 3.

Nous arrivâmes bientôt au bord de la cataracte, qui s'annonçoit par d'affreux mugissements. Elle est formée par la rivière Niagara, qui sort du lac Erié, et se jette dans le lac Ontorio; sa hauteur

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