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PHILIPPE DE VIGNEULLE.

Metz entourée de coteaux riants, de terres fertiles que parcourent la Seille et la Moselle, assise au confluent de ces deux rivières, ayant dans l'une d'elles un de ces chemins qui, suivant l'expression de Pascal, marchent et portent où l'on veut aller, un chemin qui, entre les délicieux paysages qu'Ausone essaya de décrire, va gagner le Rhin, Metz dut à sa position d'être pour les Romains un agréable séjour, une cité importante, et au moyen-âge une forte ville libre. Elle a conservé comme quelques souvenirs de son passé ces rues droites devenant tout à coup tortueuses, ces sombres maisons accolant leurs faites crénelées à de neuves et élégantes corniches, ces groupes de masures résistant à l'envahissement des

quais, ces places garnies d'arcades ogivales, tout cela rappelle l'ancienne république; mais ce reste du moyen-âge qui se débat çà et là contre le goût moderne, qui recule devant les magasins à riches étalages et se retire vers les quartiers hauts de la ville; ce reste du moyen-âge, traqué par l'alignement, cessera bientôt de donner à Metz un aspect original. Lorsque l'équerre et le badigeon se seront promenés partout, on saura encore néanmoins où retrouver la vieille cité, où la retrouver avec ses abbayes, ses fêtes, ses guerres, ses mœurs, toute son existence d'autrefois, depuis les petites nouvelles, les petits scandales du jour jusqu'aux troubles qui l'agitèrent, jusqu'aux événements qui menacèrent sa liberté. Et ces troubles, ces événements furent nombreux, variés. Metz vivant de sa propre vie, exposée à la convoitise de puissants voisins, a une histoire animée, dramatique presqu'autant que l'histoire d'une république italienne. Chose étrange! sa constitution même rappelle celle de Florence au moyenâge, et chacune des deux républiques finit par un homme de la même trempe. Strozzi se tue après avoir écrit ce vers de Virgile, ce souhait qui ne fut pas exaucé :

Exoriare aliquis nostris ex ossibus ultor,

Androuin Roucel ne veut pas survivre à l'indépendance de sa patrie, et a, dit-on, recours au poignard. Malheureusement si l'on voulait comparer l'état

littéraire de Metz à celui de Florence, on ne pourrait plus signaler entre les deux cités cette analogie qui peut-être existe pour leur histoire politique. Metz n'eut pas ce que Florence eut tant, elle fut privée de ces écrivains éminents dont le génie illumine le passé, poétise d'un vif reflet les événements des temps anciens et attire tous les regards sur une contrée. Dans ce lointain où Florence voit briller l'un des plus grands hommes du moyen-âge, Dante, c'est à peine si Metz distingue Gauthier, l'auteur oublié de l'Image du monde. Au lieu de Boccace et de Villani, elle a seulement Philippe de Vigneulle. Chez lui point d'étude, point d'art; en écrivant ses nouvelles, il n'impose point de règles à une langue indécise et vacillante, il ne fait pas une œuvre vraiment littéraire, il n'est pas un grand prosateur comme Boccace, il est tout simplement un conteur quelquefois spirituel et le plus souvent grossier. Il n'est pas historien comme Villani. Il ne cherche à calquer ni Tacite, ni Salluste, ni Tite - Live, il n'est qu'un chroniqueur. Si, du reste, ce chroniqueur eut voulu juger les choses de haut, écrire une histoire réelle, il ne nous aurait pas conservé une image aussi exacte de l'existence des Messins au moyen-âge ; il n'aurait pas osé rapporter mille anecdotes, mille détails, espèces de faits divers du temps, qui précisément donnent de la vie, du mouvement, de la variété à ses

Voir l'appendice placé à la suite de cette notice.

récits, et nous aident à reconstruire la vieille ville qu'on démolit chaque jour.

Philippe de Vigneulle ne s'est pas oublié dans sa chronique; il y a consigné sur lui assez de particularités pour que l'on puisse aisément se faire son biographe, et en outre il a écrit ses mémoires. Un de nos amis, M. Henri Michelant, qui a bien voulu nous fournir de nombreux renseignements pour cette notice, se propose de publier ce dernier ouvrage. Le chroniqueur y raconte longuement et humblement sa généalogie: « Je veulx, dit-il, escripre de ma >> nativité et de quelles gens je suis extrait et venus, >> affin que ceulx qui vanront après moy ne se or>> gueillissent de leur généalogie et de leurs anciens > parans, mais en toute humilités, ils veulent vivre >> comme ils ont fait cens voulloir prendre plus grand

estat sinon doncques que leur office ou pratique » le requier, laquelle chose, ils pourront ce or>> gueillir. »

Après ce modeste préambule, Philippe nous apprend qu'il naquit un vendredi du mois de juin 1472, å Vigneulle, village dont il prit le nom. Son père, paysan assez à l'aise, s'appelait Jean Gérard, et sa mére Maigui: « C'estoit une des belle jonne femme >> pour une petite femme que l'on sceust trouver >> en tout le pays et qui scavoit le mieux dire et se

faisoit aimer de jantil et de villain et n'y avoit de >>femme on pays qui mieux sceust chanter et estoit > toutte joyeuse et toutte plaisante. »

Philippe eut pour parrain un cordonnier, Jehan de Vigneulle, et pour marraine une notable dame de Metz, dame Laurette Chapelle. Cette dernière avait un fils qui se nommait Philippe, et voulut que ce nom fut donné à son filleul.

<< Je fus nourris de mon père et mère bien hon>> nestement cellon leur estat, dit le chroniqueur 9 >> et fus bien aymé d'iceulx comme plusieurs fois me > l'ont monstrés. Puis quand je devins grandellet » me menaierent à l'escolle à villaige pour seulle>ment aprandre un peu à escrire, car il me amoie > tant qu'ils ne me laissoit aller loing d'eux dont ce » me poise, car j'aimaisse mieulx qu'ils m'eussent >> fait aprandre. »

Philippe un peu plus tard fut envoyé à St.-Martin devant Metz; mais au bout d'un an la mort de sa mère le rappela à Vigneulle où il ne tarda pas à être témoin du mariage de son père avec une femme âgée et bien différente de la gentille Maigui. Après avoir été placé dans diverses maisons, Philippe fut mis chez un des amans de Metz pour y apprendre le stille. Cet aman nommé Jennat de Hannonville était un homme dur et avare; il avait pour gouvernante une allemande encore plus acariâtre et plus revêche que lui. Vigneulle eut un jour une rixe avec cette gouvernante, la blessa d'un coup de pelle à feu, se vit

Les amans étaient des notaires; ils avaient été établis en 1197 par l'évêque Berthold ou Bertram.

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