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en déroute par Polyarque, et Lycogène envoie des ambassadeurs pour traiter de la paix. Les ambassadeurs veulent tuer Polyarque et l'accusent ensuite d'avoir lui-même attenté à leur vie. Polyarque est obligé de fuir; il rencontre un autre chercheur d'aventures, c'est Radirobane, prince de la Mauritanie. Radirobane s'éprend à son tour d'une belle passion pour Argenis; un troisième prétendant arrive, c'est le roi de Sardaigne. Tous deux font les plus belles prouesses. Pendant ce temps, Polyarque qui s'est embarqué, se rend maître d'un vaisseau de pirates. Il y trouve des diamants que ceux-ci ont volé à la reine de Mauritanie, et va les lui remettre. Après d'innombrables aventures Polyarque revient en Sicile, on découvre très à propos que Radirobane est fils de Méléandre, et que par conséquent Argenis est sa sœur, il ne peut donc plus penser à épouser cette princesse dont la main est enfin accordée à l'heureux Polyarque.

Ce roman, raconté par un poète comme l'Arioste, pourrait être une charmante production. Narré avec naïveté par un vieux trouvère il aurait du prix, écrit par un savant tel que Barclay, il est parfois ennuyeux. Nous sourions quand nous voyons dans les épopées chevaleresques l'étrange géographie que s'étaient faite nos anciens romanciers, nous nous amusons du Charlemagne des quatre fils Aymon, pauvre empereur perpétuellement joué par Maugis. Tout cela est dit avec une bonne foi malicieuse, une ignorance qui ont leurs charmes. Dans Argenis l'igno

rance et la bonne foi ont disparu, et les anachronismes, les invraisemblances qu'elles auraient fait excuser, n'attestent plus qu'un manque de goût.

Argenis n'est pas cependant une œuvre sans mérite; les défauts de Barclay sont souvent ceux de son temps, et le plus grand tort de cet écrivain fut sans doute d'employer la langue latine. En se produisant dans l'idiome des érudits, ses pensées durent perdre de leur spontanéité, de leur grâce; là où il les aurait fallu naturelles et sans apprêt, elles se revêtirent de formes savantes et péniblement travaillées. On ne peut, du reste, refuser à Barclay une grande richesse d'imagination; un coloris brillant. Euphormion, s'il était traduit, pourrait encore prétendre à quelque succès. Les mœurs de l'époque se reflètent d'une manière originale dans ce roman où, sous les draperies antiques, on aperçoit bien vite le pourpoint de buffle et la cuirasse damasquinée du xviio siècle.

Barclay me paraît un de ces hommes auxquels on ne doit pas élever de statue, mais dont il faut au moins conserver la silhouette.

LE COMTE DE TRESSAN.

Le comte de Tressan n'est pas né en Lorraine, mais le séjour qu'il fit dans nos contrées, ses relations avec plusieurs des personnages dont il a été question dans ce volume, m'ont engagé à lui consacrer quelques pages. Sans ces motifs, j'aurais probablement été peu tenté d'écrire la notice suivante. Tressan n'est pas un de ces hommes qui dépasse de beaucoup la foule, qu'il y a profit à étudier.

Tressan n'a guère laissé dans l'histoire des lettres plus de traces que Boufflers, leur réputation à tous deux est celle d'écrivains aimables et légers; tous deux pourtant visèrent à la science, Tressan au commencement de sa carrière, Boufflers à la fin de la

sienne. Tressan finit presque comme Boufflers avait débuté. Ni l'un ni l'autre, du reste, n'ont pu acquérir une célébrité scientifique: Jehan de Saintré a fait oublier le physicien, comme le petit conte d'Aline a fait oublier le métaphysien, et les auteurs de ces deux jolis opuscules continuent la lignée des Hamilton et des Chaulieu.

Louis-Élisabeth de la Vergne, comte de Tressan, naquit le 5 octobre 1705, dans le palais épiscopal du Mans, dont son oncle était évêque. La famille de Tressan, originaire du Languedoc, avait une grande ancienneté, et lorsque le futur abréviateur d'Amadis eût terminé, au collège Louis-le-Grand, des études qu'il avait commencé au collège de La Flèche, plusieurs de ses parents lui facilitèrent l'entrée de la cour. Une de ses tantes, la duchesse de Ventadour, était gouvernante de Louis XV, et Tressan dut à cette circonstance de se voir admis dans l'intimité du jeune roi.

Plus tard, Tressan fut accueilli dans la société du Palais-Royal, il y vit Chaulieu, Fontenelle, Montesquieu, Moncrif, Gentil-Bernard, Nollet, le président Hénault et Voltaire. « Que ne dois-je pas au

disait

>> grand homme que nous avons perdu » Tressan lors de sa réception à l'Académie fran>> çaise. Combien de fois, dans mon adolescence, » M. de Voltaire ne quitta-t-il pas cette lyre et cette >> trompette éclatante, qui déjà l'immortalisaient, » pour placer ma jeune et faible main sur une flûte

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