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contact l'une avec l'autre. Je placai ainsi trois fils métalliques, le premier près du cardia, le second vers l'orifice supérieur du feuillet, et le troisième à peu près vers le milieu de la longueur du demi-canal, puis je fermai la plaie de la panse. L'animal parut souffrir le premier jour, et refusa toute nourriture; le lendemain, il mangea, et se mit à ruminer dès le troisième jour, et il rumina longtemps. A l'autopsie de ce taureau, qu'on sacrifia peu après, les lèvres de la gouttière furent trouvées en contact, et les fils bien attachés. Je répétai la même expérience sur un autre taureau plus jeune et très vigoureux, et cette fois je plaçai quatre fils, régulièrement espacés, en prenant la précaution de les serrer fortement, et d'obtenir un contact parfait entre les lèvres de la gouttière. Dès le jour même, l'animal, que l'on avait préparé à l'opération par une diète de vingt-quatre heures, commença à manger; il rumina le lendemain et les jours suivants. La rumination ne paraissait nullement gênée. La secousse du flanc, qui coïncide avec le départ des matières de l'estomac vers la bouche, n'était pas plus forte que d'habitude; le temps qui sépare la déglutition d'un bol du retour d'un autre, était sensiblement égal à ce qu'il est dans les circonstances ordinaires; la durée des périodes de la rumination, le nombre des coups de dents pour la mastication mérycique d'une pelote n'étaient nullement modifiés. Les bols envoyés à la bouche avaient leur poids normal (je m'assurai du fait en prenant, dans la cavité buccale, un certain nombre d'entre eux immédiatement après leur arrivée); enfin ceux-ci avaient les caractères accoutumés : leur arrivée à la bouche était suivie de la descente d'une, de deux ou de trois ondées de liquide. Lorsque l'animal fut tué, les fils étaient encore bien attachés, et les lèvres du demi-canal en contact l'une avec l'autre, comme le montre la figure 42, placée en regard de celle qui offre la gouttière à l'état normal, fig. 43.

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Ainsi, dans cette circonstance, les deux lèvres de la gouttière sont attachées en

semble depuis le cardia jusqu'à l'orifice supérieur du feuillet; elles ne peuvent plus s'écarter l'une de l'autre pour saisir les aliments; elles sont mises dans l'impossibilité de les recevoir, à supposer que ce soient les contractions de la panse qui les poussent entre elles; et cependant l'animal rumine parfaitement. Elles ne sont donc pas les agents de la réjection. Enfin, ces deux lèvres forment un canal complet qui permet aux liquides de passer de l'œsophage dans le feuillet et la caillette, et aux aliments ruminés de suivre leur marche ordinaire, car l'état même dans lequel les place l'expérience, a pour effet de les dispenser d'une contraction; aussi l'animal continue-t-il à bien digérer.

Cette expérience, instituée dans le but de voir si le demi-canal œsophagien est l'agent de la réjection, a été faite par la nature elle-même, sous une autre forme, chez les ruminants sans cornes. J'ai trouvé, il y a plus de deux ans, que la gouttière œsophagienne du lama n'a qu'une seule lèvre mince et étroite, disposition qui se reproduit exactement dans le dromadaire.

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FIG. 44. Gouttière œsophagienne du lama..

A. Extrémité inferieure de l'œsophage. -B. Lèvre unique de la gouttière. C. Orifice superieur du feuillet. D. Réseau. E. Cellules aquifères droites. charnu séparant les deux groupes des cellules,

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F. Cellules aquifères antérieures. G. Pilier

Si ce n'est pas la gouttière œsophagienne qui saisit les aliments, les réunit en une petite masse et les conduit dans l'œsophage, comment ces aliments parviennent-ils à s'engager dans ce canal?

Pour concevoir ce qui se passe lors de la réjection, il faut se rappeler que l'orifice cardiaque est situé à peu près entre le rumen et le réseau, et qu'il répond au sac antérieur du rumen où se trouvent des aliments très délayés. Or, lorsque la panse et le réseau se contractent ensemble, car leurs contractions sont simultanées, ils poussent vers l'orifice inférieur de l'œsophage, l'une des aliments très délayés, l'autre des liquides; l'œsophage se relâche et leur offre un dilatation infundibuliforme dans laquelle ils s'engagent; puis, lorsqu'il en a reçu une quantité proportionnée à sa dilatation, il se referme aussitôt et éprouve une contraction antipéristaltique qui les porte de bas en haut vers la cavité buccale.

Les aliments placés en avant du rumen, au voisinage du cardia, et détrempés dans le liquide qui se trouve sur le plancher intermédiaire aux deux étages, sont les premiers à s'engager dans l'œsophage. Ceux des parties postérieures du viscère viennent à leur tour, comme l'indique la direction des petites flèches (fig. 45), se présenter à l'orifice qui doit les recevoir; ils se délaient comme les premiers et se mêlent à leur départ avec les fluides lancés par les contractions du réseau coïncidant avec celles de la panse.

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FIG. 45.

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Coupe verticale longitudinale du rumen et du réseau.

Grande flèche AB, région supérieure.. Grande flèche CD, région moyenne. - Grande flèche EF, région inférieure on des liquides. -GH, petites flèches donnant la direction suivie les aliments qui viennent des parties postérieures de la panse vers le cardia pour être ruminés.

par

Les matières alimentaires ainsi envoyées à la bouche sont molles et délayées dans une forte proportion de liquide qui permet à leur marche ascensionnelle de se faire

avec une extrême rapidité. Dès qu'elles sont arrivées dans la cavité buccale, l'eau qui leur servait de véhicule, devenant inutile, est bientôt déglutie en une, deux ou trois ondées successives que l'on voit passer très distinctement sur le trajet de l'œsophage, et que l'on entend descendre, si l'on vient à appliquer l'oreille sur l'encolure, dans la partie correspondant au canal.

La réjection, pour s'effectuer, réclame à la fois le concours du rumen, celui du diaphragme et des muscles abdominaux. C'est ce qu'avaient pressenti et indiqué les anciens auteurs, Peyer, Duverney, etc., et c'est ce que M. Flourens a parfaitement démontré.

Le rumen, soumis à diverses espèces d'irritations énergiques, se contracte très peu, lorsqu'il est complétement mis à nu et privé, par conséquent, de l'appui que lui donnent les parois abdominales. L'action de l'air, le contact des acides, le pincement, les piqûres, les incisions sur sa tunique charnue, sur sa membrane muqueuse et sur les deux à la fois, ne provoquent que des contractions lentes, à peine appréciables et souvent même insensibles. Mais si on le laisse enveloppé par le péritoine et les aponévroses sous-jacentes à cette séreuse, on voit, d'après M. Flourens, cet estomac se contracter, se dilater, s'agiter presque perpétuellement d'un grand mouvement vermiculaire. Ses contractions sont surtout énergiques au niveau des faisceaux musculaires, ainsi qu'on peut s'en assurer en introduisant la main dans sa cavité.

En promenant le bras dans toutes les parties du réservoir, il est facile de juger des contractions de ses parois; mais, pour cela, il ne faut pas le débarrasser de son contenu, car alors il devient flasque et sans ressort. Le piucement des piliers charnus, leur piqûre, déterminent parfois de légers mouvements, mais souvent ils ne produisent aucun effet perceptible. Le réseau se contracte spontanément et avec force, quand la main est introduite dans sa cavité. Les lèvres de la gouttière œsophagienne paraissent se tendre et se rapprocher un peu, lors de la déglutition des liquides. Pour mettre en jeu leurs fibres charnues, j'ai plusieurs fois, avec les aliments du rumen, formé de petites pelotes que je poussais entre ces lèvres ; mais celles-ci ne se sont point rapprochées ; elles ont conservé leur état intermédiaire à la tension et à la flaccidité; en un mot, elles n'ont pas saisi le bol qui leur était présenté. Le cardia est la partie la plus facile à mettre en mouvement: le doigt qui cherche à y pénétrer se trouve comprimé avec force, et par une série de contractions très rapprochées les unes des autres; les petites pelotes qu'on y pousse sont rejetées avec force dans la panse ou dans le réseau. Cette région est non seulement la plus évidemment contractile du viscère, elle est encore la plus sensible et même la seule qui ait une sensibilité manifeste: le simple contact du doigt y provoque des mouvements énergiques, tandis que la piqûre, la cautérisation, l'incision des parois du rumen en divers points, l'irritation des papilles de la muqueuse, ne donnent pas lieu à la moindre douleur. L'orifice supérieur du feuillet se resserre aussi sur le doigt au moment de la traction exercée sur ses longues papilles.

La section des nerfs pneumo-gastriques paralyse la panse et empêche la rumination de s'opérer. M. Flourens, qui a constaté ce fait, a vu aussi que les animaux ne pouvaient plus ni manger, ni prendre de boissons. Il y a pourtant des exceptions à ce résultat. Une chèvre dont j'ai déjà parlé mangea encore un peu après la section

des deux nerfs. La section d'un seul pneumo-gastrique, que j'ai faite sur un mouton, n'a suspendu la rumination que momentanément.

L'intervention du diaphragme et des muscles abdominaux est indispensable à la réjection. M. Flourens le prouve par les expériences suivantes : 1o Les deux nerfs diaphragmatiques sont coupés à un monton. Après un essoufflement momentané, l'animal reprend du calme, se met à manger, et il rumine dès le lendemain, mais il rumine avec peine, les muscles abdominaux étant obligés d'agir seuls comme auxiliaires de la réjection; 2° sur un autre mouton, la moelle épinière est coupée au niveau de la dernière vertèbre dorsale, afin de paralyser les muscles de l'abdomen. L'animal continue à manger et à ruminer; les muscles abdominaux se contractant encore faiblement. Enfin, sur un troisième, la section de la moelle est faite au niveau de la sixième vertèbre dorsale; cette fois, les muscles abdominaux restent sans action et la rumination ne se fait plus.

Ainsi se trouve déterminé le rôle des diverses parties qui concourent à la réjection.

SV,-Des estomacs où vont les aliments lors de la deuxième déglutition.

Les matières alimentaires qui reviennent à l'estomac, après avoir été soumises à une nouvelle mastication, tombent-elles, comme la première fois, dans le rumen et le réseau, ou bien suivent-elles une autre route pour se rendre dans le feuillet et la caillette? La question est difficile à résoudre, et elle ne peut être résolue sans le secours de l'expérimentation.

Peyer (1) croit que les aliments ruminés reviennent dans le réseau pour la plus grande partie, et qu'il n'en arrive que très peu dans la panse. Duverney est du même sentiment; il dit que les aliments, après la seconde mastication, tombent, partie dans le réseau, partie dans le premier estomac, et il ajoute que le réseau pousse dans le troisième estomac les matières très divisées, et qu'il renvoie à la panse celles qui sont encore grossières pour être soumises à une nouvelle rumination. Haller prétend qu'ils reviennent au rumen. Perrault, Camper et Daubenton, croient qu'ils suivent la gouttière œsophagienne et arrivent directement au feuillet et à la caillette. Enfin, Bourgelat avance que, de ces aliments ruminés, les parties les plus grossières tombent dans le premier estomac, et que les plus fluides suivent la gouttière œsophagienne et arrivent ainsi directement dans le feuillet et la caillette. Ces auteurs se basent, pour dire que les aliments ruminés vont dans tel ou tel réservoir, sur l'apparence et l'état de ces aliments; ils pensent que ceux qui sont mous et très divisés ont été ruminés, et que ceux, au contraire, qui se trouvent grossiers et durs, n'ont pas subi cette opération. Cette apparence bien trompeuse ne peut suffire à distinguer sûrement les substances ruminées de celles qui ne le sont pas.

M. Flourens établit des anus artificiels aux premiers estomacs, de manière à pouvoir engager le doigt dans ceux-ci, et même à voir ce qui se passe dans leur intérieur. Lorsque les animaux ruminaient, le doigt introduit dans l'ouverture de la panse faisait sentir, « mais seulement par moments ou par intervalles, une partie

(1) Ouv. cité, lib. III, cap. I.

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