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voile du palais, se relève mécaniquement et se renverse, d'une manière tout à fait passive, sur l'ouverture de la glotte, car elle n'a pas de muscles qui puissent lui faire opérer ce mouvement. La plupart des auteurs admettent, depuis Galien (1), que ce cartilage est renversé par le bol. Perrault dit cependant que c'est par le mouvement de la base de la langue. Il me semble que ce renversement est dû à trois causes, savoir: 1o l'élévation du voile du palais, dont le bord libre ne peut se soulever sans redresser le cartilage; 2o la résistance opposée par la base de la langue et la fourche hyoïdienne lors de la projection du larynx en avant ; 3° enfin, le mouvement même du larynx qui se porte en quelque sorte sous l'épiglotte en inclinant son ouverture en avant. Toutefois, il ne faut pas s'exagérer l'importance du rôle de ce cartilage dont M. Magendie a pu opérer la résection sans que la déglutition en fût ultérieurement très gênée. M. Longet a seulement constaté qu'alors les liquides pénétraient en partie dans les voies aériennes.

L'occlusion de la glotte est, suivant MM. Magendie et Longet, le principal obstacle à l'introduction des aliments dans le larynx. Elle résulterait, d'après ce dernier physiologiste, plutôt de l'action des muscles constricteurs postérieurs du pharynx que de ceux du larynx, puisqu'elle continue à s'effectuer après la section des récurrents et des laryngés supérieurs. Mais cette occlusion qui a lieu au niveau des cordes vocales ne saurait, comme le fait très bien observer M. Bérard, empêcher l'aliment de s'engager dans la partie du larynx supérieure aux cordes vocales. Il faut donc l'intervention d'autres causes pour prévenir la pénétration des parcelles alimentaires à l'entrée du larynx. Or, celles-ci résident dans la position que cet organe prend en masse, à la base de l'hyoïde et de la langue, ainsi que dans le rapprochement des aryténoïdes.

Il est facile, en faisant une petite ouverture au ligament qui ferme l'échancrure thyroïdienne chez les solipèdes, ou au cartilage thyroïde, ou même au premier cerceau de la trachée chez le bœuf, de reconnaître par le tact les changements qui s'opèrent dans le larynx lors de la deglutition; car alors l'animal, s'il a faim et s'il est altéré, continue à boire et à manger, même dans les moments pendant lesquels le doigt de l'expérimentateur est engagé entre les cordes vocales. A l'aide de ce moyen fort simple, on sent, à l'instant de la déglutition, 1° le larynx se porter en masse vers la base de la langue, entraîné par une action musculaire aussi brusque qu'énergique; 2o les cordes vocales se rapprocher et se mettre en contact l'une avec l'autre; 3" les aryténoïdes s'appliquer exactement l'un contre l'autre et se porter en avant près de la base de l'épiglotte. Lorsqu'on porte au fond de la bouche une racine ou un tubercule de pomme de terre, la projection du larynx en avant, le rapprochement des cordes vocales et des aryténoïdes s'effectue, avant même que le corps étranger ait pénétré dans l'arrière-bouche. On produit aussi tous ces effets en irritant légèrement avec le doigt la muqueuse laryngienne; mais il est rare qu'on provoque en même temps la toux, qui devient d'habitude si vive dès qu'une parcelle alimentaire s'est engagée dans le larynx. Enfin, si on fait chez le bœuf, une ouverture à l'œsophage, près de son extrémité supérieure, on sent très bien, à l'in

(1) Pline, avant Galien, avait dit que l'épiglotte se renversait sur l'orifice supérieur de » l'apre artère. » (Histoire naturelle, liv. XI, p. 495.)

stant de la déglutition, et à chaque mouvement semblable à celui qui accompagne le deuxième temps de cet acte, l'épiglotte se renverser sur l'orifice supérieur du larynx. De plus, on constate que l'orifice supérieur de l'œsophage se rapproche très sensiblement et par un mouvement brusque de l'isthme du gosier, dernier effet qui diminue de beaucoup la distance qui sépare la bouche du conduit œsophagien.

Le bol alimentaire passe plus ou moins facilement de la bouche dans le pharynx, et de celui-ci à l'entrée de l'œsophage, suivant l'état dans lequel il se présente et les conditions anatomiques des parties. Chez les solipèdes dont l'isthme du gosier est fort étroit, il passe difficilement, pour peu qu'il soit volumineux; chez les ruminants, au contraire, où cet isthme est large, il passe aisément : jamais on ne voit les racines et les tubercules souvent énormes que ces animaux avalent parfois, s'arrêter ailleurs que dans les régions cervicale ou thoracique de l'œsophage. Mais souvent les morceaux de chair s'arrêtent dans le pharynx des porcs qui vivent de débris cadavériques, et j'ai observé plusieurs fois le même accident sur un hérisson à demi apprivoisé dans nos salles d'anatomie.

Le passage des matières alimentaires de la bouche à l'entrée de l'œsophage, est facilité, du reste, par la présence de mucosités abondantes versées par les follicules muqueux de la base de la langue, les amygdales, la couche glanduleuse du voile du palais et les glandules de la membrane interne du pharynx. Quelquefois, la quantité de ces matières devient énorme, comme chez le dromadaire, où l'appendice du voile du palais et la poche pharyngienne sont très glanduleuses, et chez le porc où l'arrièrebouche offre un diverticulum analogue à celui du chameau.

Les mouvements par lesquels s'opèrent les deux premiers temps de la déglutition sont très rapides et en quelque sorte spasmodiques; cela devait être afin que la respiration ne fût pas longtemps suspendue. Ces mouvements, en partie soumis à l'influence de la volonté, s'exécutent presque d'une manière instinctive et automatique comme une infinité d'autres. Dès que l'aliment est parvenu dans le larynx, il est soustrait complétement à cette influence et continue de poursuivre sa route vers l'estomac.

Au troisième temps de la déglutition, l'aliment s'engage dans l'œsophage, parcourt toute l'étendue de ce canal et arrive dans l'estomac. Le bol, formé de parcelles plus ou moins divisées, mais réunies et enveloppées par des mucosités, marche avec une lenteur très remarquable; il descend, poussé par la contraction successive des fibres circulaires du conduit, accompagnée d'une tension très forte dans le sens de la longueur, tension qui devient fort sensible à la vue et au toucher chez le cheval et le bœuf. Dès qu'il a pénétré dans la partie supérieure de l'œsophage, les fibres qui sont au-dessus et autour de lui, se resserrent et le poussent à un point plus infé rieur dont les fibres se contractent à leur tour, et ainsi de suite. On voit très bien à travers la peau ce bol descendre, surtout chez le cheval et les animaux qui ruminent; on le voit aussi quelquefois s'arrêter vers le milieu de l'encolure, notamment lorsque l'animal se presse pour manger, ou lorsqu'après la section des canaux parotidiens, les aliments ne sont pas suffisamment imprégnés. Dans ces deux cas, le bol demeure souvent arrêté un quart de seconde ou une demi-seconde, et il ne reprend sa marche qu'à l'instant de l'arrivée d'un autre bol. Enfin, lorsque l'œsophage est paralysé par suite de la ligature ou de la section des nerfs vagues,

le conduit s'engoue, sur une partie ou dans la totalité de sa longueur, l'animal est menacé d'asphyxie, et les liquides qu'il boit ne pouvant descendre dans l'estoinac, reviennent par les cavités nasales. Du reste, les bols trop volumineux s'arrêtent souvent, soit dans la région cervicale, soit dans la région thoracique de ce conduit alors, la salive déglutie pendant l'abstinence, ne pouvant suivre son cours normal, une partie de ce fluide tombe dans la trachée et une autre s'échappe en longues traînées filantes par la bouche et les narines.

La rapidité de la descente des matières alimentaires dans l'œsophage varie, du reste, beaucoup suivant leur état et le degré d'expansibilité ou de dilatabilité du conduit. Les liquides y passent avec une grande vitesse; les bols de fourrage y progressent lentement, chez le cheval et même chez les ruminants; ces bols sont petits chez les solipèdes qui ont ce canal très étroit et peu dilatable, et bien plus volumineux chez les ruminants et les carnassiers où il est très large. L'épaisseur de la membrane charnue et la structure de la muqueuse influent aussi sur la rapidité de la progression des aliments. La première tunique, formée, non par des fibres longitudinales et des fibres circulaires, mais bien par des fibres disposées en spires plus ou moins allongées, est rouge dans toute sa longueur, et d'une épaisseur uniforme chez le porc, les carnassiers et les ruminants, tandis qu'elle devient chez les solipèdes, à partir du cœur, blanchâtre, résistante et très épaisse. Cependant, elle ne change pas de nature dans cette dernière partie, bien que M. Magendie (1) prétende qu'elle ne soit point là, contractile à la manière des muscles, et que l'irritation des nerfs de la huitième paire et le galvanisme la laissent immobile. La membrane muqueuse, blanchâtre, peu vasculaire, recouverte d'un épithélium épais est lâchement unie à la précédente, en dedans de laquelle elle peut glisser; elle offre à sa face adhérente, chez certains animaux, le porc et le dromadaire, par exemple, des glandules mucipares assez nombreuses : celles-ci sont énormes et très serrées chez ce dernier où la muqueuse ne joue plus sur la tunique charnue, comme dans les autres animaux; elles versent sur les matières alimentaires des mucosités qui facilitent la déglutition œsophagienne.

L'œsophage, doué d'une sensibilité obscure, est faiblement impressionné par le contact de l'aliment qui le parcourt. Cependant il devient le siége d'une douleur assez vive quand un bol trop volumineux, un corps irrégulier, passent dans son intérieur. Néanmoins, dans les expériences, on peut inciser ses tuniques et appliquer des acides à leur surface sans que l'animal paraisse en souffrir; la traction qu'on exerce sur lui est seule douloureuse, sans doute par l'effet qu'elle détermine sur les nerfs accolés au canal: sa contractilité, de même que sa sensibilité, paraît dépendre des filets que lui donnent les nerfs pneumo-gastriques, car la section de ceux-ci paralyse le canal et le rend à peu près incapable de pousser les matières alimentaires jusque dans l'estomac.

La déglutition des liquides se fait, à peu de chose près, comme celle des solides. Lorsqu'elle s'opère, le voile du palais est moins soulevé qu'à l'instant du passage des aliments; l'épiglotte est renversée sur la glotte, le larynx en masse est projeté en avant, les aryténoïdes sont attirés, par la contraction des thyro-aryténoïdiens,

(1) Ouv. cité, 4o édit., t. II, p. 18.

vers la base de l'épiglotte; ils s'appliquent l'un contre l'autre et les cordes vocales se touchent; enfin l'orifice supérieur de l'œsophage se rapproche de l'isthme du gosier pour raccourcir le trajet pharyngien des liquides. Ceux-ci, d'après M. Longet, suivraient les deux petites rigoles qui se trouvent sur les côtés de l'orifice supérieur du larynx. Il me semble qu'ils doivent plutôt passer en masse par-dessus l'orifice laryngien incliné en avant et bien fermé, car ils n'y passent point d'une manière continue, mais bien par ondées se succédant très rapidement et dans les intervalles desquelles la glotte s'ouvre pour donner passage à l'air inspiré ou expiré.

Pour peu qu'on étudie avec attention le jeu du larynx dans cette circonstance, on voit que cet organe éprouve à chaque ondée un déplacement total et une série de changements partiels, semblables à ceux qui s'opèrent lors de la déglutition d'un bol, puis il revient à son état normal, et ainsi de suite. Ces changements se font avec une extrême rapidité; car le cheval, lorsqu'il boit, aspire de 65 à 90 ondées par minute, suivant qu'il est plus ou moins pressé par la soif, et, à chacune, il déglutit de 150 à 250 grammes de liquide.

La rapidité de la déglutition et ses divers caractères varient beaucoup suivant les animaux, la nature et l'état des substances dont ils se nourrissent. Le cheval qui mange du foin déglutit jusqu'à 30 bols en un quart d'heure, lorsqu'il est pressé par la faim, et de 10 à 12 seulement quand il mange sans appétit. Ils se succèdent à des intervalles irréguliers de 20 à 30 secondes au commencement du repas, puis à des intervalles de 40 à 45 secondes; enfin ils arrivent à ne passer que toutes les 70, 80, 90 secondes, et même toutes les deux minutes. Leur poids est, en moyenne, de 50 à 100 grammes. Lors de la deglutition des liquides, le cheval agite les oreilles et les porte en avant à chaque ondée qu'il avale; en même temps, il rapproche à chaque fois la mâchoire inférieure de la supérieure; les masséters se tendent et se rident sous la peau de la joue; l'œil lui-même exécute une série de légers mouvements dans l'orbite. Plusieurs ruminants, le cerf entre autres, n'agitent presque pas leurs oreilles en buvant ou les agitent inégalement. Le lion, en lappant, rapproche les mâchoires à chaque coup de langue et fait ainsi une ondée à chaque fois que cet organe projette dans la bouche une petite quantité de liquide.

La déglutition est lente, en général, chez les oiseaux qui ont un œsophage à parois minces, bien que très dilatables; elle s'accompagne de secousses vives de la tête et même de tout le corps chez les rapaces; elle est d'une extrême lenteur chez les reptiles qui font parvenir dans leur estomac, sans la diviser, une proie souvent plus grande que l'ouverture de leur gueule.

CHAPITRE XXVI.

DE LA RUMINATION.

Chez la plupart des animaux les aliments arrivent dans l'estomac assez divisés pour qu'ils puissent être immédiatement digérés; chez quelques uns ils n'y par viennent qu'imparfaitement triturés et dans des conditions telles qu'ils ne peuvent

être chymifiés; alors il faut que leur division s'effectue dans l'estomac même, ou qu'ils reviennent à la bouche éprouver une seconde fois l'action de l'appareil masticateur. Dans le premier cas, l'estomac est extrêmement fort et organisé pour broyer, comme cela se voit chez les oiseaux granivores et certains crustacés; dans le second, il se passe un phénomène fort remarquable, connu sous le nom de rumination.

Par cet acte particulier à certains herbivores polygastriques, les matières alimentaires parvenues à l'estomac, sans avoir été suffisamment broyées, sont ramenées à la bouche où elles subissent une nouvelle mastication, après laquelle elles sont dégluties de nouveau et digérées. Il diffère essentiellement, par son but et son mécanisme, du vomissement, auquel on a voulu le comparer. Le vomissement est un acte ordinairement involontaire, presque morbide, qui se produit dans l'indigestion, s'effectue irrégulièrement, convulsivement et pour débarrasser l'estomac des aliments qui ne peuvent être chymifiés; la rumination, au contraire, est un acte en partie volontaire, tout à fait normal et physiologique, qui s'opère régulièrement, sans convulsion, et qui ramène à la bouche, lors de la digestion, des matières destinées à revenir ensuite à l'estomac. L'analogie que l'on a cru trouver entre ces deux phénomènes est fort, vague; aussi, les auteurs qui l'ont défendue, ont-ils été réfutés depuis longtemps par la plupart des physiologistes.

La rumination a quelquefois été désignée sous les noms de déglutition renversée, de déglutition antipéristaltiqne, de réjection; mais ces expressions, ne spécifiant qu'un des actes dont elle se compose, ne sauraient remplacer la qualification qu'on lui donne généralement.

1. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LA RUMINATION.

L'acte si remarquable de la rumination a fixé à toutes les époques l'attention des observateurs. Moïse (1) en fit un caractère pour distinguer les animaux dont les Hébreux pouvaient se nourrir. Aristote (2) indiqua les quatre réservoirs de l'estomac des ruminants et exposa quelques détails sur le phénomène dont nous parlons. Galien reproduisit les quelques notions vagues données par le père de l'histoire naturelle. Parmi les modernes, Aldrovande rappela les idées des anciens; Fabrice d'Acquapendente, qui écrivit un livre sur les variétés de l'estomac, rapporta plusieurs exemples de mérycisme dans l'espèce humaine; Faber, médecin italien, fit connaître un des usages de la gouttière œsophagienne, à laquelle il donna le nom de voie lactée; Perrault décrivit sommairement, mais avec exactitude, l'estomac des ruminants, et émit l'idée que la gouttière œsophagienne était destinée à saisir les aliments qui devaient être renvoyés à la bouche; Peyer, Duverney, Haller, Buffon, Camper, Daubenton, Bourgelat, Chabert, Brugnone, Girard, Toggia traitèrent, d'une manière plus ou moins abstraite, des conditions, des causes et du mécanisme de la rumination. Enfin, de nos jours, M. Flourens, abandonnant la voie dans laquelle avaient erré tant d'auteurs célèbres, est venu apporter sur la question,

(1) Lévitique, ch. xi, v. 3 et 4.

(1) Histoire des animaux, liv. II, p. 96; liv. IX, p. 645, etc.

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