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PALISSOT.

COMME l'a fort bien remarqué M. Villemain, la littérature du XVIe siècle est une littérature artificielle et par conséquent uniforme. A de bien rares exceptions prés, la vie est la même pour tous les écrivains de cette époque. « Le collége, l'étude, les » succès du monde, l'académie, les voilà..... Plus » la société polie, élégante, oisive produit des es>> prits aimables et légers, moins il s'élevera d'esprits libres, indépendants, créateurs. >>

Ce qui contribue encore à jeter de la monotonie sur les productions du xvme siècle, c'est que la plupart des écrivains s'étaient enrôlés sous la bannière philosophique et développaient des idées semblables.

Ceux mêmes qui ne partageaient pas les opinions de la nouvelle école, en avaient adopté la plastique; différents des novateurs par leurs doctrines et leurs convictions, ils les rappellent dès qu'on les place sous un point de vue purement littéraire.

Palissot, ardent frondeur des philosophes, ne trouve pas dans sa haine le secret d'être original. Il est vrai de dire que pour lui la question morale se réduit à peu près aux mesquines proportions d'un débat d'écrivains; s'élevant moins haut que Gilbert, son regard n'embrasse que quelques-unes des opérations de ses ennemis, et des escarmouches lui semblent toute une bataille. Quoi qu'il en soit, la vie de l'auteur de la Dunciade pourrait fournir à notre histoire littéraire quelques pages qui ne seraient pas entièrement dénuées d'intérêt.

Charles Palissot de Montenoy naquit à Nancy, le 3 janvier 1730; son père, ancien conseiller de Léopold, duc de Lorraine, lui fit donner une brillante éducation. Charles Palissot n'avait que neuf ans lorsqu'il composa un poème latin de 400 vers; il prit ses degrés en philosophie à onze ans, à douze écrivit une satire sur les différents états de la vie, et à quatorze fut reçu bachelier.

Sorti de l'Oratoire en 1746, Palissot profita de la liberté qui lui était rendue pour travailler à une tragédie tirée de l'histoire juive, et dès que l'œuvre fut terminée, il alla à Paris dans l'espérance de faire représenter sa pièce: cette espérance fut déçue; mais

cependant, grâce à son essai, il obtint ses entrées au Théatre-Français.

Il parait que cette première production, que l'auteur a eu le bon esprit de garder en porte-feuille, rappelait beaucoup le sujet d'Andromaque. C'est Palissot qui nous apprend cette ressemblance dans une lettre adressée à l'un de ses amis, à Ch.-P. Patu, auteur de quelques ouvrages agréables.

Palissot venait d'avoir dix-sept ans, lorsque ses goûts littéraires furent dominés par une autre passion, et ses travaux interrompus par un acte qui dérangea les projets de sa famille. Au lieu d'entrer dans les ordres comme son père le souhaitait, le poète devint amoureux, et ses parents eurent la faiblesse de lui permettre d'épouser une jeune fille sans fortune et d'une naissance inférieure à la sienne. Palissot qui nous donne lui-même ces détails, ajoute: « Je ne me » souviendrais de ce mariage qu'avec amertume, s'il > ne m'eût donné deux enfants qui ont fait jusqu'ici » la consolation de ma vie. >

Un an après cette union malheureuse, Palissot composa une nouvelle tragédie; il eut l'honneur de la lire au comte de Stainville qui, plus tard, devint ministre sous le nom de duc de Choiseul. La tragé– die obtint l'approbation du grand seigneur, et quelque temps après valut au poète d'être admis à l'académie de Nancy, que Stanislas venait de fonder.

Cela ne suffit pas à Palissot; il retourna à Paris avec le désir que sa pièce fùt soumise à l'épreuve

redoutable de la représentation. La nouvelle œuvre fut reçue; on devait d'abord la jouer sous le titre de Sardanapale, on lui donna ensuite celui de Zarès, et nous la connaissons aujourd'hui sous le nom de Ninus Second. Le premier titre fit dire à Voltaire : « A dix-neuf ans on fait le Sardanapale, mais on » n'écrit pas Sardanapale. » Voltaire avait raison, du moins dans la seconde partie de sa phrase, car la tragédie n'obtint qu'un succès de bienveillance, dans lequel Mlle Gaussin fut pour beaucoup. La célèbre actrice avait pris le poète sous son patronage; aussi par reconnaissance serait-il volontiers devenu amoureux de sa protectrice, c'est du moins ce que fait présumer ce madrigal plus pédant que gracieux :

Quand sur la scène Orosmane ou Zamore,
Quand un heros enchainé sous ta loi
T'offre ses vœux, te couronne et t'adore,
Pour l'imiter, je voudrais être roi.

Des mêmes feux je sens mon âme atteinte :
Nouveau Thésée, au fond du labyrinthe,
J'aurais voulu m'égarer avec toi.

Ce fut durant le séjour qu'il fit alors à Paris que Palissot fut mis en rapport avec la plupart des hommes auxquels il a depuis donné des places dans la Dunciade. Il était admis chez Mile Quinault, dont les diners réunissaient les philosophes les plus célėbres et aussi quelques grands seigneurs. Ce fut chez cette femme, l'un des personnages caractéristiques

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