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exprime les passions les plus vives et les émotions les plus tumultueuses, comme les mouvements les plus doux et les sentiments les plus délicats; il les rend dans toute leur force, dans toute leur pureté, tels qu'ils viennent de naître ; il les transmet par des traits rapides qui portent dans une autre ame le feu, l'action, l'image de celle dont ils partent; l'œil reçoit et réfléchit en même temps la lumière de la pensée et la chaleur du sentiment; c'est le sens de l'esprit et la langue de l'intelligence.

BUFFON. Histoire naturelle.

ORIGINE ET MOBILES DE L'INDUSTRIE HUMAINE.

Toute activité, soit de corps, soit d'esprit, prend sa source dans les besoins; c'est en raison de leur étendue, de leurs développements, qu'elle-même s'étend et se développe; l'on en suit la gradation depuis les éléments les plus simples, jusqu'à l'état le plus composé. C'est la faim, c'est la soif, qui, dans l'homme encore sauvage, éveillent les premiers mouvements de l'ame et du corps; ce sont ces besoins qui le font courir, chercher, épier, user d'astuce ou de violence; toute son activité se mesure sur les moyens de pourvoir à sa subsistance. Sont-ils faciles, a-t-il sous sa main les fruits, le gibier, le poisson, il est moins actif, parce qu'en étendant le bras il se rassasie, et que, rassasié, rien ne l'invite à se mouvoir, jusqu'à ce que l'expérience de diverses jouissances ait éveillé en lui des désirs qui deviennent des besoins nouveaux, de nouveaux mobiles d'activité. Les moyens sont-ils difficiles, le gibier est-il rare et agile, le poisson rusé, les fruits passagers, alors l'homme est forcé d'être plus actif; il faut que son corps et son esprit s'exercent à vaincre les difficultés qu'il rencontre à vivre; il faut qu'il devienne agile comme le gibier, rusé comine le poisson, et prévoyant pour conserver les fruits. Alors, pour étendre ses facultés naturelles, il s'agite, il pense, il médite; alors il imagine de courber un rameau d'arbre pour en faire un arc, d'aiguiser un roscau pour en faire une flèche, d'emmancher un bâton à une pierre tranchante pour en faire une hache; alors il travaille à faire des filets, à abattre des arbres, à en creuser le tronc pour en faire des pirogues. Déjà il a franchi les bornes des besoins ; déjà l'expérience d'une foule de sensations lui a fait connoître des jouissances et des peines; et il prend un surcroît d'activité pour écarter les unes et multiplier les autres. Il a goûté le plaisir d'un ombrage contre les feux du soleil ; il se fait une cabane. Il a éprouvé qu'une peau le garantit du froid; il se fait un vêtement. Il a bu l'eau-de-vie et fumé le tabac; il les a aimés. Il veut en avoir encore: il ne le peut qu'avec des peaux de castor, des dents d'éléphant, de la poudre d'or, etc., il redouble d'activité, et

il parvient, à force d'industrie, jusqu'à vendre son semblable '. VOLNEY. Voyage en Syrie.

SULLY DANS LA RETRAITE.

L'histoire a peint des sages dans la retraite, des héros dans l'oppression; mais elle n'offre rien de plus grand que la dignité de Sully dans le malheur. C'étoit la dignité de la vertu même, sur laquelle et les hommes, et les cours, et les rois ne peuvent rien. La grandeur qui étoit dans son ame se répandoit dans toute sa maison. Un nombre prodigieux de domestiques, une foule de gardes, d'écuyers, de gentilshommes; un luxe, non de frivolité, mais de magnificence; un appareil imposant, le respect de mille vassaux, la subordination d'une famille illustre; des appartements immenses, et où les belles actions de Henri IV étoient représentées avec celles de son ministre; des parcs où régnoient la simplicité et la grandeur : au milieu de tous ces objets Sully en cheveux blancs, conservant les modes antiques, portant sur sa poitrine l'image de Henri IV, la sainte gravité de ses discours, la majesté de ses regards, le siége plus élevé qui le distinguoit au milieu de ses enfants, l'accueil honorable que recevoient dans sa maison tous les vieillards, le silence mêlé de crainte et de respect des jeunes gens que leurs pères conduisoient par la main pour voir ce grand homme; tout cela réuni sembloit offrir quelque chose de plus qu'humain, et portoit dans les cœurs je ne sais quelle émotion qui élevoit l'ame en l'étonnant. O mœurs trop différentes des nôtres ! C'est ainsi qu'il passa trente ans dans la retraite, sans se plaindre des hommes, ni de leur injustice, pleurant son ancien roi, fidèle au nouveau, estimé et haï de Richelieu, ayant survécu à tout, excepté à la vertu. Elle descendit avec lui dans sa tombe. La mort termina une carrière de quatre-vingtdeux ans, dont cinquante furent employés pour le bonheur de l'état, et le reste auroit l'être. THOMAS. Eloge de Sully.

MODESTIE DE TURENNE.

pu

Qui fit jamais de si grandes choses? qui les dit avec plus de retenue? Remportoit-il quelque avantage, à l'entendre, ce n'étoit pas qu'il fût habile, mais l'ennemi s'étoit trompé. Rendoit-il compte d'une bataille, il n'oublioit rien, sinon que c'étoit lui qui l'avoit gagnée. Racontoit-il quelques-unes de ces actions qui l'avoient rendu si célèbre, on eût dit qu'il n'en avoit été que le spectateur, et l'on doutoit si c'étoit lui qui se trompoit, ou la renommée. Revenoit-il de ces glorieuses campagnes qui

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rendront son nom immortel, il fuyoit les acclamations populaires, il rougissoit de ses victoires, il venoit recevoir des éloges, comme on vient faire des apologies, et n'osoit presque aborder le roi, parce qu'il étoit obligé, par respect, de souffrir patiemment les louanges dont sa majesté ne manquoit jamais de l'honorer.

C'est alors que, dans le doux repos d'une condition privée, ce prince, se dépouillant de toute la gloire qu'il avoit acquise pendant la guerre, et se renfermant dans une société peu nombreuse de quelques amis choisis, s'exerçoit sans bruit aux vertus civiles: sincère dans ses discours, simple dans ses actions, fidèle dans ses amitiés, exact dans ses devoirs, réglé dans ses désirs, grand même dans les moindres choses. Il se cache, mais sa réputation le découvre; il marche sans suite et sans équipage, mais chacun, dans son esprit, le met sur un char de triomphe. On compte, en le voyant, les ennemis qu'il a vaincus, non pas les serviteurs qui le suivent : tout seul qu'il est, on se figure autour de lui ses vertus et ses victoires qui l'accompagnent. Il y a je ne sais quoi de noble dans cette honnête simplicité; et, moins il est superbe, plus il devient vénérable.

FLÉCHIER. Oraison funèbre de Turenne.

MÊME SUJET.

Il revenoit de ses campagnes triomphantes avec la même froideur et la même tranquillité que s'il fût revenu d'une promenade, plus vide de sa propre gloire que le public n'en étoit occupé. En vain, dans les assemblées, ceux qui avoient l'honneur de le connoître le montroient des yeux, du geste et de la voix, à ceux qui ne le connoissoient pas ; en vain sa seule présence, sans train et sans suite, faisoit sur les ames une impression presque divine qui attire tant de respect, et qui est le fruit le plus doux et le plus innocent de la vertu héroïque : toutes ces choses si propres à faire rentrer un homme en lui-même par une vanité raffinée, oa à le faire répandre au dehors par l'agitation d'une vanité moins réglée, n'altéroient en aucune manière la situation tranquille de son ame, et il ne tenoit pas à lui qu'on n'oubliât ses victoires et ses triomphes.

MASCARON. Oraison funèbre de Turenne.

RÈGNE DE LOUIS XIV.

Un roi plein d'ardeur et d'espérance saisit luimême ce sceptre qui, depuis Henri-le-Grand, n'avoit été soutenu que par des favoris et des ministres. Son ame, que l'on croyoit subjuguée par la mollesse et les plaisirs, se déploie, s'affermit et s'éclaire, à mesure qu'il a besoin de régner. Il se montre vaillant, laborieux, ami de la justice

et de la gloire. Quelque chose de généreux se mêle aux premiers calculs de sa politique. Il envoie des François défendre la chrétienté contre les Turcs, en Allemagne et dans l'île de Crète : il est protecteur, avant d'être conquérant; et, lorsque l'ambition l'entraîne à la guerre, ses armes heureuses et rapides paroissent justes à la France éblouie. La pompe des fêtes se mêle aux travaux de la guerre ; les jeux du Carrousel, aux assauts de Valenciennes et de Lille. Cette altière noblesse, qui fournissoit des chefs aux factions, et que Richelieu ne savoit dompter que par les échafauds, est séduite par les paroles de Louis, et récompensée par les périls qu'il lui accorde à ses côtés. La Flandre est conquise; l'Océan et la Méditerranée sont réunis; de vastes ports sont creusés; une enceinte de forteresses environne la France; les colonnades du Louvre s'élèvent; les jardins de Versailles se dessinent; l'industrie des Pays-Bas et de la Hollande se voit surpassée par les ateliers nouveaux de la France; une émulation de travail, d'éclat, de grandeur est partout répandue, un langage sublime et nouveau célèbre toutes ces merveilles et

les agrandit pour l'avenir. Les épîtres de Boileau sont datées des conquêtes de Louis XIV; Racine porte sur la scène les foiblesses et l'élégance de la cour; Molière doit à la puissance du trône la liberté de son génie; La Fontaine lui-même s'aperçoit des grandes actions du jeune roi, et devient flatteur. Voilà le brillant tableau qu'offrent les vingt premières années de ce règne mémorable. VILLEMAIN. Discours d'ouverture,

novembre 1824.

MORT DU MARÉCHAL DE SAXE.

Ce grand homme, cher à la nation, craint de nos ennemis et respecté des siens (car plus il fut grand, plus il dut en avoir), espéroit jouir de sa gloire dans le sein du repos, et la France l'espéroit avec lui. On n'approchoit de sa retraite de Chambord qu'avec ce respect qu'inspire le séjour des héros. Son palais étoit regardé comme le temple de la valeur et le sanctuaire des vertus guerrières. Mais, ô foiblesse! ô néant! il semble que Maurice ne devoit exister que pour faire de grandes choses. Dès qu'il a cessé de vaincre, il disparoit. Il meurt; et celui qui avoit été élu souverain par un peuple libre, qui avoit été comblé de tant d'honneurs, qui avoit gagné tant de batailles, qui avoit pris ou défendu tant de villes, qui avoit vengé ou vaincu les rois, qui étoit l'amour d'une nation et la terreur de toutes les autres, compare en mourant sa vie à un songe.

Sa mort fut une calamité pour la France, un événement pour l'Europe. Louis s'honora luimême, en l'honorant de ses regrets. Les courtisans, qui sont si peu sensibles, furent attendris.

Le peuple, qui est la partie la plus méprisée et la plus vertueuse de l'état, pleura l'appui et le défenseur de la patrie. Mais vous, guerriers, qu'il conduisoit dans les batailles, vous que tant de fois il a menés à la victoire, quels furent alors vos sentiments? Pour les peindre, je n'aurai pas recours aux vains artifices de l'éloquence, il suffit de rappeler un fait que la postérité doit apprendre, et dont il est utile de conserver le souvenir. Après que le corps de Maurice eut été transporté dans la capitale de l'Alsace, pour y recevoir les honneurs funèbres, deux soldats qui avoient servi sous lui, entrent dans le temple où étoit déposée sa cendre. Ils approchent en silence, le visage triste, l'œil en pleurs. Ils s'arrêtent au pied du tombeau, le regardent, l'arrosent de leurs larmes. Alors l'un d'eux tire son épée, l'applique au marbre de la tombe. Saisi du même sentiment, son compagnon imite son exemple. Tous deux ensuite sortent en pleurant, sans se regarder, sans proférer un seul mot. Ils pensoient sans doute, ces guerriers, que le marbre qui touchoit aux cendres de Maurice, avoit le pouvoir de communiquer la valeur, et de faire des héros. Vous ne vous trompez pas, dignes soldats de Maurice! Tandis que son ombre, du milieu de l'Alsace qu'elle habite, sèmera encore la terreur chez nos ennemis, et gardera les bords du Rhin, la vue du marbre qui renferme sa cendre élèvera l'ame de tous les François, leur inspirera le courage, la magnanimité, l'amour généreux de la gloire, le zèle pour le roi et pour la patrie.

THOMAS. Éloge du maréchal de Saxe.

L'INFORTUNE, LA VERTU ET L'HÉROÏSME.

Une enfant, dont la raison et la sensibilité avoient été avancées par le malheur, tombe du trône dans une prison. Son père, dont elle ne pouvoit ignorer les vertus; périt sur l'échafaud sans qu'on ose le lui cacher, dans la crainte de lui dérober une bénédiction que le ciel doit ratifier; sa mère, dont le courage lui servoit d'exemple, et l'amour de consolation, est enlevée à ses yeux pour subir le même supplice; une seconde mère, son dernier soutien, modèle de piété et d'héroïsme, périt sur le même échafaud. Seule, ou plutôt à son tour, chef de famille dans une prison qui renfermoit encore un frère plus jeune qu'elle, elle s'en voit privée, et ne peut ignorer la cause de sa mort. N'ayant connu de la vie que ce qu'elle a de plus amer, résignée à la rendre sans regret au Dien qui la lui avoit donnée, ne pouvant entendre autour d'elle le moindre bruit qu'elle ne prît pour l'annonce de sa dernière heure, elle apprend qu'on l'exile. Selon les lois éternelles de la providence, quelles modifications un tel assemblage de malheurs aura-t-il produites sur le caractère de cette infortunée? Au-dessus de la vanité, elle en a connu

le néant; au-dessus de l'orgueil, qui ne peut être à ses yeux qu'une foiblesse, c'est dans son ame qu'elle cherchera un refuge, et la fierté de cette ame deviendra plus puissante que l'injustice des hommes. Douce, parce que la nature l'a faite ainsi, simple dans ses goûts, soumise à tous ses devoirs, et sans efforts, compatissante au malheur, confiante, quand la franchise des sentiments qu'on lui montrera l'éloignera des souvenirs du passé, timide devant la malveillance ; qu'une grande circonstance se présente, et cette femme étonnera le monde par son courage, sans qu'il soit en elle de croire qu'elle ait rien fait d'extraordinaire! Ce qui nous surprend, ce qui excite notre admiration, n'est-il pas le résultat de l'éducation qu'elle a reçue du malheur dans son enfance? Peut-elle craindre la mort quand son ame est émue? N'est-ce pas de la mort qu'elle a reçu toutes les émotions qui ont fait battre son cœur, et lui ont appris à connoître le néant de la vie? Peutelle craindre le jugement des hommes, et y attacher le moindre prix ? Cette ame fière n'a-t-elle pas été conduite à ne reconnoître que Dieu pour juge?

LES PRISONS.

FIÉVÉE.

Jetez les yeux sur ces tristes murailles où la liberté humaine est renfermée et chargée de fers, où quelquefois l'innocence est confondue avec le crime, et où l'on fait l'essai de tous les supplices avant le dernier approchez; et si le bruit horrible des fers, si des ténèbres effrayantes, des gémissements sourds et lointains, en vous glaçant le cœur, ne vous font reculer d'effroi, entrez dans ce séjour de la douleur, osez descendre un moment dans ces noirs cachots où la lumière du jour ne pénètre jamais, et sous des traits défigurés contemplez vos semblables, meurtris de leurs fers, à demi-couverts de quelques lambeaux, infectés d'un air qui ne se renouvelle jamais, et semble s'imbiber du venin du crime; rongés vivants des mêmes insectes qui dévorent les cadavres dans leurs tombeaux, nourris à peine de quelques substances grossières distribuées avec épargne; sans cesse consternés des maux de leurs malheureux compagnons, et des menaces d'un impitoyable gardien; moins effrayés du supplice que tourmentés de son attente; dans ce long martyre de tous leurs sens, ils appellent à leur secours une mort plus douce que leur vie infortunée.

Si ces hommes sont coupables, ils sont encore dignes de pitié, et le magistrat qui diffère leur jugement est manifestement injuste à leur égard. La loi a prononcé un châtiment public qui doit suffire à la réparation de leur crime, et à la satisfaction de la société; ce long tourment d'une pri

son cruelle est une peine nouvelle dont il surcharge le coupable, et c'est violer la loi que d'en excéder la mesure: excès d'autant plus funeste, qu'il nuit à la fois au coupable et au public, et que tous les moments consumés dans une prison sont perdus pour l'exemple des mœurs.

Mais si ces hommes sont innocents, ô douleur, ô pitié! à cette idée l'humanité pousse du fond du cœur un cri terrible et tendre. Quoi! cet homme né libre gémit sous le poids des fers! Cet homme, à qui la lumière et l'air du ciel étoient destinés, respire à peine dans un cachot; ce père de famille est arraché avec violence des bras de son épouse et de ses enfants! Le deuil, le désespoir et la faim se sont emparés de sa tranquille habitation; ces bras qui tenoient embrassées une épouse tendre, une progéniture naissante; ces bras qui leur donnoient la subsistance, qui semoient, qui recueilloient; ces bras si nécessaires à l'état, sont indignement liés; un cœur pur et sans reproche est dans des lieux souillés de remords; l'innocence, en un mot, est dans le séjour du crime c'est là qu'on ne peut s'empêcher de gémir profondément sur les malheurs de l'humaine condition; c'est là, qu'en jetant les yeux vers la providence, on dit avec autant d'amertume que d'étonnement: O homme! quelle est ta destinée! souffrir et mourir, voilà donc les deux grands termes de ta carrière !

SERVAN. Discours sur l'administration de la justice criminelle.

VIE PRIVÉE DE FÉNÉLON.

Son humeur étoit égale, sa politesse affectueuse et simple, sa conversation féconde et animée. Une gaîté douce tempéroit en lui la dignité de son ministère, et le zèle de la religion n'eut jamais chez lui ni sécheresse, ni amertume. Sa table étoit ouverte, pendant la guerre, à tous les officiers ennemis ou nationaux que sa réputation attiroit en foule à Cambray. Il trouvoit encore des moments à leur donner, au milieu des devoirs et des fatigues de l'épiscopat. Son sommeil étoit court, ses repas d'une extrême frugalité, ses mœurs d'une pureté irréprochable. Il ne connoissoit ni le jeu ni l'ennui: son seul délassement étoit la promenade; encore trouvoit-il le secret de la faire rentrer dans ses exercices de bienfaisance. S'il rencontroit des paysans, il se plaisoit à les entretenir. On le voyoit assis sur l'herbe au milieu d'eux, comme autrefois saint Louis sous le chêne de Vincennes. Il entroit même dans leurs cabanes, et recevoit avec plaisir tout ce que lui offroit leur simplicité hospitalière. Sans doute ceux qu'il honora de semblables visites racontèrent plus d'une fois à la génération qu'ils virent naître, que leur toit rustique avoit reçu Fénélon. LA HARPE. Éloge de Fénélon.

le clergé de france.

La plupart de nous ont vu encore debout ce magnifique édifice, cet ouvrage du ciel, du temps, de nos rois, et de nos pères, cette belle portion de la grandeur nationale que la France étoit fière de montrer à l'Europe, ce monument tout ensemble de richesse, de puissance, d'autorité, de vertu, de gloire et de génie, qui s'étoit surtout si majestueusement élevé dans le grand siècle, et à côté du grand roi; providence visible qui balançoit à elle seule, par la toute-puissance de ses dons, les calamités publiques, rivalisant avec les peuples de fidélité envers le trône, et avec le trône de bienfaisance et de bonté pour les peuples; corps illustre autant qu'utile, qui, ne retenant de la haute naissance de quelques-uns de ses chefs, que l'honneur sans orgueil, paroissoit être l'abrégé de la société entière, dont il étoit l'ame et le lien moral, puisqu'il appeloit à ses dignités et à ses récompenses, à côté du fils des princes, le fils de l'artisan recommandé par la vertu et le talent; semblable en tout à cette heureuse et puissante monarchie dont il étoit le plus ferme appui, on eût dit que, conformément à l'inévitable loi des élévations et des décadences humaines, il étoit averti de son danger par sa grandeur, et menacé de sa ruine par l'excès même de sa bienfaisante prospérité. Ses débris ont encore conquis au nom françois et à la cause de la légitimité, l'estime et l'admiration de l'Europe hospitalière le clergé de France, comme s'il eût voulu surpasser, en finissant, l'éclat de sa longue vie, offrit de remplir seul ce déficit dans lequel on l'a précipité lui-même, non pas pour le combler, mais pour le creuser davantage. Ainsi, il apparoîtra à jamais en avant des malheurs et des crimes de la révolution, dont la rage alloit bientôt mêler le sang des martyrs sacrés au sang du martyr royal; il sera béni par les regrets de l'histoire, plus que jamais vivante et fidèle image du Dieu qui sembloit, par la voix de ses ministres, redevenus des prophètes, vouloir encore une fois avertir les François de conjurer l'orage, avant de lui permettre de dévorer la terre.

ROUX DE LABOrie.

LA NATURE BRUTE ET LA NATURE CULTIVÉE.

La nature est le trône extérieur de la magnificence divine. L'homme qui la contemple, qui l'étudie, s'élève par degrés au trône intérieur de la toute-puissance. Fait pour adorer le créateur, il commande à toutes les créatures; vassal du ciel, roi de la terre, il l'ennoblit, la peuple et l'enrichit; il établit entre les êtres vivants l'ordre, la subordination, l'harmonie ; il embellit la nature même; il la cultive, l'étend et la polit, en élague le chardon et la ronce, y multiplie le raisin et la

rose. Voyez ces plages désertes, ces tristes contrées où l'homme n'a jamais résidé, couvertes ou plutôt hérissées de bois épais et noirs, dans toutes les parties élevées; des arbres sans écorce et sans cime, courbés, rompus, tombants de vétusté; d'autres, en plus grand nombre, gisants au pied des premiers, pour pourrir sur des monceaux déjà pourris, étouffent, ensevelissent les germes prêts à éclore. La nature, qui partout ailleurs brille par sa jeunesse, paroît ici dans la décrépitude; la terre, surchargée par le poids, surmontée par les débris de ses productions, n'offre, au lieu d'une verdure florissante, qu'un espace encombré, versé de vieux arbres chargés de plantes parasites, de lichens, d'agarics, fruits impurs de la corruption. Dans toutes les parties basses, des eaux mortes, croupissantes, faute d'être conduites et dirigées des terrains fangeux, qui, n'étant ni solides, ni liquides, sont inabordables, et demeurent également inutiles aux habitants de la terre et des eaux : des marécages qui, couverts de plantes aquatiques et fétides, ne nourrissent que des insectes venimeux, et servent de repaire aux animaux immondes.

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Entre ces marais infects qui occupent les lieux bas, et les forêts décrépites qui couvrent les terres élevées, s'étendent des espèces de landes, des savanes, qui n'ont rien de commun avec nos prairies; les mauvaises herbes y surmontent, y étouffent les bonnes ce n'est point ce gazon fin qui semble faire le duvet de la terre; ce n'est point cette pelouse émaillée qui annonce sa brillante fécondité : ce sont des végétaux agrestes, des herbes dures, épineuses, entrelacées les unes dans les autres, qui semblent moins tenir à la terre qu'elles ne tiennent entre elles, et qui, se desséchant et repoussant successivement les unes sur les autres, forment une bourre grossière, épaisse de plusieurs pieds. Nulle route, nulle communication, nul vestige d'intelligence dans ces lieux sauvages. L'homme, obligé de suivre les sentiers de la bête féroce, s'il veut les parcourir, est contraint de veiller sans cesse pour éviter d'en devenir la proie; effrayé de leurs rugissements, saisi du silence même de ces profondes solitudes, il rebrousse chemin, et dit « La nature brute est hideuse et « mourante c'est moi seul qui peux la rendre agréable et vivante. Desséchons ces marais, ani<< mons ces eaux mortes, en les faisant couler : « formons-en des ruisscaux, des canaux em«ployons cet élément actif et dévorant qu'on nous « avoit caché, et que nous ne devons qu'à nous« mêmes; mettons le feu à cette bourre supera flue, à ces vieilles forêts déjà à demi-consumées; << achevons de détruire avec le fer ce que le feu << n'aura pu consumer: bientôt, au lieu du jone, « du nénuphar, dont le crapaud composoit son venin, nous verrons paroître la renoncule, le

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« trèfle, les herbes douces et salataires ; des troupeaux d'animaux bondissants fouleront cette terre jadis impraticable; ils y trouveront une subsi<< stance abondante, une pâture toujours renais« sante; ils se multiplieront pour se multiplier << encore. Servons-nous de ces nouveaux aides pour << achever notre ouvrage; que le bœuf soumis au joug emploie ses forces et le poids de sa masse « à sillonner la terre ; qu'elle rajeunisse par la «< culture: une nature nouvelle va sortir de nos « mains. >>

Qu'elle est belle cette nature cultivée ! Que, par les soins de l'homme, elle est brillante et pompeusement parée! Il en fait lui-même le principal ornement; il en est la production la plus noble : en se multipliant, il en multiplie le germe le plus précieux elle-même aussi semble se multiplier avec lui; il met au jour par son art tout ce qu'elle recéloit dans son sein. Que de trésors ignorés! que de richesses nouvelles ! Les fleurs, les fruits, les grains perfectionnés, multipliés à l'infini; les espèces utiles d'animaux transportées, propagées, augmentées sans nombre; les espèces nuisibles réduites, confinées, reléguées : l'or, et le fer plus nécessaire que l'or, tirés des entrailles de la terre; les torrents contenus, les fleuves dirigés, resserrés; la mer soumise, reconnue, traversée d'un hémisphère à l'autre; la terre accessible partout, partout rendue aussi vivante que féconde; dans les vallées, de riantes prairies; dans les plaines, de riches pâturages ou des moissons encore plus riches; les collines chargées de vignes et de fruits, leurs sommets couronnés d'arbres utiles et de jeunes forêts; les déserts, devenus des cités habitées par un peuple immense, qui, circulant sans cesse, se répand de ces centres jusqu'aux extrémités; des routes ouvertes ou fréquentées, des communications établies partout, comme autant de témoins de la force et de l'union de la société : mille autres monuments de puissance et de gloire démontrent assez que l'homme, maître du domaine de la terre, en a changé, renouvelé la surface entière, et que de tout temps il partage l'empire avec la nature.

Cependant il ne règne que par droit de conquête ; il jouit plutôt qu'il ne possède, il ne conserve que par des soins toujours renouvelés. S'ils cessent, tout languit, tout s'altère, tout change, tout rentre sous la main de la nature : elle reprend ses droits, efface les ouvrages de l'homme, couvre de poussière et de mousse ses plus fastueux monuments, les détruit avec le temps, et ne lui laisse que le regret d'avoir perdu, par sa faute, ce que ses ancêtres avoient conquis par leurs travaux. Ces temps où l'homme perd son domaine, ces siècles de barbarie pendant lesquels tout périt, sont toujours préparés par la guerre, et arrivent avec la disette et la dépopulation. L'homme, qui ne peut

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