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devant son ouvrage. Cette légende est l'histoire de la majeure partie des philosophes; ils avaient, dans leur cabinet, imaginé des utopies que peut-être ils croyaient irréalisables: < Mais les mots sont des choses, et une goutte d'encre tombant, comme la rosée, sur une idée, la féconde et produit ce qui fait penser des milliers et peut-être des millions d'hommes. '»

Saint-Lambert se mit à l'écart de la révolution ; il se retira dans la vallée de Montmorency, à Eaubonne, où il ne fit point parler de lui tant que dura la terreur: il n'était pas de taille à prendre un rôle dans les événements qui alors remuaient l'Europe. Une fois la tourmente apaisée, Saint-Lambert revint aux idées dont il avait pu contempler les terribles résultats, il publia son Catéchisme universel. Ce livre n'obtint aucun succès, et à ce sujet M. Lacretelle a raconté la petite anecdote suivante : < Le pauvre vieillard fut terrassé, mais son amour-propre lui suggéra la ressource la plus bizarre ou plutôt la plus folle. Comme dans son Catéchisme il avait fait une satire plus amère que piquante des femmes, sans faire même une exception pour celle qui lui rendait tant de soins et tant de culte, il s'imagina que les femmes de sa société avaient fait le complot d'étouffer son ouvrage en achetant toute l'édition à son libraire, sous la condition qu'il n'en serait livré qu'un petit nombre d'exemplaires au public. »

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En 1800, Lucien Bonaparte étant parvenu à reformer l'académie française, Saint-Lambert revint y siéger paisiblement, et son premier acte fut d'empêcher que l'on y reçût Bernardin de Saint-Pierre'. L'école sceptique obtint encore un triomphe : le jury institué par Napoléon pour adjuger les prix décennaux exhuma le Catéchisme universel pour lui donner le prix de morale! « Le Catéchisme de SaintLambert, dit M. Villemain, c'était, au commencemeut du XIXe siècle, le dernier résultat, le résidu, le caput mortuum d'une théorie philosophique qui avait été si puissante. »

Saint-Lambert mourut dans un état d'imbécillité le 9 février 1805, chez Mme d'Houdetot avec laquelle il vivait depuis si longtemps. Une grande harmonie avait presque toujours régné entre la femme, le mari et l'amant; on raconte cependant que le jour où Mme d'Houdetot eut la cinquantaine, le sage d'Eaubonne, comme disait Marmontel, et M. d'Houdetot, devenus septuagénaires, s'avisèrent pour la première fois d'être jaloux l'un de l'autre, et exécutèrent une scène digne des Cassandres du vieux théâtre italien.

Outre les ouvrages que nous avons cités, SaintLambert écrivit divers articles dans l'Encyclopédie,

Mémoires de Morellet.

2 Dans les Mélanges tirés d'une petite bibliothèque, M. Nodier cite deux lettres d'amour, l'une de Saint-Lambert, l'autre de Bernardin de Saint-Pierre; les deux écrivains s'y peignent d'une manière bien différente.

publia le poème du Bonheur d'Helvétius, et donna des poésies fugitives à différents recueils.

Saint-Lambert, sur la fin de sa vie, dut concevoir quelques doutes sur la validité des passeports à l'immortalité que lui avait délivrés Voltaire; il vécut assez longtemps pour prévoir la ruine prochaine de son école. Une révolution littéraire suivit de près la révolution politique, mais elle s'opéra en sens inverse; la littérature philosophique se perdit par ses résultats, la cause s'anéantit dans l'effet'. Il se fit une réaction violente contre les encyclopédistes. M. de Châteaubriand, le Génie du Christianisme à la main, se mit à la tête du mouvement. J.-M. Chenier et Ginguené luttèrent contre lui, et le mirent en vain au ban de l'académie, où la muse du xvIe siècle devait bientôt expirer.

On bannissait Châteaubriand, comme on bannissait Napoléon au retour de l'île d'Elbe, et chaque pas que faisait le conquérant littéraire était un succès; son armée se grossissait de jour en jour, tan

Ici et ailleurs, où il est fait également allusion aux encyclopédistes, on n'a pas prétendu leur attribuer exclusivement la Révolution. Elle avait ses germes plus loin dans le passé; on les y trouve avant les scandales de la régence et du règne de Louis XV; mais cette révolution qui aurait pu, en s'arrêtant à propos, s'opérer par de vastes réformes, qui aurait dû frapper les abus et non les têtes, les philosophes la rendirent hideuse et féroce par les principes démoralisateurs qu'ils avaient secoués sur la nation. Un homme d'état anglais a dit que les Français avaient traversé la liberté, s'ils ne s'y sont pas arrêtés, la faute n'en est-elle réellement aux encyclopédistes?

dis que celle de ses adversaires s'affaiblissait sous des généraux inhabiles. L'instant n'était pas éloigné où les chefs de la faction philosophique allaient s'endormir sur leurs trònes académiques, pour y attendre, à l'exemple des sénateurs romains, l'invasion de ce qu'ils appelaient des barbares.

Comme tous les partis vainqueurs, l'école triomphante se livra à de blâmables excès; elle devint terroriste, elle poursuivit de sa haine les grands écrivains du siècle de Louis XIV, elle secoua le joug de raison que ses chefs cherchaient à lui imposer; les mots de classique et de romantique, désignations vides de sens, furent répétées avec plus d'acharnement que ne l'avaient jadis été les dénominations d'Armagnac et de Bourguignon. Aujourd'hui tout s'est calmé la nouvelle école arrivée à son âge mûr n'a pas, il est vrai, tenu toutes les promesses de son enfance si pleine de sève, mais elle a su s'arrêter à son 89, et la liberté a été conquise; c'est assez pour qu'on pardonne les erreurs d'une première efferves

cence.

Nous avons entendu raconter par M. de Lamartine qu'un jeune homme depuis il s'est fait avantageusement connaître dans la littérature et a pris des idées plus saines-disait qu'il concevait toutes les horreurs de la révolution par la haine qu'il portait à ce misérable Racine.

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LES femmes douées d'une imagination vive, faciles à émouvoir, apercevant dans la vie de petits détails qui nous échappent, se faisant des chagrins et des joies d'incidents qui, pour nous, restent inaperçus, les femmes doivent tout naturellement se plaire aux productions romanesques et y réussir. L'existence telle qu'elle est, n'est pas celle qu'avec leurs douces illusions elles se sont imaginé trouver; l'idéal se brise vite, mais loin d'en considérer, comme nous, les débris avec un désenchantement amer, elles se plaisent à les réunir, à les transporter dans une vie qu'elles se créent à côté de la vie réelle, dans une espèce de rêve qui les console de la vérité, où elles dirigent les épisodes selon leurs caprices et dans

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