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PRÉFACE

DU TRADUCTEUR.

Une circonstance qui prouve éloquemment combien peu de progrès réels a faits chez nous l'étude d'une des plus belles littératures de l'Orient, c'est le petit nombre des travaux sérieux tentés pour faire connaître au public français le principal ouvrage du plus grand poëte moraliste de la Perse. Tandis que les Anglais possèdent au moins quatre traductions du Gulistan, et que les Allemands en comptent aussi plusieurs, nous ne pouvons citer qu'une seule version complète de ce livre faite sur l'original, et encore le format peu commode (l'in-4°) que l'auteur a cru devoir adopter, joint au système de traduction, beaucoup trop littéral, qu'il a suivi et par lequel il a été conduit, ainsi qu'il l'a reconnu lui-même, à n'écrire le plus souvent que du français persan (1), a été cause que ce travail, d'ailleurs estimable à plusieurs titres, n'a pas obtenu tout le succès d'utilité et de curiosité auquel il semblait appelé. L'auteur de la

(1) Gulistan ou le Parterre de Fleurs, traduit littéralement par M. Sémelet. Paris, 1834, p. 27, note.

plus récente version anglaise (1), M. Eastwick, s'est gardé avec soin de ce double écueil grâce à l'esprit d'entreprise et au goût de son éditeur, il a fait de son livre une véritable merveille d'élégance typographique, jusque-là sans précédents, et que l'on a puadmirer à l'Exposition universelle de 1855. Tout, dans l'exécution matérielle de ce volume, mérite des éloges le papier, les caractères, les encadrements, qui ne sont ni trop lourds ni trop compliqués, les illustrations en or et en couleur empruntées à de beaux manuscrits orientaux et reproduites avec un rare bonheur; et enfin, la couverture cartonnée, ornée d'arabesques et portant sur les plats le titre du livre en lettres d'or. M. Eastwick ne s'est pas borné à ces soins pour ainsi dire accessoires, il a fait de sa traduction une œuvre littéraire et s'est même imposé la tâche difficile de rendre en vers les vers très-nombreux dispersés dans l'original. Il est seulement à regretter que les scrupules qui, dans son édition du texte publiée en 1850, l'avaient porté à mutiler l'ouvrage de Sadi, l'aient déterminé à introduire les mêmes coupures dans sa version. On s'explique toutefois mieux de pareilles suppressions dans le second cas que dans le premier; car, l'étude de la langue persane n'étant pas abordée chez les Européens par des enfants, il ne saurait y avoir aucun incon

(1) The Gulistan, or Rose Garden of shekh Muslihu'ddin Sadi, of Shiraz. Hertford, printed and published by Stephen Austin, 1852, in-8°.

vénient à laisser entre les mains des élèves des textes qui, à tout bien considérer, ne sont pas plus dangereux pour la morale que les Bucoliques, Anacréon, Horace et Martial.

Sadi aborde quelquefois un sujet très-scabreux, celui de l'amour antiphysique; mais, si le fond chez lui est parfois immoral, l'expression reste le plus souvent chaste. D'ailleurs, c'est là un côté, le plus laid, il est vrai, des mœurs orientales, et l'historien, comme le philosophe, est bien obligé d'y arrêter un instant ses regards. M. Eastwick nous paraît donc en avoir usé un peu trop cavalièrement avec son auteur en supprimant, dans le chapitre V du Gulistan, dix historiettes sur vingt et une que renferme en tout ce chapitre, et en faisant plusieurs coupures dans les autres chapitres. Voici en quels termes sommaires il a prévenu le public de ces suppressions : « Quelques histoires plus conformes au goût oriental qu'à celui des Européens ont été omises. » D'ailleurs, M. Eastwick s'est permis d'autres retranchements sans daigner en avertir le lecteur, et sans qu'on puisse en apercevoir le motif. C'est ainsi que, dans le chapitre VIII, on rencontre trois vers qui sont complétement omis dans les deux publications du savant Anglais (1), et dont on peut voir ci-dessous la traduction (2).

Mais en voilà assez sur les travaux de mes deux

(1) Page 217 du texte, et page 293 de la traduction.

(2) Page 337, 338.

principaux devanciers, français et anglais. Je ne prétends pas donner un examen complet des nombreuses publications dont le Gulistan a été l'objet jusqu'ici. Cette tâche a d'ailleurs été accomplie pour la période antérieure à l'année 1825 par Silvestre de Sacy (1) et par M. Sémelet (2), qui a seulement eu tort de confondre la traduction de Du Ryer avec l'extrait, beaucoup moins complet et sans aucune valeur, publié pour la première fois en 1704, sous le voile de l'anonyme, par d'Alègre, et réimprimé en 1714 et en 1737.

Je vais maintenant faire connaître, autant que l'insuffisance des documents biographiques orientaux me le permettra, la vie si longue et si bien remplie de Sadi. Pour cette étude ma principale source serà le recueil des œuvres de l'écrivain lui-même, et surtout son Bostân, qui n'a encore été traduit ni dans notre langue ni en anglais, mais dont je compte donner quelque jour une version conçue sur le même plan que le présent ouvrage.

Vers le milieu du sixième siècle de l'hégire (douzième de notre ère), la province de Fâris, ou, comme on l'appelle actuellement, Farsistân (la Perside des anciens), vit s'élever sur les débris de la puissance des sultans seldjoukides de l'Irân, une dynastie de princes d'origine turcomane, qui sont désignés par

(1) Article SAADI, dans la Biographie universelle, t. XXXIX, p. 402, 403.

(2) Préface, p. 3-6.

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