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L'honneur est un vieux saint que l'on ne chôme plus.
Riche vilain vaut mieux que pauvre gentilhomme.
Quand l'argent est mêlé l'on ne peut reconnaître
Celui du serviteur d'avec celui du maître.

Le monde est un brelan où tout est confondu,
Tel pense avoir gagné qui souvent a perdu....

un sens clair et précis comme celui de Molière, une inspiration facile, un peu cavalière dans son allure, voilà ce qu'on trouve dans Regnier, c'est-àdire dans un grand poète. Regnier est un de ces hommes qui réfléchissent leur temps. En lisant ses satires on vit sous Henri IV ou au commencement du règne de Louis XIII. Toutes les anecdotes de Tallemant des Réaux reviennent à la mémoire, on serait tenté d'aller faire admirer sur la place Royale ses haut-de-chausses chargés de rubans et de dentelles. On est transporté au milieu des personnages et des mœurs d'alors.

Ces mœurs étaient telles qu'il ne faut pas demander à Regnier ces grandes pensées morales toujours dominantes dans Juvénal et dans Perse. Ces deux satiriques s'étaient montrés plus ennemis des vices que des ridicules; chez Regnier, c'est le contraire : un fâcheux, un pédant, un mauvais diner, lui dictent des vers pleins d'énergie, d'originalité, et l'animent d'une colère qui dormirait, s'il s'agissait de la dépravation de son époque. Il ne pouvait du reste s'ériger en censeur de cette dépravation, l'homme qui, usé par les débauches, mourait à trente-huit

ans, et n'avait songé à cette mort si pressée de le saisir, que pour se faire une insouciante épitaphe:

J'ai vescu sans nul pensement,

Me laissant aller doucement
A la bonne loy naturelle,
Et si m'estonne fort pourquoi
La mort osa songer à moi

Qui ne songcay jamais à elle.

C'est avec l'esprit qui a dicté ces vers que Regnier a écrit toutes ses satires, et c'est cet esprit que je lui reprocherai, bien plus que les rimes cyniques dont parle Boileau. Une langue s'altère, un mot innocent d'abord peut devenir obscène, mais des principes dépravateurs dans un temps le sont toujours. Regnier a pu, sans être blamable, employer des expressions aujourd'hui réprouvées, mais il a été coupable lorsqu'il s'est enorgueilli de ses vices'.

Pendant que la satire sérieuse venait ainsi de renaître, une autre espèce de satire résonnait au milieu des orgies, dans les tavernes fréquentées par les sieurs Berthelot, de Sigogne, Motin, Regnier, et le marquis de Racan, qui ne se contenta pas toujours de chanter Philis, les bergers et les bois. Deux petits volumes fort rares intitulés : Le Cabinet satyrique, ou Recueil parfait des vers piquants et gaillards de ce temps, renferment ces poésies de mauvais lieux. Une courte citation donnera une idée du style ignoble de cette collection :

Ce n'est point des galands de France,
Que j'écris ici les combats,
Laissons le mousquet et la lance,

Boileau fut le digne successeur de Regnier qu'il proclame le poète français qui avant Molière a le mieux connu les mœurs et le caractère des hommes. Boileau n'a pas toutes les qualités de son illustre devancier. Il n'a ni sa verve ni son abandon. Je n'essaierai pas d'ailleurs de définir le talent de ce poète; trop déprécié par M. Ste.-Beuve, trop exalté par M. Nisard, c'est un de ces génies dont le nom souléve une foule de questions et met en mouvement toute notre histoire littéraire. Je me bornerai à répéter ici ce qu'a dit Dussaulx :

« Quel dommage qu'avec tant de lettres, de goût

Moines bourrus dont on se moque,

A Paris l'effroi des enfants,
Esprits bourbeux, je vous invoque,
Animez l'ardeur que je sens,
Afin que j'écrive de crotte

Un duel sur un cuir de botte.

Le culte de M. Nisard pour Boileau est du fanatisme. Il veut que Boileau soit infaillible, que la postérité ait consacré tous ses jugements; puis prévoyant que l'on pourra lui citer Quinault, il ajoute : «Ne sait-on pas que les épigrammes de Boileau portaient sur cer>> taines tragédies de ce poète dont le succès troubla la vieillesse de » Corneille. » (Histoire de la Litt. franç. t. 11, p. 340.) Non, on ne sait pas cela, car on se rappelle les vers de Boileau:

Et tous ces lieux communs de morale lubrique

Que Lully réchauffa des feux de sa musique.

C'est donc bien des opéras de Quinault qu'il s'agit. Il n'est pas question de ses tragédies. Il y a quelques erreurs de ce genre dans les OEuvres de M. Nisard; ailleurs il fait un seul et même poète de Melin et d'Octavien de St.-Gelais.

et de talent, Boileau n'ait pas été doué d'un cœur plus sensible, d'un esprit plus philosophique; qu'il se soit à peu près contenté d'apprécier les écrits, de guider les auteurs! qu'il n'ait puisé dans Horace que l'art de louer les grands, afin de pouvoir aussi chagriner impunément ses rivaux! Quel dommage que Juvénal, qu'il ne cessa d'étudier, n'ait pas agrandi la sphère de ses idées, ne lui ait pas inspiré ce goût moral qui, seul, est capable de produire des beautés du premier genre, des beautés dont l'effet est universel et durable. » Dussaulx, Discours sur les Satiriques latins.)

Notre second poète comique, Regnard s'est aussi essayé dans le genre satirique: nous avons de lui une Satire contre les Maris et le Tombeau de M. B. D. Outre ces deux pièces, dont la dernière ne renferme que de plates invectives contre Boileau, Regnard a composé plusieurs épîtres assez faibles de style et d'idées.

Si je n'avais pris l'engagement de ne plus m'occuper que de la satire proprement dite, je parlerais encore ici d'un auteur comique, de Boursault, qui, sous le titre de la Muse enjouée, fit paraître tous les huit jours une gazette en vers, très-spirituelle et très-mordante. Un trait violent décoché à Guillaume d'Orange, avec lequel on pensait alors traiter, fit donner au poète l'ordre de cesser ses publications. Voltaire qui mit de la satire dans tous ses ouvrages, se montra, chose singulière, très- inférieur dans la

véritable satire; il y fut médiocre sous le rapport lit-téraire, et, comme on devait s'y attendre, détestable sous le rapport moral. Il la regarda comme un cadre où l'on pouvait enchâsser des personnalités grossières, des maximes pernicieuses, des paradoxes étranges: c'est après avoir été témoin des turpitudes de la régence, c'est sous le règne de Louis XV qu'il s'écrie:

O le bon temps que ce siècle de fer!

Terminant ici cette esquisse bien incomplète, il ne me reste plus qu'à examiner si, parmi les écrivains dont il a été parlé, il en est un qui ait compris. sa mission. La satire doit se proposer le perfectionnement de la société, et pour arriver à ce but, il faut que tantôt elle fasse rire les hommes de leurs travers , que tantôt elle mette le vice au pilori, et le livre à l'animadversion et au mépris des gens de bien. « Le premier devoir de l'historien, dit Tacite, est de ne pas oublier la vertu, et de donner aux paroles et aux actions criminelles la crainte de l'infamie et de la postérité. » Cette définition de l'histoire est aussi celle de la satire, et de tous les poètes que j'ai cités, aucun n'a, je le crois, entièrement compris la grandeur du rôle qu'il choisissait; mais il va venir un jeune homme qui saura à quoi engage le génie; il ne dira pas, lui : O le bon temps que ce siècle de fer!

parce qu'il prévoira que ce siècle de fer mène à un

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