Page images
PDF
EPUB

PHYSIOLOGIE

COMPARÉE

DES ANIMAUX DOMESTIQUES.

INTRODUCTION.

La physiologie est la science de l'organisme, la science de la vie. D'après le sens étymologique de son nom, elle serait la science de la nature. Mais cette acception si vague et si vaste à la fois ne lui a jamais été donnée; aussi ne voit-on pas la nécessité de substituer au terme généralement adopté celui de biologie, quoique la signification plus précise de celui-ci se rapporte mieux à l'objet de la science: les mots ont leur histoire, leur passé, leur gloire, qu'importe leur acception étymologique dont on ne s'inquiète guère quand l'usage leur a donné celle qu'ils doivent avoir.

Cette science est immense elle comprend l'étude de la vie sous toutes ses formes, dans toutes ses manifestations parmi les êtres organisés; elle embrasse les opérations les plus mystérieuses et les plus difficiles à saisir qui s'effectuent dans la nature. Elle est toute d'observation, d'expérience, d'analyse, de calcul. Si elle est évidemment supérieure aux sciences physiques par l'immensité de son champ, la difficulté de son étude, l'essence de ses phénomènes, le caractère de ses lois, elle cède le pas à ces dernières en ce qu'elle ne saurait offrir actuellement la même précision, mais elle n'en a pas moins ses méthodes, ses doctrines et sa certitude. qui deviendront un jour et qui sont déjà sur quelques points aussi rigoureuses que les méthodes, les théories et les lois dans les sciences physiques et mathématiques. La physiologie est, venons-nous de dire, la science de l'organisme, la science de la vie essayons de donner une idée de l'organisation animale et de son mode d'activité.

3 I.

· De l'organisation en général, de ses formes et de ses lois.

L'être vivant est une machine qui se meut d'elle-même, car elle a en soi tout ce qui est nécessaire à son jeu ou à son mouvement.

Cette machine se présente sous une infinité de formes plus ou moins compliquées.

Mais si simple qu'elle soit, elle se compose d'un certain nombre de rouages, de ressorts ou d'instruments connus sous la dénomination d'organes; d'où le nom d'organisation donné à leur ensemble.

L'idée d'organisation implique l'idée de vie; l'une ne se conçoit pas sans l'autre, et il y a entre les deux choses qu'elles expriment ou qu'elles représentent une liaison tellement intime et réciproque, qu'il est bien difficile de découvrir si l'une est la cause ou l'effet de l'autre.

Pour se faire une idée exacte d'une machine quelconque, il faut connaître les rouages dont elle se compose, savoir comment ils sont agencés les uns par rapport aux autres, enfin comment ces rouages fonctionnent isolément ou collectivement. Or, pour cela, il faut qu'elle soit démontée; il faut ensuite qu'elle soit reconstruite. Son étude comporte donc un examen d'analyse, un examen de synthèse et enfin un examen dynamique ou des forces qui la mettent en mouvement.

C'est par l'anatomie et la physiologie qu'on arrive à se faire cette idée en ce qui concerne les machines vivantes. Mais celle que nous avons à examiner se présente sous une infinité de formes; faudra-t-il l'envisager réduite à sa plus simple expression, ou bien la considérer dans son maximum de complications, alors qu'elle résulte d'un nombre presque infini de rouages et de ressorts? Evidemment il sera d'autant plus facile de comprendre les principes d'après lesquels elle est construite et de saisir le mécanisme de son jeu qu'elle sera plus simplifiée. Il faudra donc, tout d'abord, considérer l'être vivant sous ses formes les plus élémentaires, c'est-à-dire, pour parler le langage ordinaire, l'être imparfait, l'être des degrés inférieurs de l'échelle.

Or cet être imparfait, inférieur, presque informe, homogène, vit comme l'être. parfait, complexe, hétérogène : il naît de parents semblables à lui, se nourrit, s'accroît, se reproduit et meurt; il sent, il se meut, digère, absorbe, sécrète, et cependant on ne voit pas encore en lui d'organes spéciaux propres à l'exécution de ces différents actes. Il sent, quoique dépourvu de système nerveux; il se meut sans appareil musculaire, il respire sans poumons, digère sans estomac ni intestin, absorbe sans vaisseaux absorbants, sécrète sans glandes. N'est-ce pas là ce qu'il y a de plus étonnant dans la nature vivante? Et c'est un être aussi merveilleux qu'on appelle imparfait et inférieur!

A la vérité, quand on l'examine de près, on lui trouve tous les éléments nécessaires à la sécrétion, au mouvement, à la nutrition, à la reproduction. Il n'y a pas en lui de système nerveux, mais il y a des globules blancs disséminés, des fibres sensitives éparpillées dans le parenchyme des tissus; il n'y a pas de muscles, mais des fibres contractiles dispersées en tiennent lieu; il n'y a pas d'estomac, pas d'intestin, pas de poumon, mais la surface extérieure du corps peut absorber et digérer; il n'y a pas de cœur ni de vaisseaux, mais il y a des espaces, des trajets, que peuvent parcourir les liquides. A ce degré néanmoins tout est confondu, tout est homogène : c'est le chaos de la matière vivante. Bientôt ce chaos sera débrouillé, le parenchyme, la masse homogène sera démêlée. Une main créatrice séparera ces éléments confondus et en façonnera mille instruments qui auront chacun leur place déterminée, leurs rapports, leur rôle particulier : l'élément nerveux s'isolera de l'élément contractile ; la peau se distinguera de la muqueuse; l'intestin, du poumon;

le vaisseau, de la glande, etc. Ainsi graduellement, successivement, se montreront ces admirables complications qui caractérisent les divers types d'êtres vivants.

Le perfectionnement ou la complication de l'organisation animale consiste donc dans la séparation des éléments, la formation des organes et la spécialisation de plus en plus grande de leurs fonctions. Ainsi, dans le principe, lorsque la cavité digestive apparaît (déjà Erhenberg l'a vue chez plusieurs infusoires), elle sert à la respiration en même temps qu'à la digestion; bientôt la cavité qui digère se sépare de celle qui respire; la première se partage même en plusieurs fractions dont l'une élabore les aliments, tandis qu'une autre absorbe leurs principes assimilables, et qu'une troisième élimine leur résidu. En suivant dans ce sens chaque système, chaque appareil, chaque organe, on voit s'effectuer des animaux inférieurs vers les supérieurs cet isolement, cette spécialisation qui deviennent de plus en plus marqués. C'est en cela que se résume le principe d'après lequel se perfectionne la machine animale. En effet, un instrument quelconque remplit d'autant mieux son but qu'il est façonné plus exclusivement pour une seule destination, au lieu que s'il doit servir en même temps ou successivement à divers usages, il est moins bien approprié à chacun d'eux en particulier : la dent qui coupe la chair, qui déchire une proie, n'est point convenablement disposée pour moudre du grain ou broyer des herbes.

La machine vivante, envisagée sous ce point de vue, ressemble à un atelier où d'abord tout est fait par le même ouvrier, puis par une infinité d'ouvriers différents, ayant chacun des attributions bien déterminées et plus ou moins circonscrites (1).

Mais faudra-t-il regarder comme imparfaite, inférieure, celle qui se trouvera ainsi simplifiée? Ce n'est point mon opinion; celle-là, au contraire, sera bien plus étonnante, bien plus admirable, que la machine la plus com liquée. Je prends un exemple très simple, pour mieux me faire comprendre. Lorsque je considère l'horloge qui marque les secondes, les minutes, les jours, les semaines, les mois, les années, les phases de la lune, etc., je suis émerveillé. Mais aussi quel appareil compliqué de rouages, de cadrans, d'aiguilles, pour donner toutes ces indications! La complication de l'instrument explique la complication de son jeu. Si cependant je voyais une autre horloge marquer tout cela avec un seul rouage, un seul cadran, une seule aiguille, combien ne serais-je pas plus surpris, combien cette nouvelle machine me paraîtrait plus étonnante que la première? Eh bien, il en est de même de l'animal inférieur comparé à l'animal supérieur.

Quel que soit son rang dans l'échelle, quelle que soit son organisation, tout être vivant se compose de deux sortes d'éléments: les uns solides, les autres liquides. Les premiers sont disposés sous forme de globules, de fibres, de lamelles, qui, par leur réunion, constituent des pièces résistantes, des enveloppes, des réservoirs, des canaux destinés à contenir, à protéger les parties fluides disséminées ellesmêmes dans la trame de toutes les parties solides. Ces éléments, en s'associant

(1) Galien avait déjà comparé l'économie vivante à l'atelier de Vulcain, dont tous les instruments agissant d'eux-mêmes venaient spontanément se placer sous la main du dieu. (Adelon.)

suivant un certain ordre, donnent lieu à la formation des divers tissus avec lesquels sont fabriqués les organes. Ainsi de cette association résultent le foie qui sécrète la bile, le cœur qui donne l'impulsion au sang, le poumon qui hématose le fluide nourricier altéré, l'estomac qui digère, etc. Différents organes concourant à la même fonction donnent lieu par leur ensemble à ce qu'on appelle un appareil: la bouche, le pharynx, l'œsophage, l'estomac, l'intestin et plusieurs glandes composent l'appareil digestif; les cavités nasales, le larynx, la trachée, les poumons, l'appareil de la respiration.

Lorsqu'on s'en tient à des généralités, l'organisation des êtres vivants paraît essentiellement la même. La plante est au fond constituée d'après les mêmes principes que l'animal; seulement, comme la vie de l'un doit différer beaucoup de la vie de l'autre, il y a entre ces deux êtres des dissemblances organiques capitales que nous ne rappellerons point ici, et qui, d'ailleurs, sont connues de tous ceux qui ont un peu étudié les sciences naturelles nos considérations ne vont donc s'appliquer qu'au règne animal.

Et d'abord, tous les animaux sont-ils organisés d'après un même plan perfectionné graduellement, du plus simple au plus compliqué? ou bien sont-ils construits suivant plusieurs plans ou types distincts? C'est là une première question d'anatomie transcendante qui a été résolue dans plusieurs sens par les plus savants naturalistes modernes.

Depuis les temps les plus anciens jusqu'à nos jours d'habiles observateurs. ont été frappés de l'analogie qui existe entre les différentes espèces animales: Aristote, Buffon, Camper, Vicq d'Azyr, ont entrevu et développé, du moins en partie, le principe de l'unité de composition organique si savamment défendu par Geoffroy-Saint-Hilaire. D'après ce principe, envisagé dans le sens le plus étendu, tous les animaux seraient organisés suivant le même modèle, c'est-à-dire suivant un type constant, invariable: ce qui existe chez l'un devrait se retrouver chez tous les autres avec quelques variantes de forme ou de développement; en un mot il y aurait dans tous un nombre égal de parties essentielles disposées dans le même ordre. Ce système, d'ailleurs fort séduisant, mais facile à battre en brèche, at eu pour adversaire Cuvier qui a soutenu, avec l'autorité du génie et de la science des détails, que l'uniformité du plan dans la création des animaux n'est qu'une fiction, et, en mille endroits de ses ouvrages il s'est attaché à démontrer la pluralité des types d'organisation: ses idées sont aujourd'hui partagées par la plupart des naturalistes. Il y a bien, il est vrai, entre tous les animaux une certaine ressemblance de structure, mais cette ressemblance ne va pas loin et se trouve fondée encore plus sur les fonctions que sur les organes: passé cela, les dissemblances apparaissent. « Le polype qui n'a pas un seul organe distinct, dont l'estomac n'est qu'une simple cavité creusée dans la substance commune et homogène de son corps, le polype n'a pas la structure du mollusque, lequel a des organes des sens, des yeux, des oreilles, un système nerveux, une circulation complète, des artères, des veines, plusieurs cœurs, des glandes sécrétoires, etc. De même celui-ci n'a pas la structure du vertébré (1). » Du reste, il n'est pas nécessaire, pour se convaincre que les animaux

[ocr errors]

(1) M. Flourens, Histoire des travaux de Cuvier, 2 édit., p. 273.

ne sont pas construits d'après le même plan, d'examiner comparativement tous leurs appareils organiques. Il suffit d'en considérer quelques uns et les plus essentiels. Que l'on compare le système nerveux de l'animal rayonné avec celui du vertébré, le système de ces deux types avec celui des types intermédiaires, et l'on verra, du premier coup d'œil, qu'ils n'ont point la même forme. Qu'y a-t-il de commun entre la couronne de ganglions placée autour de la bouche de l'astérie et le cerveau, la moelle épinière du poisson ou du mammifère? Il n'y a pas analogie de forme, il n'y a pas davantage analogie de situation : le système nerveux est autour de la bouche dans l'astérie, il est sous l'appareil digestif dans l'articulé; il est au-dessus de cet appareil dans le vertébré. Une comparaison générale des autres appareils, des autres organes, conduit au même résultat, c'est-à-dire à la négation de l'uniformité du plan de composition organique. Ainsi, il n'y a pas dans tous les animaux même nombre de parties, même forme, même structure, mêmes rapports de ces diverses parties.

S'il y a pluralité des types dans l'organisation animale, combien y en a-t-il et quels sont leurs caractères? Cuvier en admet quatre: 1° celui des rayonnés; 2o celui des articulés; 3° celui des mollusques; 4° enfin celui des vertébrés.

Les vertébrés sont les animaux les plus parfaits. Ils ont un système nerveux composé d'un cerveau et d'une moelle épinière renfermée dans une enveloppe solide et de nerfs disséminés dans toutes les parties. Ils ont un squelette intérieur articulé, osseux ou cartilagineux, un cœur, une double circulation, des organes des sens, des sexes séparés.

Les mollusques n'ont point de squelette. Ils possèdent un système nerveux placé en grande partie au-dessous de l'appareil digestif et dépourvu de moelle épinière. Ils manquent de grand sympathique, et souvent de plusieurs organes des sens. Mais ils ont encore une double circulation, des organes respiratoires et des glandes.

Les articulés ont un système nerveux formé de deux séries de renflements ganglionnaires réunis par des filets intermédiaires. Ces renflements, à l'exception du premier, sont situés au-dessous du canal digestif. Leur corps symétrique est divisé en segments transversaux. Ils sont souvent recouverts de pièces solides, articulées, qui constituent une sorte de squelette extérieur. Ils ont des organes de circulation, de respiration et de sécrétion beaucoup plus simples que les précédents.

Les rayonnés ont un corps dont toutes les parties sont disposées symétriquement autour d'un point central, un système nerveux très simple, souvent peu distinct. Ils manquent de cœur et de circulation complète. Ils ont des organes de respiration, de sécrétion à l'état rudimentaire. En un mot, toute leur organisation offre la plus grande simplicité et la plus grande confusion, du moins en apparence.

Bien que les êtres qui entrent dans ces quatre embranchements aient une organisation qui va, en se simplifiant, du plus parfait vers le plus inférieur, ils ne paraissent cependant pas susceptibles d'être disposés sur une même ligne, une même série, de manière à former une chaîne non interrompue. Dès l'instant qu'ils ne sont pas construits d'après un même plan qui irait graduellement en se perfectionnant, ils ne peuvent être mis les uns à la suite des autres; les êtres d'un embranchement ne se lient à ceux de l'embranchement voisin par aucun intermédiaire, et l'on ne voit pas de modification profonde à chaque point extrême pour

« PreviousContinue »