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est la puissance principale et la plus énergique; mais elle n'est pas la seule qui contribue à l'accomplissement de ce phénomène ; elle s'associe, comme nous l'avons vu, à l'action de l'œsophage et de l'estomac.

Tels paraissent être le mécanisme du vomissement et le rôle des puissances qui concourent à l'accomplissement de cet acte. La nausée est le prodrome de toute la série des phénomènes qui caractérisent la réjection des matières contenues dans l'estomac. A sa suite, se manifestent les contractions violentes des muscles de l'abdomen, du diaphragme et celles de l'estomac. L'animal, en proie à une vive anxiété, fait une forte inspiration, comme dans tous les efforts; sa poitrine se distend, sa glotte se ferme, autant pour prévenir l'affaissement du poumon, que pour mettre obstacle à la chute des aliments dans les voies aériennes, le diaphragme contracté et fortement refoulé en arrière, offre un plan résistant à l'estomac que compriment énergiquement les muscles de l'abdomen; l'encolure s'étend et contribue à l'allongement de l'œsophage ; une certaine quantité d'air est déglutie pour distendre l'estomac, la bouche s'ouvre, le voile du palais se soulève, et le contenu du réservoir gastrique est rejeté avec plus ou moins de rapidité et de violence.

Le vomissement et les actes qui ont quelque analogie avec lui, offrent beaucoup de variétés parmi les divers animaux. De toutes nos espèces, celles qui vomissent le plus aisément sont les carnivores. M. Girard cite l'exemple d'une chienne qui, séparée de ses petits, allait leur dégorger une partie de son repas dès qu'elle l'avait achevé; il pense que d'autres animaux du même ordre peuvent jouir de la même faculté. Le porc vomit avec peine et reste, dit-on, quelquefois longtemps affaibli à la suite de cet acte; les oiseaux effectuent une sorte de réjection plus ou moins analogue au vomissement; le pigeon déverse dans le bec de ses petits un suc mêlé aux aliments du jabot; les oiseaux de proie rejettent par la bouche, sous forme de petites boules, les plumes, les poils et les os des petits animaux qu'ils ont digérés.

II. DU VOMISSEMENT DES SOLIPÈDES.

On sait depuis longtemps que le cheval et les autres solipèdes ne vomissent point ou ne vomissent que dans des circonstances exceptionnelles. Beaucoup d'observateurs ont cherché la cause de cette particularité.

Pour traiter cette question simple, que l'on a peut-être un peu embrouillée, il faut voir quelles sont, chez les solipèdes, les causes qui s'opposent au vomissement, et quelles sont celles qui lui permettent de s'effectuer, ou, en d'autres termes, rechercher pourquoi ces animaux ne vomissent pas habituellement, et pourquoi ils vomissent quelquefois. L'étude isolée de ces deux points est indispensable à la clarté de la démonstration.

Les premiers qui ont voulu s'expliquer l'impossibilité du vomissement du cheval ont cru en voir la cause dans la grande distance qui existe entre l'arrière-bouche et l'estomac, la force de l'hyoïde et la prétendue compression qu'il exercerait sur le pharynx. Mais ce sont là des obstacles imaginaires qu'on ne s'est jamais donné la peine de discuter.

Lamorier (1), dans une dissertation qui n'est pas sans quelque mérite, crut avoir (1) Mémoire où l'on donne les raisons pourquoi les chevaux ne vomissent point (Histoire de l'Académie des sciences, 1733, p. 511 et suiv ).

trouvé ces causes. Il lui vint d'abord à l'idée que le cheval ne vomit point parce qu'il manque de vésicule biliaire, et que les fibres de son estomac paraissent très faibles; mais, ayant vu plus tard que le perroquet vomit, quoique dépourvu de vésicule biliaire, et reconnu que les fibres de l'estomac du cheval sont aussi fortes que celles des autres animaux, il dut chercher ailleurs les obstacles au vomissement. Il prétendit trouver ceux-ci : 1o dans la faiblesse du diaphragme; 2o dans l'éloigne ment de l'estomac des muscles abdominaux ; 3° dans la présence d'une valvule à l'orifice cardiaque de l'œsophage. De ces trois causes, une seule est réelle. Le diaphragme n'est pas plus faible chez le cheval que chez les autres mammifères de sa taille, et s'il peut se rupturer accidentellement, ainsi que Lamorier l'a observé, c'est que le service du cheval exige des efforts violents, qui détermineraient aussi bien le même accident chez les autres. La valvule semi-lunaire de l'orifice cardiaque n'existe pas, et il ne s'en trouve d'aucune autre espèce. Quant à la situation profonde de l'estomac en arrière du foie et des piliers du diaphragme, et à son éloignement des parois inférieures de l'abdomen, qui ne peuvent le comprimer directement, c'est la seule raison acceptable qu'il donne, mais elle est insuffisante.

Bertin (1), quelques années après, réfute Lamorier au sujet de la prétendue valvule de l'orifice cardiaque, et décrit, avec beaucoup de soin, la structure de l'estomac. Il insiste sur la disposition remarquable des fibres musculaires à l'insertion de l'œsophage, fibres qui forment un sphincter dont le ressort est si grand, même après la mort, qu'il ne laisse pas échapper une goutte d'eau, quelle que soit la pression supportée par le viscère. La présence et la structure de ce sphincter est, d'après lui, «la première et principale cause qui empêche les chevaux de vomir. » Il en donne la preuve par cette fameuse expérience faite déjà par Lamorier, et qui consiste à comprimer un estomac détaché et plein d'eau. La prétendue obliquité de l'insertion de l'œsophage, comparable à celle des uretères dans la vessie, la situation profonde de l'estomac ne lui paraissent être que des causes accessoires.

Bertin est dans le vrai lorsqu'il trouve l'obstacle essentiel au vomissement dans le sphincter de l'orifice cardiaque: seulement il se trompe en croyant que l'insertion de l'œsophage est oblique, et en répétant avec Lamorier que le diaphragme du cheval est plus faible que celui des autres animaux.

Bourgelat (2), dans un mémoire d'une assez mince valeur, s'attache à réfuter Lamorier, ce qui était déjà une peine superflue; mais il ne parle ni de Bertin, ni du travail de cet anatomiste. Il indique assez vaguement la disposition des fibres qui ceignent l'orifice cardiaque, comme s'il l'eût notée le premier, et il prétend que l'obstacle au vomissement se trouve surtout dans les plis entassés de la muqueuse à l'insertion de l'œsophage. Il pense que les fibres charnues qui avoisinent le pylore et qui entourent le sac droit du viscère, étant plus faibles que celles du sac gauche, ne peuvent, lors de leurs contractions antipéristaltiques, « comprimer et chasser les matières à évacuer avec un empire supérieur à l'obstacle à vaincre et que présentent les plis entassés de la tunique interne de l'œsophage, leurs efforts fussent-ils secondés

(1) Sur la structure de l'estomac du cheval et sur les causes qui empêchent cet animal de vomir (Histoire de l'Académie des sciences, 1746, p. 23).

(2) Recherches sur les causes de l'impossibilité dans laquelle les chevaux sont de vomir (à la fin du Précis anatomique du corps du cheval, t. II).

de ceux des agents auxiliaires du vomissement. » Bourgelat cite, à l'appui de sa manière de voir, ce qu'il appelle ses expériences, c'est-à-dire l'expérience unique de Lamorier, déjà répétée par Bertin. Il distend, tantôt avec de l'air, tantôt avec de l'eau, un estomac détaché dont le pylore est lié et le cardia libre, et il voit, en le mettant sous une planche, sur laquelle on fait monter un ou deux hommes, que rien ne s'échappe par l'ouverture œsophagienne.

Girard (1), longtemps après les auteurs précités, trouve, comme Bertin, dont il ne parle point, l'obstacle au vomissement: 1° dans la disposition des fibres charnues à l'insertion de l'œsophage et autour de l'orifice cardiaque, fibres qui, selon lui, formeraient deux faisceaux entrecroisés appelés déjà, au temps de Haller, les cravates suisses; 2° dans l'insertion oblique du conduit œsophagien ; 3° enfin dans la situation profonde du viscère, toutes choses déjà indiquées.

M. Flourens (2), dans un travail récent, rappelle les idées et les tentatives anciennes; il décrit avec plus d'exactitude qu'on ne l'avait fait jusqu'alors le sphincter cardiaque, et arrive à cette conclusion que l'obstacle au vomissement, chez le cheval, tient à deux causes: au sphincter de l'orifice supérieur de l'estomac et à la direction oblique de cet orifice; il s'appuie sur les expériences suivantes faites toutes sur l'estomac détaché. Dans la première, qui est l'expérience classique, l'estomac est rempli d'eau et le pylore lié; la plus forte compression ne fait pas sortir une goutte de liquide par l'orifice œsophagien. Dans la seconde, l'estomac est également rempli et le pylore lié; un tube d'un pouce de longueur est engagé dans l'orifice cardiaque, par lequel, cette fois, l'eau s'échappe. Dans la troisième, l'œsophage est complétement retranché, sans que le liquide puisse sortir. Dans la quatrième, la muqueuse de l'orifice, avec tous ses plis, est enlevée, et l'eau ne s'écoule pas davantage. Enfin, le contenu du viscère ne s'échappe pas lorsque, dans une cinquième expérience, les deux faisceaux latéraux du plan musculaire interne sont coupés en travers, le sphincter restant néanmoins intact. Ces résultats prouvent, dit M. Flourens, que l'obstacle au vomissement réside dans l'estomac seul ; qu'il n'est ni dans l'œsophage, ni dans les plis de la muqueuse, mais uniquement dans la présence du sphincter et l'obliquité de l'orifice œsophagien.

D'après tous ces auteurs, l'obstacle au vomissement est donc dans l'estomac ; il tient essentiellement à la constriction de l'orifice cardiaque du viscère, constriction opérée par les faisceaux musculaires qui ceignent l'insertion de l'œsophage; et nous verrons tout à l'heure que cette opinion est bien fondée. On a prétendu, il est vrai, que cet obstacle, au lieu d'être dans la structure du viscère, consistait exclusivement dans le fait de la non-impressionnabilité du système nerveux du cheval à l'action des émétiques. Sans doute les solipèdes ne sont pas aussi sensibles à l'action de l'émétique que les animaux qui vomissent; mais, néanmoins, cette substance ne laisse pas que de déterminer quelquefois sur eux des efforts analogues à ceux du vomis

sement.

Ainsi, dans des expériences que M. Flourens m'avait chargé de faire pour lui, et d'après ses indications, j'ai constaté plusieurs fois des efforts qui n'ont jamais été

(1) Notice sur le vomissement dans les principaux quadrupèdes domestiques (Anatomie vétérinaire, t. II).

(2) Note sur le non-vomissement du cheval (Annales des sciences naturelles). '

suivis de vomissement. Les substances injectées dans les veines étaient l'émétique, le sublimé corrosif, le sulfate de zinc, le principe actif de l'ipécacuanha, le chromate de potasse, le sulfate de cuivre, etc. L'émétique fut donné depuis la dose de 1 gramme jusqu'à celle de 15 à 20 grammes. Bientôt on observait une agitation du flanc, des tremblements musculaires, un peu de salivation, quelques mouvements des mâchoires, des déjections fréquemment renouvelées; quelquefois l'animal portait la tête vers le sol, ouvrait la bouche, éprouvait quelques secousses dans les muscles abdominaux. L'ipécacuanha, infusé à la dose de 40 à 50 grammes, déterminait des effets analogues, avec des différences assez marquées : l'animal, par moments, allongeait le corps, portait les pieds de derrière près de ceux de devant, étendait le cou, baissait la tête, etc. En un mot, les substances qui produisent, chez les autres animaux, des efforts de vomissement, furent injectées depuis les doses qui n'ont pas d'action appréciable, jusqu'à celles qui tuent plus ou moins vite; elles furent administrées à des chevaux qui venaient de manger et de boire, à des sujets dont les nerfs vagues avaient été préalablement coupés, à d'autres dont l'esophage était à découvert. Jamais il n'y eut de vomissement; c'est tout au plus s'il y eut quelquefois des efforts analogues à ceux qui accompagnent cet acte. Toutes ces expériences n'étaient pas trop nombreuses pour qu'on pût bien juger de l'impressionnabilité du cheval à l'action des vomitifs. Cependant M. Gamgée, après avoir administré de 2 à 3 grammes d'émétique à un cheval et à une mule, s'est cru autorisé à déclarer ces animaux insensibles à l'influence de ces agents. Sou observation, en partie vraie, est pourtant pleine de justesse; elle n'avait point été faite

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par les expérimentateurs qui avaient donné l'émétique dans le but de provoquer le vomissement.

S'il était vrai que le cheval ne vomit point parce qu'il ne fait pas d'efforts, il pourrait vomir dès que ceux-ci s'effectuent ou dès qu'une pression exercée sur l'estomac viendrait remplacer celle du diaphragme et des muscles abdominaux. Or, nous verrons que la pression remplaçant les efforts est impuissante à déterminer le vomissement.

Il est facile, en comparant l'estomac du cheval et des autres solipèdes à celui du chien et des carnassiers, de saisir les dispositions qui, chez les premiers, s'opposent au vomissement, et celles qui, chez les seconds, rendent cet acte possible.

L'estomac du chien a son orifice cardiaque très éloigné du pylore et placé presque à l'opposé, vers l'extrémité gauche du viscère; l'œsophage y présente, à sa termi

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naison, des parois minces formant un évasement en infundibulum très dilatable

et peu resserré; de plus, l'ouverture pylorique est fort étroite. Dans l'estomac du cheval, peu différent du premier quant à la forme générale, l'œsophage s'insère très près du pylore, vers le milieu de la petite courbure; ce canal, dont la tunique charnue est d'une épaisseur énorme à partir du niveau de la base du cœur, a des

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fibres nattées les unes avec les autres, et se continuant sur l'estomac, pour former avec celles du viscère le sphincter cardiaque et les cravates des anciens anatomistes; son orifice, maintenu dans une constriction permanente, est fermé en dedans par les plis radiés de la membrane muqueuse. C'est là que se trouve l'obstacle à vaincre lors des efforts du vomissement.

Or, dans cette circonstance, l'estomac des solipèdes peut être comparé à la presse hydraulique. Les aliments, les liquides et les gaz qu'il contient supportent, de la part du diaphragme, des muscles abdominaux, et peut-être même de ses propres parois, une pression plus ou moins forte. Les matières comprimées réagissent sur le réservoir qui les contient, de manière que la pression de dedans en dehors devienne proportionnelle à la surface qui la supporte. Qu'arrive-t-il alors? Chez le chien, l'évasement de l'œsophage ayant une surface très étendue, supporte une pression expansive que ne peut neutraliser la tunique charnue si mince de ce conduit; il cède à l'effort des matières alimentaires et le vomissement s'effectue. Chez le cheval, il n'en est pas de même : l'infundibulum manque, le cardia est fermé et très exactement fermé; son orifice clos n'a pas certainement un centimètre carré

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