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ces derniers, tels que Bertrand de Born, Peyrols, etc., écrivirent avec verve, et souvent adressèrent aux princes et aux rois de durs reproches. Mais ne voulant m'occuper ici que de la poésie française, ce n'est ni aux Provençaux, ni à quelques auteurs qui composèrent, comme Adalbéron', des poèmes satiriques en latin, que je dois demander des citations, la langue d'oil seule m'en fournira

Adalbéron, sacré évêque de Laon en 977, fit un poème satirique de 430 vers hexamètres et le dédia au roi Robert. Ce poème a été imprimé en 1665. 1 vol. in-8°. Paris, Dupuis.

2

« Le couronnement du roi d'Arles, Boson, en 879, partagea la France romane en deux nations, qui demeurèrent quatre siècles rivales et indépendantes. Les invasions des barbares, la misère des peuples, les guerres civiles et tous les malheurs qui en sont la suite, avaient détruit la langue latine et corrompu l'allemand. La division de la France en deux monarchies établit une semblable division dans le langage des deux peuples. Ceux du midi de la Loire se nommèrent Romans provençaux, et ceux qui habitaient au nord de la même rivière ajoutèrent au nom de Romans qu'ils prenaient, celui de Welches ou Wallons que leur donnaient leurs voisins. On nomme encore le Provençal langue d'oc et le Wallon langue d'oil, d'après le mot qui exprimait le signe affirmatif ou dans l'un et l'autre dialecte; de même que l'on appelait alors l'italien la langue de si, et l'allemand la langue de ya *. Après trois siècles d'existence, la langue des troubadours s'éteignit par une nouvelle corruption, et parce qu'elle ne fit aucun progrès. Le roman wallon que les trouvères employaient, se conserva, se perfectionna peu à peu, et c'est de ce dialecte qu'est venu le français.» (Littérature du midi de l'Europe, par M. de Sismondi, tome Ier, p. 259.) · Remarquons-le, il paraîtrait, d'après un passage du de Vulgari Eloquio de Dante, p. 105 de l'édition Pasquali, que les Allemands autrefois disaient

yo.

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Je viens de le dire, cette langue, au x1° siècle, ne compta que peu d'ouvrages satiriques. Parmi eux on remarque cependant un sirvente dans lequel Richard Coeur-de-Lion reproche au dauphin d'Auvergne et au comte Gui d'avoir pris le parti de PhilippeAuguste. Selon le roi d'Angleterre, ces deux seigneurs sont sans foi et sans courage. Ils l'ont abandonné, parce qu'ils ont craint de n'être pas assez bien payés de leurs services. Du reste, ils pourront s'en repentir, car les Français sont trompeurs:

Mais nos cal avoir regart

Que Franssois son longobart.

J'ai parlé tout à l'heure d'ouvrages de longue haleine inspirés par l'esprit satirique, un des plus remarquables est le Roman du Renard, entrepris au commencement du XIIe siècle par Perrin de SaintCloot, et continué ensuite par divers poètes au nombre desquels on place Rutebœuf. Le succès de ce poème burlesque fut tel, que plusieurs hauts dignitaires du clergé en firent peindre les principales scènes dans leurs demeures. Un auteur du temps le

Par le mot sirvente ou servantois, on a parfois désigné des compositions satiriques; mais généralement le sirvente était un chant composé en l'honneur de quelqu'un, une demande respectueuse adressée soit à Dieu, soit à des hommes, pour en obtenir une grâce. (Voyez le Glossaire de Roquefort.)

2 Ce roman, qui se compose d'environ trente mille vers, ne fut terminé qu'en 1339.

leur a reproché dans des vers dont voici la traduction :

<< Ils sont moins pressés de mettre l'image de Notre-Dame dans les églises, que de faire peindre dans leurs chambres le loup, sa femme et le Renard » 1.

Et cependant dans ce roman étrange, les prêtres n'étaient pas bien traités, pas mieux que les seigneurs, pas mieux que les rois.

Après avoir longtemps excité la verve des trouvères, le Renard, lors des démêlés de Philippe-leBel avec Boniface VIII, vint servir la vengeance royale, en paraissant dans une parade qui fut représentée à Paris l'an 1313. On voyait l'astucieux animal médecin, chirurgien, clerc, évêque, archevêque, puis pape, et toujours il dévorait des poules et des poussins, allégorie qui, selon Sainte-Foix, signifiait les exactions de Boniface VIII.

Un moine bénédictin, Guyot de Provins, mérite aussi d'être cité comme poète satirique, pour un livre qu'il appela Bible, parce que, suivant lui, il ne contenait des vérités. Mais de tous les ouvrages que du XIIe siècle, celui qui jouit du plus de réputation est le

En leurs moustiers ne font pas fere
Sitost l'image Notre-Dame,
Comme font Isangrin et sa fame,
En leurs chambres, et de Renart.
Vie des Pères, manusc.

Roman de la Rose' par Guillaume de Lorris et Jean de Meung. Le Roman de la Rose fut entouré au moyenâge d'une célébrité presque égale à celle qu'acquit le poème de Dante. Attaqué par les uns, défendu par les autres, lu, admiré, cité, commenté, le livre de Jean de Meung fut longtemps pour notre littérature ce qne la Divine Comédie est restée pour la littérature italienne, un livre par excellence. C'est là sans doute la seule ressemblance réelle qui existe entre ces deux œuvres, toutefois on pourrait découvrir, dans la seconde comme dans la première, les traces d'un même goût. La chevalerie commence à perdre de son éclat, les trouvères se taisent, la poésie moins naïve a pris une robe de docteur, elle connaît le trivium et le quadrivium, elle a lu Aristote, Virgile, Orose, son auteur favori, elle tient à montrer sa science, à n'être pas trop aisément comprise par le vulgaire, elle aime les subtilités scholastiques, les personnifications d'idées abstraites. En Italie les personnages des Cent nouvelles antiques n'ont plus leur ancienne popularité, on s'occupe moins d'Iseult que de Béatrice, dans laquelle on croit ne reconnaître qu'une fiction allégorique, que la théologie. Le monde moral s'anime et vit. Les vertus, les vices, revêtent des formes matérielles et consti

Nous plaçons le Roman de la Rose au nombre des ouvrages qui parurent dans le xin siècle, bien que, comme le Roman du Renard, il n'ait été terminé qu'au xiv.

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tuent une nouvelle mythologie. La droiture tempérance et la générosité ne sont plus des qualités abstraites, impalpables, invisibles, ce sont trois nobles femmes, trois proscrites qui ne savent où aller; comme on vient à la maison d'un ami, elles viennent au cœur de Dante, et l'amour qui habite ce cœur les accueille favorablement. En France, Bel Accueil, Franchise, ont remplacé Tristan et Renaud; on oublie un peu Ganélon et Maugis pour Faux - Semblant et Male-Bouche, qui empêchent l'Amant de cueillir la rose objet de ses vœux. Cette rose elle-même n'est plus, au dire de quelques-uns, une allégorie grossière; selon tel commentateur, elle signifie le grand œuvre, ce rêve des alchimistes; selon tel autre, elle a un sens anagogique et rivalise avec Béatrice.

Comme dans la Divine Comédie, la satire est fréquente dans le Roman de la Rose, surtout dans la partie écrite par Jean de Meung. Guillaume de Lorris n'avait voulu que composer un livre d'agrément, qu'imiter l'Art d'aimer d'Ovide, et comme on l'a découvert depuis peu', il avait terminé son ouvrage. Jean de Meung en supprima les derniers vers et y fit une longue suite, dans laquelle il semble n'avoir eu d'autre but que de satiriser son temps. Ce ne fut pas seulement contre les femmes, qui se plaignirent avec raison du Roman de la Rose, que le poète

1 N° 7 du Bulletin du Bibliophile, publié par Techner.

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