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Il n'y a rien à répliquer à ces argumens; ils font dans la meilleure forme du monde. Voilà ce qui a inondé l'antiquité de prodiges; voilà pourquoi les temples d'Efculape à Epidaure, & dans d'autres villes, étaient pleins d'ex voto; les voûtes étaient ornées de cuiffes redreffées, de bras remis, de petits enfans d'argent; tout était miracle.

Enfin le fameux proteftant géomètre dont je parle était de fi bonne foi, il affura fi pofitivement qu'il reffufciterait les morts, & cette propofition plausible fit tant d'impreffion fur le peuple, que la reine Anne fut obligée de lui donner un jour, une heure & un cimetière à fon choix, pour faire fon miracle loyalement & en présence de la juftice. Le faint géomètre choifit l'églife cathédrale de St Paul pour faire fa démonftration : le peuple se rangea en haie, des foldats furent placés pour contenir les vivans & les morts dans le refpect; les magiftrats prirent leurs places; le greffier écrivit tout fur les régiftres publics; on ne peut trop conftater les nouveaux miracles. On déterra un corps au choix du faint; il pria, il fe jeta à genoux, il fit de très - pieufes contorfions; fes compagnons l'imitèrent; le mort ne donna aucun figne de vie; on le reporta dans fon trou, & on punit légèrement le reffufciteur & fes adhérens. J'ai vu depuis un de ces pauvres gens; il m'a avoué qu'un d'eux était en péché véniel, & que le mort en pâtit, fans quoi la réfurrection était infaillible.

S'il était permis de révéler la turpitude de gens à qui l'on doit le plus fincère respect, je dirais ici que Newton, le grand Newton, a trouvé dans l'Apocalypse, que le pape eft l'antechrift, & bien d'autres chofes

de cette nature; je dirais qu'il était arien très-férieusement. Je fais que cet écart de Newton eft à celui de mon autre géomètre, comme l'unité eft à l'infini : il n'y a point de comparaifon à faire. Mais quelle pauvre espèce que le genre-humain, fi le grand Newton a cru trouver dans l'Apocalypfe l'hiftoire préfente de l'Europe!

Il femble que la fuperftition foit une maladie épidémique, dont les ames les plus fortes ne font pas toujours exemptes. Il y a en Turquie des gens de très-bon fens, qui fe feraient empaler pour certains fentimens d'Abubeker. Ces principes une fois admis, ils raisonnent très-conféquemment : les Navariciens, les Radaristes, les Jabariftes, fe damnent chez eux réciproquement avec des argumens très-fubtils; ils tirent tous des conféquences plaufibles; mais ils n'ofent jamais examiner les principes.

Quelqu'un répand dans le monde qu'il y a un géant haut de foixante & dix pieds; bientôt après tous les docteurs examinent de quelle couleur doivent être ses cheveux, de quelle grandeur eft fon pouce, quelles dimensions ont fes ongles: on crie, on cabale, on se bat; ceux qui foutiennent que le petit doigt du géant n'a que quinze lignes de diamètre, font brûler ceux qui affirment que le petit doigt a un pied d'épaiffeur. Mais, Meffieurs, votre géant exifte-t-il? dit modeftement un paffant. Quel doute horrible! s'écrient tous ces difputans; quel blafphème! quelle abfurdité! Alors il font tous une petite trève pour lapider le paffant, & après l'avoir affaffiné en cérémonie, de la manière la plus édifiante, ils se battent entr'eux comme de coutume, au fujet du petit doigt & des ongles.

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FANTAISI E.

ANTAISIE fignifiait autrefois l'imagination, & on ne fe fervait guère de ce mot, que pour exprimer cette faculté de l'ame qui reçoit les objets sensibles.

Defcartes, Gaffendi, & tous les philofophes de leur temps, difent que les efpèces, les images des chofes fe peignent en la fantaisie; & c'est de-là que vient le mot fantôme. Mais la plupart des termes abftraits font reçus à la longue dans un fens différent de leur origine, comme des inftrumens que l'induftrie emploie à des ufages nouveaux.

Fantaifie veut dire aujourd'hui un défir fingulier, un goût paffager: il a eu la fantaisie d'aller à la Chine; la fantaifie du jeu, du bal, lui a paffé.

Un peintre fait un portrait de fantaisie, qui n'est d'après aucun modèle. Avoir des fantaisies, c'eft avoir des goûts extraordinaires qui ne font pas de durée. Fantaisie en ce fens eft moins que bizarrerie & que caprice.

Le caprice peut fignifier un dégoût fubit & déraifonnable. Il a eu la fantaisie de la mufique, & il s'en eft dégoûté par caprice.

La bizarrerie donne une idée d'inconféquence & de mauvais goût, que la fantaisie n'exprime pas ; il a eu la fantaisie de bâtir, mais il a conftruit fa maison dans un goût bizarre.

Il y a encore des nuances entre avoir des fantaisies & être fantafque : le fantafque approche beaucoup plus du bizarre.

Ce mot défigne un caractère inégal & brufque. L'idée d'agrément eft exclue du mot fantafque, au lieu qu'il y a des fantaifies agréables.

On dit quelquefois en converfation familière, des fantaifies mufquées; mais jamais on n'a entendu par ce mot, des bizarreries d'hommes d'un rang fupérieur, qu'on n'ofe condamner, comme le dit le dictionnaire de Trévoux: au contraire, c'eft en les condamnant qu'on s'exprime ainfi; & mufquée en cette occafion, eft une expletive qui ajoute à la force du mot, comme on dit fottife pommee, folie fieffée, pour dire, fottife & folie complète.

FAST E.

Des différentes fignifications de ce mot.

FASTE vient originairement du latin fafli, jours de

fête; c'eft en ce fens qu'Ovide l'entend dans fon poëme intitulé les Faftes.

Godeau a fait fur ce modèle les Fastes de l'Eglife, mais avec moins de fuccès: la religion des Romains païens était plus propre à la poëfie que celle des chrétiens; à quoi on peut ajouter qu'Ovide était un meilleur poëte que Godeau.

Les faftes confulaires n'étaient que la lifte des confuls.

Les faftes des magiftrats étaient les jours où il était permis de plaider; & ceux auxquels on ne plaidait pas s'appelaient nefaftes, nefafti, parce qu'alors on ne pouvait parler, fari, en justice.

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Ce mot nefaftus, en ce fens, ne fignifiait pas malheureux; au contraire, nefaftus & nefandus furent l'attribut des jours infortunés en un autre fens, qui fignifiait, jours dont on ne doit point parler, jours dignes de l'oubli; ille nefaflo te pofuit die.

Il y avait chez les Romains d'autres fastes encore, fafti urbis, fafti ruftici; c'était un calendrier de l'usage de la ville & de la campagne.

On a toujours cherché dans ces jours de folemnité à étaler quelque appareil dans fes vêtemens, dans fa fuite, dans fes feftins. Cet appareil étalé dans d'autres jours, s'eft appelé fafte. Il n'exprime que la magnificence dans ceux qui, par leur état, doivent repréfenter; il exprime la vanité dans les autres.

Quoique le mot de fafte ne foit pas toujours injurieux, faftueux l'eft toujours. Un religieux qui fait parade de fa vertu, met du fafte jufque dans l'humilité

même.

FAVE U R.

De ce qu'on entend par ce mot.

FAVEUR,
AVEUR, du mot latin favor, fuppofe plutôt un
bienfait qu'une récompense.

On brigue fourdement la faveur; on mérite & on demande hautement des récompenfes.

Le dieu Faveur, chez les mythologiftes romains, était fils de la Beauté & de la Fortune.

Toute faveur porte l'idée de quelque chofe de gratuit; il m'a fait la faveur de m'introduire, de me

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