Page images
PDF
EPUB

perles furent données à un coq : l'une d'elles restait encore dans le jabot au bout de trois heures, mais la seconde était déjà broyée et les fragments en étaient si fins, ajoute l'illustre académicien, qu'on ne put les retrouver, ni dans l'estomac, ni dans l'intestin. Quatre tubes de verre qui pouvaient supporter sans se briser le poids d'un homme, furent, au bout de vingt-quatre heures, trouvés brisés : leurs arêtes avaient disparu, et leurs surfaces, surtout les convexes, avaient été rayées et dépolies. Ces tubes ne s'étaient point fendus, par suite du gonflement des grains qu'ils contenaient, car des tubes semblables, mais vides, furent également brisés. Pour juger de la force de l'estomac, Réaumur fit avaler à un dindon des tubes de ferblanc qui supportaient sans se déformer un poids de 535 livres, et il retrouva ces tubes aplatis et bosselés. Cette puissance énorme du gésier que Borelli avait évaluée à 1350 livres, semble infatigable. Dix-huit noisettes données à un coq furent pulvérisées et complétement digérées en moins de vingt-quatre heures. Vingt-quatre noix avalées par un coq d'Inde furent également digérées pendant la même période. Réaumur fit remarquer que cette trituration, qui est aidée par les graviers contenus dans l'estomac, est indispensable à la digestion des grains, car des grains entiers renfermés dans des tubes percés avalés par les gallinacés, s'y retrouvent intacts au bout de quarante-huit heures, et les grains cuits s'y retrouvent de même après vingt-quatre heures.

Spallanzani, par des recherches analogues, arriva aux mêmes résultats. Des morceaux de verre, enveloppés dans une petite carte et avalés par un coq, perdirent leurs arêtes au bout de vingt heures. Une balle de plomb traversée de douze aiguilles dont les pointes dépassaient fut avalée, sous enveloppe, par un dindon : au bout d'un jour et demi, les aiguilles étaient brisées, et les pointes de deux d'entre elles seulement se trouvaient dans l'estomac dont la face interne ne paraissait nullement blessée, grâce à sa couche épaisse d'épithélium corné. Douze pointes de petites lancettes fixées à une balle de plomb furent données à un animal de la même espèce au bout de seize heures, elles étaient rompues, et trois d'entre elles restaient dans le gésier.

Enfin, Spallanzani démontra que la trituration des aliments opérée par une puissance musculaire si énergique, n'est qu'un moyen de préparer, de faciliter la dissolution de ceux-ci dans le suc gastrique. C'est là une conclusion parfaitement exacte, qu'il serait aujourd'hui superflu d'étayer sur de nouvelles preuves.

La digestion gastrique chez les oiseaux de proie s'opère avec plus de simplicité que chez les oiseaux granivores.

L'oiseau carnassier avale sa proie tout entière, si elle n'est pas trop volumineuse pour s'engager dans son bec et traverser un large œsophage; il la déchire, seulement pour que la déglutition en soit possible, si elle a une masse trop considérable; et avec la chair il avale la peau, les poils, les plumes de la victime. Tout cela descend immédiatement dans l'estomac, car ici le jabot manque, et le ventricule succenturié n'est plus distinct du gésier, dont les parois sont devenues fort minces et entièrement membraneuses. Une fois que l'estomac est distendu, les aliments que l'animal prend s'arrêtent à la partie inférieure de l'œsophage, et ils ne descendent dans le viscère que par suite de la digestion d'une partie des premiers.

Réaumur avait déjà reconnu que la chymification, chez les oiseaux à estomac

membraneux, n'a d'autre agent qu'un dissolvant spécial, car le gésier à parois minces ne possède plus la faculté triturante qu'il avait, à un si haut degré, dans les gallinacés. Ce fluide est sécrété par la couronne glanduleuse si apparente chez le hibou, l'épervier, le butor, la buse, le héron, dont le gésier longitudinal et membraneux se continue sans aucune démarcation avec un très large œsophage. Ayant fait avaler à une buse des tubes percillés et pleins de chair, Réaumur observa qu'au bout de vingt-quatre heures cette substance se trouvait ramollie, gélatineuse et réduite au quart ou au tiers de son volume initial. Ayan! aussi donné à cet oiseau des fragments d'os d'un jeune poulet, renfermés dans un petit tube, il s'assura que leur dissolution s'était opérée en vingt-quatre heures.

Spallanzani, en expérimentant sur des chouettes, des faucons, des ducs et des aigles, vit que le tissu des muscles, des tendons, des cartilages, se dissout très vite dans le suc gastrique. Il remarqua que ces oiseaux vomissent au bout de dix-huit, vingt, et vingt-quatre heures, les parties indigestes qui se trouvent mêlées aux autres, et seulement lorsque celles-ci, complétement dissoutes, ont passé dans l'intestin. Les os de leurs victimes sont rendus aussi par cette sorte de vomissement, car la durée ordinaire de la chymification de la chair est insuffisante pour que leur altération soit bien sensible; néanmoins, ils peuvent se dissoudre s'ils font un séjour assez long dans l'estomac. En effet, un morceau de fémur de pigeon, donné à plusieurs reprises à une chouette, finit par se perciller comme un tube de papier et par disparaître complétement. Une bille d'os de 4 lignes et demie fut réduite dans l'estomac d'un faucon à un diamètre d'une ligne et un tiers au bout de trentecinq jours.

Il est à noter que les substances indigestes se rassemblent en une pelote régulière à la périphérie de laquelle sont les poils, les plumes, et au centre, les os ou les productions cornées très dures. Je les ai vu rendre très molles au bout de seize à vingt heures, à un hibou que je nourrissais avec des souris : j'ai trouvé une de ces pelotes du poids de 26 grammes, dans l'estomac d'une buse qui avait mangé à son dernier repas deux taupes dont la plupart des os étaient reconnaissables.

Cette pelote se forme par un mécanisme extrêmement simple. A mesure que les substances solubles se ramollissent et deviennent diffluentes, elles sont poussées dans l'intestin par les contractions des parois gastriques qui, insensiblement, s'affaissent et se moulent sur les parties réfractaires; celles-ci ne peuvent être entraînées dans l'intestin, car il y a un double pylore dont le dernier est d'une étroitesse extrême, disposition nécessaire pour arrêter même le duvet des oiseaux ou les poils des petits mammifères. Le rétrécissement pylorique que nous avons déjà noté chez les mammifères carnassiers se retrouve ici à son plus haut degré, du moins chez le hibou, l'épervier, le héron, la buse, etc. Il importe d'en tenir compte pour s'expliquer diverses particularités de la digestion des oiseaux carnivores.

Enfin, les actes de la digestion gastrique offrent encore quelques caractères spéciaux chez les oiseaux qui ont ce que Spallanzani appelle un estomac moyen, c'est-àdire un gésier dont les parois tiennent le milieu entre celles du gésier épais des gallinacés et celles du gésier mince et membraneux des rapaces.

Les corneilles, qui doivent être considérées commefformant le type des oiseaux à estomac moyen, ont encore un gésier d'une épaisseur considérable; elles ne peu

vent déformer les tubes qu'aplatit un pigeon, mais elles dépriment légèrement des tubes de plomb très minces; elles vomissent aussi les parties indigestes, mais au bout de deux à trois heures seulement. Les expériences du physiologiste de Pavie ont démontré que la dissolution des aliments ne s'opère que dans l'estomac des corneilles et non pas aussi dans l'œsophage, si ce n'est avec une extrême lenteur.

Les hérons sont placés par Spallanzani dans la même catégorie. Ils pourraient même froisser légèrement des tubes de fer-blanc. Le héron, pourtant, a un estomac aussi mince et aussi complétement membraneux que les oiseaux de proie de nos pays, et je ne vois entre son gésier et celui de la buse aucune différence.

CHAPITRE XXIX.

DE LA DIGESTION INTESTINALE.

Les aliments convertis en chyme sous l'influence du suc gastrique, sont poussés insensiblement et par ondées dans l'intestin. Là ils se mettent en contact avec la bile, le suc pancréatique et divers fluides intestinaux qui leur font subir les modications à la suite desquelles ils donnent aux chylifères et aux veines une partie de leurs principes assimilables destinés à la reconstitution du sang. Enfin ces aliments, dépouillés de la plupart des matériaux nutritifs, sont éliminés après avoir parcouru avec plus ou moins de rapidité tout le trajet du tube intestinal. Ce sont ces dernières opérations qui nous restent à étudier, pour compléter la série des actions digestives.

I. DE LA SÉCRÉTION BILIAIRE.

Le premier des fluides versés sur les aliments parvenus dans l'estomac est la bile, dont les usages, cherchés depuis si longtemps, sont encore peu connus.

L'organe sécréteur de ce fluide paraît représenté chez les animaux inférieurs par de petites cellules diversement colorées et disséminées à la face interne du tube digestif; puis, à un degré plus élevé, par des cellules semblables, mais groupées à l'intérieur de petits tubes ou de petits cœcums, tantôt simples, tantôt ramifiés et ouverts sur le trajet de l'intestin. Il n'apparaît sous la forme de glande conglomérée que chez la plupart des mollusques, et il conserve cette forme dans toutes les classes de vertébrés.

Le foie de ces derniers, toujours très volumineux, est situé en avant de la cavité abdominale, il reçoit le sang d'une artère et celui du système de la veine-porte. La bile qu'il sécrète est versée directement dans l'intestin ou n'y est amenée qu'après avoir séjourné dans un petit réservoir connu sous le nom de vésicule biliaire.

Cette vésicule existe chez tous les carnassiers, la plupart des oiseaux, des poissons et tous les reptiles. Elle manque chez les diverses espèces de solipèdes, chez plusieurs pachydermes, l'éléphant, le rhinocéros, le daman, le tapir, le pécari, le

[merged small][ocr errors]

cerf, le chevreuil, le chameau, le lama, le rat et divers oiseaux, tels que l'autruche, le pigeon, le coucou, le perroquet.

Le canal qui apporte la bile dans l'intestin est ordinairement simple chez les mammifères et multiple chez les oiseaux et un grand nombre de reptiles. Son insertion est, d'après les observations de Cuvier et de M. Duvernoy (1), 'très rapprochée du pylore dans les carnassiers, la plupart des rongeurs, notamment le lièvre et le lapin, plusieurs pachydermes, le porc entre autres et tous les solipèdes. Elle l'est beaucoup moins chez le bœuf, le mouton, la chèvre, le dromadaire, etc. Le canal biliaire s'ouvre dans le duodénum tantôt isolément, tantôt accolé ou confondu avec les conduits pancréatiques. S'il se termine seul, c'est toujours chez les mammifères, au niveau ou en avant des canaux du pancréas, et c'est quelquefois un peu en arrière de ces derniers chez les oiseaux.

La structure intime du foie, que les micrographes nous montrent si compliquée et si difficile à débrouiller, ne doit point nous occuper ici, non plus que la question de savoir si les matériaux nécessaires à la formation de la bile viennent du sang de l'artère hépatique, de celui de la veine-porte ou des deux à la fois. Ces différents points, qu'il faudra examiner plus tard, seront mieux placés dans un autre chapitre. Contentons-nous de déterminer les caractères de la sécrétion biliaire, les propriétés et la composition de son produit, et de rechercher enfin l'action qu'il peut exercer sur les matières alimentaires.

Les caractères de la sécrétion biliaire sont loin d'être déterminés avec précision, soit d'une manière générale, soit en ce qui concerne les divers animaux supérieurs. Leur étude, qu'on aurait pu tenter aisément, a été négligée pour des discussions stériles et des calculs sans base. On est arrivé jusqu'ici sans savoir seulement si la sécrétion biliaire est continue ou intermittente, si elle est plus active pendant la digestion que dans les intervalles de cette fonction, si son produit a constamment les mêmes propriétés et quelle est la quantité de ce dernier chez telle ou telle espèce animale. On ne sait pas même, d'une manière approximative, quelle est la proportion de bile versée dans l'intestin chez un seul animal domestique.

A la vérité, quelques expériences ont été faites dans le but d'arriver à ce résultat; mais elles sont toutes relatives à l'espèce du chien: il n'en est aucune qui ait été tentée sur un autre animal. La plupart de ces expériences, déjà fort anciennes, sont rapportées par Haller, et citées dans presque tous les traités de physiologie. D'abord c'est celle de de Graaf, qui obtint sur le chien 6 drachmes, ou environ 23 grammes, de bile dans l'espace de huit heures; puis celle de Keil, qui recueillit 2 drachmes de ce fluide en une heure sur un animal de la même espèce. Enfin d'autres expérimentateurs en obtinrent jusqu'à 6 onces en vingt-quatre heures. Mais M. Blondlot croit que ce dernier chiffre est trop élevé pour une moyenne, en se basant à ce qu'il n'a obtenu que de 40 à 50 grammes de bile dans la même période. MM. Leuret et Lassaigne (2) assurent qu'on peut évaluer à 2 onces celle que fournit le canal biliaire du cheval dans l'espace d'un quart d'heure, » mais ils ne disent par sur quoi ils fondent leur évaluation.

[ocr errors]

(1) Voyez les Leçons d'anatomie comparée, t. IV, 2o partie, p. 548.
(2) Ouv. cité, p. 83.

Ces résultats diffèrent, comme on le voit, beaucoup les uns des autres, et cela devait être, à cause des différences dans la taille des animaux qui ont servi aux expérimentateurs. On conçoit que si ces derniers avaient tenu à s'entendre ils auraient choisi pour sujet de recherches un animal qui fût, comme le chat, le lapin, toujours à peu près de la même taille. On conçoit également qu'il est fort difficile, à l'aide de données si variables, d'évaluer la quantité de bile sécrétée chez l'homme. Haller, qui avait voulu le faire, en comparant le poids du chien à celui du corps humain, était arrivé à porter le chiffre de la sécrétion à 24 onces en vingt-quatre heures, chiffre qu'on trouve généralement exagéré.

L'expérimentation n'ayant rien appris sur la quantité de bile sécrétée chez les autres animaux, il est entré dans l'idée de certains auteurs de la déterminer par des moyens indirects plus ou moins singuliers. Borelli (1), comparant le diamètre d'une des divisions du canal biliaire avec celui d'une des branches de la veine-porte, évalue à 34 livres la quantité de bile que le foie de l'homme sécrète en vingt-quatre heures M. Schultz (2), déterminant la quantité de ce fluide qui est nécessaire pour neutraliser l'acidité d'une masse donnée de chyme, porte au chiffre énorme de 37 livres et demie le produit qu'un bœuf fournit dans le même temps. Il serait bien superflu d'insister sur l'exagération outrée de ces calculs dont le premier est sans fondement réel, et dont le second repose sur des bases fausses ou incertaines. En effet, pour trouver, d'après le dernier procédé, quelle est la proportion de fluide biliaire nécessaire à la saturation du chyme qui passe dans l'intestin, durant une période de vingt-quatre heures, il faudrait d'abord connaître le poids de ce chyme, puis il faudrait tenir compte de l'intervention du fluide pancréatique et du suc intestinal qui contribuent, pour une grande part, à neutraliser l'acidité des matières qui sortent de l'estomac. On a lieu de s'étonner que des savants fassent encore aujourd'hui de la physiologie comme on en faisait il y a un siècle.

Il est indispensable, pour apprécier le mode suivant lequel s'opère la sécrétion de la bile, les causes qui modifient cette sécrétion, la proportion et les propriétés du fluide qu'elle verse dans l'intestin, de recourir à la voie expérimentale. Les résultats que cette méthode permet d'obtenir établissent nettement les caractères essentiels de la fonction. Voici ceux de mes recherches sur le cheval, l'âne, le bœuf, le mouton, le porc et le chien.

Le procédé opératoire que j'ai mis en usage pour les solipèdes est fort simple, mais il est assez douloureux à cause de l'étendue considérable qu'on est obligé de donner à l'incision des parois abdominales. Lorsque le cheval est couché sur le dos et que les quatre membres sont solidement fixés en l'air, on fait sur la ligne blanche une incision qui part de l'appendice xiphoïde du sternum et se prolonge jusqu'à 30 ou 35 centimètres en avant du pubis. Cette incision étant achevée, un aide repousse en arrière et en dehors de la cavité abdominale la partie antérieure du côlou replié, et il la maintient dans cette situation. Cela fait, l'opérateur pénètre jusqu'à la scissure postérieure du foie, isole le canal hépatique, le plus souvent très gonflé, l'incise légèrement, aussi près que possible de l'intestin, y engage une

(1) Cité par M. Bérard, t, II, p. 324.

(2) Burdach, t. VII, p. 439.

« PreviousContinue »