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Remarquons, en terminant, et pour appuyer l'hypothèse de l'existence d'un fluide nerveux spécial, que, dans certaines conditions physiologiques ou morbides, il y a un déploiement considérable de forces, une surexcitation générale du système, tandis que, dans d'autres circonstances, il y a abattement, prostration, inaptitude à toute espèce de réaction, comme si l'influence nerveuse était épuisée ou en partie éteinte.

CHAPITRE II.

FONCTIONS DE L'ENCÉPHALE.

Les masses nerveuses que le crâne renferme, et qui constituent, par leur réunion, ce qu'on appelle l'encéphale, se distinguent les unes des autres, non seulement sous le rapport anatomique, mais encore au point de vue de leurs fonctions : ainsi les unes sont insensibles ou à peu près; les autres jouissent d'une sensibilité exquise; telle préside aux mouvements, telle autre est le siége des perceptions, des instincts, de l'intelligence, etc. Le problème est donc d'assigner à chacune son rôle et ses propriétés; problème difficile dont la solution est devenue, comme on va le voir, un des plus beaux résultats de la physiologie moderne.

I. DU CERVEAU.

Aristote et Galien croyaient le cerveau insensible. Lorry, M. Flourens (1), et, après eux, la plupart des expérimentateurs, ont constaté que cet organe peut être touché, piqué, soumis à l'action du feu et des caustiques, enlevé même couche par couche, sans que l'animal témoigne la moindre douleur; cependant quelques uns l'ont regardé comme étant doué d'une certaine sensibilité: Haller, Zinn (2), ont vu des chiens et des chevreaux s'agiter, jeter des cris, se plaindre vivement lorsqu'on irritait la substance blanche ou médullaire des lobes cérébraux. M. Serres (3) a vu aussi qu'une douleur vive se manifeste quand on enfonce à une certaine profondeur un instrument tranchant dans ces lobes. Il y a conséquemment encore incertitude sur la question de savoir si les hémisphères cérébraux sont ou ne sont pas sensibles. D'une part, les recherches de Haller et celles de M. Serres tendent à démontrer qu'ils jouissent d'une sensibilité assez prononcée; mais, comme dans les expériences de Haller, les lésions de ces organes s'accompagnaient de convulsions, il est certain que cet illustre physiologiste, en irritant le cerveau, irritait aussi, et à son insu, soit la protubérance annulaire, soit la moelle allongée qui sont sensibles et excitables, de telle sorte que ses résultats ne sauraient être concluants. D'autre part, les expériences de M. Flourens, faites sur un grand nombre d'ani

(1) Recherches expérimentales sur les propriétés et les fonctions du système nerveux, 2o édit., p. 18 et suiv.

(2) Mémoires sur la nature sensible et irritable des parties du corps animal, t. I, p. et suiv. Lausanne, 1756.

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(3) Anatomie comparée du cerveau, t. II, p. 662.

maux et répétées par M. Longet, nous montrent ces hémisphères complétement insensibles à toute espèce d'excitations mécaniques ou chimiques. Dans l'intention de vérifier ce fait sur nos grandes espèces, j'ai mis à découvert le cerveau du cheval sur une assez grande étendue, et après avoir enlevé les méninges au niveau de la région dénudée, j'ai d'abord appliqué sur les circonvolutions un pinceau imprégné d'acide azotique, puis j'ai enfoncé, à plusieurs reprises, soit un stylet, soit un instrument tranchant, sous différentes directions et à une assez grande profondeur, dans la substance cérébrale; j'ai enlevé celle-ci couche par couche sans que l'animal, à aucun moment de cette opération, témoignât la moindre douleur et éprouvât la plus légère convulsion. Jusqu'alors j'étais parfaitement d'accord avec les résultats de M. Flourens; mais ayant réfléchi que les délabrements exécutés pour mettre à découvert le cerveau avaient pu produire un ébranlement dans cet organe et déterminer une douleur suffisante pour masquer la douleur plus faible qui pouvait provenir de l'irritation de sa pulpe, je me contentai de faire au crâne de petites ouvertures à l'aide du trépan : dans ce dernier cas, dès que le cerveau était comprimé avec le doigt, l'animal témoignait par un mouvement brusque une douleur non équivoque; de même, lorsqu'un stylet ou un scalpel était enfoncé à une certaine profondeur dans l'organe, cet animal cherchait à se soustraire à la piqûre. Il en a été ainsi sur un assez grand nombre de chevaux et un âne, à part quelques exceptions dans lesquelles les piqûres n'ont point provoqué de douleur appréciable. Dans la plupart de ces circonstances, les ouvertures du trépan étaient pratiquées assez bas pour que l'instrument destiné à irriter la substance cérébrale ne pût arriver au niveau des pédoncules, des tubercules bigéminés ou du bulbe rachidien dont la Jésion eût évidemment entaché d'erreur toutes ces tentatives.

Si les hémisphères cérébraux sont sensibles, ce qui ne me paraît pas douteux, pour les solipèdes, ils ne sont point excitables, c'est-à-dire qu'ils ne provoquent point, à la suite de leur irritation, de contractions musculaires. C'est là une vérité que M. Flourens a démontrée et sur laquelle tout le monde est d'accord. Je n'ai vu dans aucun cas, ni sur le cheval, ni sur le taureau, les piqûres plus ou moins profondes, la destruction plus ou moins complète, l'ablation couche par couche de leur substance, déterminer la moindre convulsion, et cependant Haller (1) a constaté des mouvements convulsifs souvent très violents à la suite de semblables lésions, sans doute, encore, parce qu'il irritait en même temps que le cerveau des parties éminemment excitables, telles que le mésocéphale et la moelle allongée. Il suffit, en effet, d'exercer une légère traction sur ces dernières, en retirant du crâne la substance des hémisphères, pour qu'aussitôt surviennent des secousses musculaires; mais tant qu'on dilacère ou qu'on détruit celle-ci sans tirailler les parties excitables, l'animal reste dans une immobilité complète.

Pour déterminer le rôle des hémisphères cérébraux, il est nécessaire de les détruire l'un après l'autre ou tous les deux ensemble. Quand on opère cette destruction sur un mammifère ou un oiseau, voici ce qu'on observe, d'après M. Flourens. L'animal continue à vivre pendant un certain temps, se tient encore debout, conserve assez bien son équilibre et la faculté de se mouvoir, mais il est comme assoupi et a perdu

(1) Exp. 136, 137, 138, 139, 140, 142, 143, etc., t. I, p. 200 et suiv.

l'usage de ses sens il ne voit ni n'entend plus; il a perdu la mémoire, l'instinct, l'intelligence, la volonté ; il ne se meut plus spontanément: si on le pousse, il marche, mais il se heurte contre les objets qui l'entourent, sans chercher à les éviter ; si on le met sur le dos, il se relève; si on le frappe, il ne songe point à s'enfuir; s'il est pressé par la faim, il n'a pas même l'idée de prendre la nourriture qu'on lui présente; cependant, si on lui met de l'eau ou des aliments dans la bouche, il les avale. Dans ce singulier état, l'animal peut vivre jusqu'à des mois entiers: M. Flourens a pu même conserver près d'une année une poule privée de ses lobes cérébraux, et M. Longet (1) a vu des pigeons résister de douze à dix-huit jours à une semblable mutilation. Les mammifères seuls périssent bientôt à la suite de l'ablation du cerveau, c'est à peine si le cheval y survit une demi-journée. Mais quelle que soit, du reste, la durée de la vie dans cette circonstance, on remarque que l'animal, bien que plus ou moins affaibli, conserve cependant la faculté de se mouvoir et continue à jouir de la sensibilité générale, tandis qu'il a perdu, ou à peu près, l'usage de ses sens. Sur les deux premiers points tous les observateurs sont d'accord; ils restent en dissidence seulement sur le dernier.

L'action des lobes cérébraux est donc complexe : examinons-la dans ses rapports avec les sensations, les mouvements et les facultés intellectuelles des animaux.

Rôle des hémisphères relativement aux sensations. —Les hémisphères cérébraux sont les parties de l'encéphale chargées de percevoir les impressions produites sur les organes des sens. M. Flourens a constaté que leur destruction complète abolit la vue, l'ouïe et les autres sensations. Néanmoins, suivant MM. Magendie, Bouillaud et Longet, il y aurait encore dans ce cas perception confuse de différentes impressions. Ainsi, les animaux seraient encore sensibles à l'action d'une vive lumière, des pigeons exécuteraient des mouvements brusques lors de la détonation d'une arme à feu, de jeunes chiens rejetteraient la coloquinte introduite dans leur bouche, différents animaux seraient affectés par les odeurs ammoniacales. Il est difficile de trancher nettement la question sur ce point, surtout en ce qui concerne les mammifères chez lesquels la destruction des lobes cérébraux affaiblit à un haut degré la sensibilité générale, et détermine une paralysie qui met les animaux dans l'impossibilité de réagir à la suite des impressions qu'ils pourraient ressentir. Dès qu'un cheval a le cerveau enlevé, il est à peine affecté par de profondes piqûres, ou de grandes incisions à la peau ; le bruit que l'on fait autour de lui ne paraît pas l'émouvoir; la lumière la plus vive ne fait pas varier l'ouverture de la pupille; le doigt porté brusquement vers l'œil ne détermine pas de mouvements des paupières ; l'ammoniaque mise à l'entrée des naseaux n'occasionne ni ébrouement, ni rien qui indique une action sur la pituitaire; des substances amères placées sur la langue ne provoquent, ni dans cet organe, ni dans les mâchoires, le moindre mouvement qu¡ puisse porter à penser que ces substances ont impressionné les papilles gustatives; en un mot, toutes les sensations semblent anéanties. Les mêmes phénomènes s'observent chez les ruminants: une génisse à laquelle j'avais complétement détruit les deux hémisphères cérébraux se tenait encore debout et marchait assez facilement, mais elle se heurtait contre les murs, ne voyait plus les objets qu'on appro

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chait de ses yeux, gardait sans le mâcher le foin qu'on lui mettait dans la bouche et n'était nullement impressionnée par le bruit d'un cor qu'on faisait sonner à ses oreilles. M. Longet a également observé sur des chats et des lapins l'abolition des sensations que M. Flourens a constatée le premier, notamment sur les oiseaux. Une poule que cet habile expérimentateur (1) avait privée de ses lobes cérébraux, et qui vécut plusieurs mois à la suite de cette mutilation, perdit manifestement l'usage de ses sens. Tout d'abord on put s'assurer qu'elle avait cessé de voir et d'entendre ; plus tard, quand elle fut rétablie, il devint facile de constater qu'elle était aussi privée de la gustation et de l'olfaction on la mettait sur un tas de blé, on lui plaçait sa nourriture sous les narines, on lui enfonçait le bec dans le grain, on le lui plongeait dans l'eau, on lui introduisait ses aliments à l'entrée de la bouche; mais elle ne mangeait ni ne buvait, il fallait lui porter le grain jusqu'à l'entrée du pharynx pour qu'il fût avalé, et il l'était alors comme les cailloux que l'on portait au même endroit.

D'après ces résultats, vérifiés un grand nombre de fois, M. Flourens regarde les lobes cérébraux comme le siége des perceptions, comme l'organe qui donne aux sensations une forme distincte et les constitue telles qu'elles doivent être pour laisser une empreinte durable, devenir le principe des idées, et l'excitant des déterminations volontaires. Les faits qui ont été opposés à cette manière de voir ne sauraient l'infirmer la persistance de l'ouïe chez des pigeons n'est pas suffisamment prouvée par les mouvements brusques qu'ils ont exécutés lors de la détonation d'une arine à fcu, ces mouvements ayant pu résulter d'impressions tactiles développées par les vibrations de l'air; celle de l'olfaction ne l'est pas non plus assez par les effets produits par l'ammoniaque, puisque ce composé irritant peut agir aussi bien sur la sensibilité générale de la pituitaire et des brouches que sur la sensibilité olfactive. Si dans d'autres circonstances encore, les sensations, ou quelques unes d'entre elles, ont paru persister, après la destruction des hémisphères, elles étaient confuses, incomplètes, elles avaient perdu leurs caractères habituels, et peut-être ne s'étaientelles conservées que parce que la destruction des hémisphères était incomplète.

La sensibilité générale n'est point abolie par l'ablation des lobes cérébraux : M. Flourens, M. Magendie, M. Longet et d'autres, ont remarqué que les animaux privés de leurs hémisphères étaient encore sensibles aux piqûres et aux diverses excitations, pourvu qu'elles fussent un peu fortes. Cependant cette sensibilité s'affaiblit considérablement, surtout chez les mammifères de grande taille, comme le cheval, par exemple. Cet affaiblissement est tel, que souvent les piqûres d'épingle et même les coups de scalpel donnés dans la peau restent sans effets; il est beaucoup moins prononcé chez les oiseaux, qui se rétablissent après les mutilations de l'encéphale. Les hémisphères cérébraux ont sur les sensations une action croisée comme sur les mouvements. M. Flourens a observé que la destruction de l'un d'eux entraîne la perte de la vue du côté opposé. J'ai constaté sur un âne que cette action croisée existe également pour la sensibilité générale. Après avoir détruit en partie le lobe cérébral droit, j'ai vu que l'animal s'agitait vivement quand on lui frappait l'oreille droite, ou lorsqu'on lui piquait la peau du même côté, tandis qu'il s'agitait à peine

(1) Ouvrage cité, p. 87.

à la suite des coups portés sur l'oreille gauche ou des piqûres faites à gauche en diverses parties du corps. J'avoue cependant que, dans quelques circonstances, il n'y a pas eu de différence bien appréciable entre la sensibilité de l'une des moitiés du corps et celle de la moitié opposće.

Rôle des hémisphères cérébraux relativement aux mouvements. L'action des hémisphères sur les mouvements est assez difficile à bien caractériser elle paraît consister en une irritation qui détermine les mouvements spontanés ou volontaires. On la démontre expérimentalement en détruisant en partie ou en totalité les lobes cérébraux; mais cette destruction ne produit pas les mêmes effets sur toutes les classes d'animaux; en général, elle entraîne une prostration des forces musculaires qui peut aller jusqu'à la paralysie et la perte plus ou moins évidente de la spontanéité dans les actions locomotrices. D'après M. Flourens (1), la poule privée de ses lobes cérébraux se tient encore debout, elle conserve parfaitement l'équilibre, marche quand on l'irrite ou qu'on la pousse; elle cesse de se mouvoir dès qu'on ne l'irrite plus, elle reste dans la situation où on la place; presque toujours elle est plongée dans un assoupissement profond. Si on la réveille, elle ne tarde pas à retomber dans la somnolence; lorsqu'elle en sort spontanément, elle secoue la tête, agite ses plumes, les nettoie quelquefois avec son bec, change de patte pour se reposer; par moments elle marche comme sans motif et sans but, se heurte contre les obstacles qui se trouvent sur son passage, sans chercher à les éviter; en un mot, elle a conservé la faculté d'exécuter ses mouvements habituels, tout en perdant leur spontanéité, c'est-à-dire la faculté de les vouloir. Les reptiles et les poissons conservent également, suivant Desmoulins, l'entier usage de leurs mouvements; ils continuent à nager comme avant l'ablation de leurs lobes cérébraux. Il n'en est point ainsi, à beaucoup près, chez les mammifères : dès qu'on détruit les hémisphères cérébraux à un cheval, il perd l'équilibre et tombe. A peine peut-on même parvenir à enlever les couches superficielles avant que la chute ait lieu. Une fois que l'ablation est achevée, l'affaiblissement musculaire est extrême, l'animal reste étendu sur le côté, avec les membres dans l'extension, le cou et la tête immobiles, la langue pendante hors de la bouche, les lèvres flasques, les paupières baissées, les nascaux à peine dilatés; et cet état, qu'aucune convulsion ne vient troubler, persiste jusqu'au moment de la mort. Si l'on se borne à la destruction partielle d'un seul hémisphère, on peut quelquefois parvenir à conserver l'animal debout pendant un certain temps et juger alors des modifications apportées dans la locomotion: un âne auquel j'avais enlevé la couche superficielle du lobe cérébral droit se tint debout pendant près d'une heure; il penchait un peu à gauche; les membres de ce côté fléchissaient sous le poids du corps et se mouvaient en masse avec difficulté. Abandonné à lui-même, il restait immobile. Dès qu'on venait à l'exciter par des piqûres ou des coups sur les oreilles, il se mettait en marche et marchait très vite; par moments il tournait en cercle du côté opposé à la lésion; en se heurtant contre les murs il tombait; mais on parvenait sans trop de peine à le faire relever. Insensiblement la prostration fit des progrès, et bientôt il ne fut plus possible de le faire marcher sans le soutenir. Sur un autre âne, l'hé

(1) Ouvrage cité, p 87.

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